Je tiens à saluer le parrain de cette édition de la Nuit des Publivores, Patrice Leconte, le fondateur de la manifestation et créateur de la cinémathèque qui porte son nom, Jean-Marie Boursicot, enfin Ora-Ito, figure de la jeune création et du design qui s’est fait remarquer en s’inspirant des grandes marques avant que ces dernières ne fassent appel à son inventivité.
Le Ministère de la Culture et de la Communication est le ministère de tous les créateurs, des esprits créatifs et des milieux publicitaires. L’an dernier, j’avais inauguré dans ces mêmes salons la Semaine de la publicité organisée chaque année par l’Association des Agences Conseil en communication (AACC). Cette année, dans le cadre des Rendez-vous Publicité Communication Médias, mon ministère accueillera dans ses locaux une exposition consacrée au Prix de la Campagne citoyenne, auquel toute campagne diffusée dans un « grand média » peut concourir.
Je suis en effet persuadé que la publicité est partie intégrante de la création culturelle ; elle est aussi un outil puissant au service de la modification des comportements et des habitudes culturelles de nos concitoyens : créatrice d’une culture en partage, elle est aussi productrice de sens. J’ajoute que les publicitaires français jouissent d’une remarquable réputation internationale et qu’ils sont très présents dans les grands réseaux mondiaux. C’est donc pour moi un plaisir de distinguer des personnalités ayant contribué au rayonnement et à la créativité des arts publicitaires.
Cher Patrice Leconte,
Votre vie a été et reste pour notre plus grand plaisir une vie traversée par l’amour du cinéma : vous y avez exercé tous les métiers, vous en avez maîtrisé toutes les arcanes. Vous avez en effet été acteur, scénariste, chef opérateur et enfin réalisateur avec le succès et la reconnaissance du public que l’on sait. Au cours de vos études à l’Institut des Hautes Etudes cinématographiques (IDHEC), vous collaborez aux Cahiers, vous vous essayez au court-métrage.
Votre père était cinéphile mais vous dites éprouver, jeune, quelque réticence face aux grands classiques tout en croquant des clowns tristes à la Bernard Buffet, tout en vous reconnaissant dans l’humour décalé de Roman Polanski, tout en cultivant votre goût pour la bande dessinée. Vous, le dessinateur autodidacte de Pilote, avec la complicité de Gottlieb, qui vous accompagne dans votre premier long métrage au titre à jamais irrésistible, dont Hitchcock aurait sans doute rêvé : « Les vécés étaient fermés de l’intérieur », et qui réussit le tour de force de réunir Jean Rochefort , Coluche et Roland Dubillard.
Certaines rencontres façonnent une carrière : celle de Pierre Braunberger, le grand producteur de la Nouvelle Vague, marque votre existence. En 1971, vous réalisez à ses côtés votre premier film en 35 mm, Le Laboratoire de l’angoisse qui rencontre le succès.
Mais c’est bien entendu le café-théâtre et la comédie qui vous ont fait connaître auprès du grand public, comédie à laquelle vous imprimez un ton, un humour, un style reconnaissable. Dans cette France des années 70 un peu compassée, vous adaptez Amour, coquillages et crustacés, parodie des vacances en club, dans l’esprit du Club-Méditerranée. Vos acteurs deviennent de véritables stars familières, qui façonnent la culture populaire et les conversations du quotidien : le public se les approprie, il les singe, il en fait des icones. Chacun reconnaît dans son entourage une déclinaison de Jean Claude Dusse, chacun reconnaît autour de soi un Popeye cuistre et fier de lui. Les Clavier, Jugnot, Balasko, Lhermitte commencent alors la carrière que l’on connaît : vous les avez lancés sur grand écran, avec le plus grand succès du cinéma français à l’époque. Avec « Les Bronzés font du ski », vous rencontrez à nouveau le succès en 1979. Aimable farceur, au ton alerte et néanmoins acidulé, vous avez transmis « l’esprit du Splendid » au cinéma, vous attirant la sympathie du public.
En 1985, Les Spécialistes, avec le regretté Bernard Giraudeau, est un moment de rupture dans votre carrière, votre « deuxième souffle » : vous vous lancez dans le film d’aventures et d’action avec le récit du casse d’un casino sur la Côte d’Azur dans les décors sublimes des gorges du Verdon . Les deux malfrats au regard profond deviennent humains, l’évasion épreuve de vérité. Vous créez un couple cinématographique – le tandem - qui envahit l’écran, à l’image de ce que vous ferez quelques années plus tard avec Tandem (1987), servi par Gérard Jugnot et Jean Rochefort ou bien La Fille du Pont avec Daniel Auteuil et Vanessa Paradis Chez vous, le binôme devient singulier, l’individu pluriel. Chez vous, le cinéma fait son cinéma : il dialogue avec ses rites, il joue avec ses codes.
La génération des grands acteurs à la Rochefort – avec qui vous avez tourné à sept reprises - Noiret ou Marielle est passée à travers le crible de votre humour caustique et corrosif : Tandem, Tango, Les Grands Ducs, autant de traces de votre veine comique si particulière, où le sarcasme et l’esprit décalé et distancié ne sont jamais loin, et l’émotion juste et forte, jamais absente. Cher Patrice Leconte, vous êtes le rédacteur subtil de scénarios construits – notamment avec votre complice Patrick Dewolf, vous êtes aussi un révélateur de comédiens : vous savez accoucher leurs talents, tout autant que vous déboulonnez la statut du Commandeur et savez conduire les acteurs vers leurs limites, à l’image du Michel Blanc de Monsieur Hire, personnage bouleversant et troublant d’histoire d’amour tragique.
Vous passez du rire à la gravité d’une manière déconcertante : chez vous, chacun le sait, le « ridicule » ne tue pas, il est jubilatoire. Il élève les acteurs vers la grâce comme celles et ceux que vous rassemblez dans un cadre XVIIIe siècle qui vous est pourtant peu familier. Dans ce « western dans lequel on a remplacé les colts par des mots d’esprit » pour citer Jean Rochefort, vous l’admirateur de Queneau et de L’Oulipo, vous faites de la langue une arme cinématographique. Avec cette évocation cinglante et impitoyable de la société de cour, vous faites du cinéma un jeu et du public un complice. Avec 12 nominations au César, la compétition pour l’Oscar du meilleur film étranger et l’ouverture du Festival de Cannes en 1996, Ridicule marque assurément une étape importante de votre vie de réalisateur.
Vous dirigez par la suite des films personnels et intimes, révélant les fêlures de l’humain et les non-dits de l’existence : L’Homme du Train avec un Johnny Halliday bouleversant, Confidences trop intimes avec une Sandrine Bonnaire intrigante et conspiratrice, très différente de ce sur quoi on l’attend. Vous savez porter sur les personnages que vous incarnez un regard tendre et humain, tout en cultivant les lieux décalés et les situations loufoques : le Club de vacances, le salon de coiffure, le théâtre, la fête foraine. Vous invitez Eros chez le coiffeur, vous transformez l’amoureux en lanceur de couteaux, vous mêlez dans un « tango » subtil le désir de meurtre au désir amoureux.
Au cours des dernières années, vous avez aussi travaillé au théâtre, retrouvant une liberté qui vous séduit et vous ravit. Sérieux dans le rire et rieur dans la description du réel, votre talent est reconnu par la profession et apprécié du public, qui connaît votre parcours exceptionnel. Vous avez aussi soutenu des initiatives dans le domaine si prometteur et si créatif du cinéma d’animation, siégeant au jury du Festival d’Annecy en 2010. Votre futur long métrage, Le magasin des suicidés, qui sortira en 2012 marquera d’ailleurs votre entrée dans ce nouvel univers de création.
Traduction de ce mélange de fantaisie, de légèreté et d’humour, votre roman Riva Bella, qui se déroule dans l’univers du music-hall, révèle la multiplicité de votre talent.
Cher Patrice Leconte, vous pourriez faire vôtre cet aphorisme de Groucho Marx, que vous affectionnez : « J’ai passé une excellente soirée, mais ce n’était pas celle-ci », tant vous savez cultiver un sérieux qui ne se prend pas au sérieux. Chez vous la technique magnifiquement maîtrisée – celle du cadrage, celle de la voix off, celle de l’écriture des personnages - s’efface devant l’authentique plaisir de dire, de raconter, d’être là où l’on ne vous attend pas : à la fois partout et nulle part, dans un éternel jeu de cache-cache malicieux avec le public.
Cher Patrice Leconte, au nom de la République française, nous vous faisons Commandeur dans l’ordre des Arts et des Lettres.
Cher Jean-Marie Boursicot,
Marshall Mac Luhan disait de la publicité qu’elle était « la plus grande forme d’art du 20ème siècle » : vous faites clairement partie de ceux qui partagent ce jugement. Je me réjouis aujourd’hui d’avoir l’occasion à la fois de saluer un ami et de rendre hommage à son immense travail.
Originaire de Marseille, vous êtes sensible dès l’enfance à la magie de la « réclame ». C’est essentiellement votre goût pour les salles obscures qui vous dirige peu à peu vers cette passion, encore intacte depuis toutes ces années. Vous fréquentez assidument les cinémas, notamment celui des « Cinq Avenues », où vous attendez avec impatience ces interludes où l’ambiance théâtralisée de la salle, avec ses fresques et ses peintures, est amplifiée par la diffusion des films publicitaires. Votre intérêt est remarqué par le projectionniste qui vous offre alors les bouts de pellicule de publicité vantant les mérites de marques de glaces et de confiseries.
Commence alors le début de la collection. Toujours en quête de nouveaux échantillons, vous puisez dans les poubelles des cinémas, qui jettent les pellicules de publicité déjà visionnées. Le chasseur d’images que vous êtes en train de devenir croise alors les territoires de l’affiche, du cinéma et de la publicité.
Vous commencez ensuite des études de droit mais, une fois vos diplômes en poche, vous choisissez de travailler pour une agence de publicité. Vous entrez ainsi en 1978 chez Publicis dans le service commercial. Très vite, vous constatez qu’aucun film publicitaire n’est conservé, ni par les annonceurs, ni par les agences et les producteurs.
De ce constat naît en 1979 la « Cinémathèque Jean-Marie Boursicot », projet inédit et d’ampleur internationale. Votre pratique de collectionneur a créé un métier : celui de conservateur de films publicitaires, de toutes les époques, de toutes les cultures. En véritable gardien du temple, vous partez à la recherche de nouveaux films qui pourront intégrer et enrichir le fonds de la cinémathèque. Si, au départ, vous pensiez réserver cette cinémathèque aux écoles consacrées aux métiers de la publicité, vous comprenez rapidement que c’est aussi l’occasion de faire découvrir au public un patrimoine exceptionnel. Par ailleurs, l’indépendance à laquelle vous tenez tant nécessite de trouver un financement durable à la cinémathèque : ce sera l’idée de la désormais célèbre « Nuit des Publivores » en 1981.
Le succès est immédiat. L’année suivante, vous organisez la « Nuit des Publivores » en Italie, avant d’être invité en Belgique puis en Chine. Aujourd’hui, vous donnez 160 représentations par an, dans 45 pays : c’est dire l’engouement du public pour une intuition géniale et génératrice de dialogue entre les cultures.
Cette année, vous fêtez les 30 ans de la Nuit, 30 ans pendant lesquels votre curiosité ne s’est pas asséchée, loin s’en faut, et qui ont permis de diffuser un certain nombre de messages dans le monde. Vous accordez en effet une large place aux publicités des associations humanitaires. Et si l’esprit festif prime bien sûr pour cet événement, vous ne dédaignez pas de faire prendre conscience au public de certaines réalités plus sérieuses, au milieu des concerts et des spectacles qui entretiennent la fièvre de la nuit.
La publicité, c’est un ensemble de contraintes : celle du produit, du temps imparti, du public auquel elle s’adresse, avec l’objectif d’attirer, de convertir, voire d’envoûter. La publicité implique donc à la fois un potentiel de création hors du commun et une connaissance fine des publics et de leurs pratiques culturelles. C’est ce croisement qui anime vos coups de cœur pour la « Nuit des Publivores ».
Pour cette édition 2011, 54 pays sont représentés. Votre cinémathèque compte par ailleurs plus de 950 000 films et augmente son fonds d’environ 24 000 films par an. « La publicité est le reflet exact des tendances de la mode, des habitudes, des désirs, des besoins, des engouements d'une population pendant un temps donné », nous dit Claude Weill ; et de ce fait, vous œuvrez au décentrement de nos regards et à la découverte d’autrui, que le film publicitaire révèle à travers la part souvent la plus variable de nos idiosyncrasies culturelles : les goûts, la langue, la capacité à l’auto-dérision et l’humour aussi.
Pour avoir été un précurseur dans la valorisation de la création publicitaire, pour avoir, en pionnier, compris que cet outil de communication était porteur d’une dimension culturelle fort loin de se résumer aux seules finalités du marketing, c’est avec une joie toute particulière, cher Jean-Marie Boursicot, cher ami, qu’au nom de la République Française, nous vous faisons officier dans l’ordre des Arts et des Lettres.
Cher Ora-ïto,
Vous êtes un enfant de la science-fiction et de ces grandes épopées de conquêtes que furent 2001 L’Odyssée de l’espace de Kubrick ou Star Wars de Lucas, comme en atteste en particulier – tout près d’ici - le Cabaret, cette chaleureuse navette spatiale de la nuit, influencé par les esthétiques de Niemeyer et de Harry Bertoia. Le design avec vous allie le rêve à la forme, le passé aux nouvelles technologies, la beauté à la fonctionnalité, l’abstraction, enfin, à la sensualité. Vous êtes aussi l’héritier d’une attention à la courbe, à la ligne, aux mutations des géométries pures, d’un sens de la polyvalence dans le désir de création. Vous êtes l’inventeur de l’e-design et de la « simplexité », l’art de donner à un objet aux fonctions complexes la simplicité dans l’apparence : pas étonnant, dès lors, que le couteau suisse ait trouvé grâce à vos yeux.
Après un bref passage à l’école de design Créapole, où vous ressentez surtout l’urgence de vous jeter corps et âme dans vos créations, vous effectuez des stages d’architecture avant de rencontrer le couturier Roger Vivier, pour qui vous créez une première image en trois dimensions de l’escarpin du 3ème millénaire. Avec le décollage, à la fin des années 1990, de l’imagerie virtuelle, vous vient l’idée de créer la toute première marque de design virtuel balayant toutes les fonctionnalités, de la machine à laver au canapé, en proposant des prototypes de produits de grandes marques que vous prenez malicieusement à rebours, comme le sac à dos Vuitton ou la mallette d’ordinateur portable Apple. C’est donc en pirate que vous réussissez à 19 ans un véritable coup de maître. La presse s’en fait l’écho, et les clients virtuels veulent s’arracher ces produits inexistants. Les commandes pleuvent sur votre site internet, qui devient la seconde œuvre numérique acquise par le Fonds du Centre Pompidou pour entrer dans le patrimoine des musées.
Après ces débuts fulgurants, le passage à la création d’objets réels est un nouveau défi. Pour cela, vous avez la chance de collaborer avec des grandes marques qui vous mettent le pied à l’étrier : Capellini, pour qui vous éditez en 2002 votre chaise longue Petal, aux lignes maternelles et réconfortantes, et surtout Heineken, pour qui vous proposez une réinterprétation de la bouteille de bière, élégante et ergonomique dans son habit d’aluminium, qui vous vaut un Oscar du design pour le meilleur emballage.
Il y a bien des motifs récurrents dans votre œuvre, comme celui de la chrysalide, qu’on retrouve dans Petal, dans Iconik+Paco, où encore dans les alcôves du Cabaret. Mais votre capacité iconoclaste à surprendre et à bousculer notre relation aux objets du quotidien donne à votre style une grande mobilité. Dans votre quête de la simplicité, vous faites escale chez Artémide en 2004 avec votre lampe One Line, dont le dessin continu et longiligne est chaleureusement salué par vos pairs lors du Salon du Meuble de Milan, et couronné d’un Red Dot Design.
En 2005, la conservatrice Marie-Laure Jousset vous offre l’occasion d’organiser au Centre Culturel français de Milan votre première grande rétrospective monographique que vous baptisez MUSEO-RA-ÏTO. Si au début de votre carrière vous vous inspiriez des grandes marques, ce sont désormais ces dernières qui font appel à votre inventivité : Adidas, Toyota, Davidoff, Nike, Danone, ou encore Christofle, Habitat, et Guerlain, pour n’en citer que quelques unes.
Je voudrais revenir sur quelques mots du regretté Ettore Sottsass, car ils pourraient être les vôtres : « le design ne signifie pas donner une forme à un produit plus ou moins stupide pour une industrie plus ou moins sophistiquée. Il est une façon de concevoir la vie, la politique, l’érotisme, la nourriture et même le design ». Loin des tendances et des effets de mode prisonniers de l’éphémère, vos créations conjuguent l’épure formelle et le rationalisme fonctionnel, la sensorialité et les nouvelles ergonomies ; elles sont transgénérationnelles, et elles le resteront pour longtemps.
Vous développez aujourd’hui avec le monde de l’industrie bon nombre de projets : l’aménagement intérieur du prochain A320 avec Sabena Technics, des collections permanentes pour l’orfèvre de luxe Christofle, ou encore de la coutellerie pour la Forge de Laguiole. Cette année , lors du Salon du meuble de Milan le 12 avril 2011, vous présenterez deux œuvres d’art en collaboration avec Citroën. En collaboration avec Rudy Ricciotti, vous travaillez également à la réhabilitation du fort de Brégantin, dont vous êtes propriétaire et pour lequel vous ambitionnez de faire, je vous cite, « un centre culturel et écologique, quelque chose entre la Villa Noailles et la Villa Médicis » - un très beau projet dans la perspective de Marseille capitale européenne de la culture en 2013.
Je salue chaleureusement en vous le créateur pour qui le souci de perfection, qu’il soit porté par le désir d’abstraction ou d’assouvissement des rêves d’enfance, sous-tend une volonté de transfigurer les aspérités du monde. Cher Ora-ïto, au nom de la République française, nous vous faisons Chevalier dans l’ordre des Arts et des Lettres.