Je suis très heureux d’être parmi vous pour la deuxième année
consécutive, afin d’aborder un sujet essentiel pour l’avenir de la situation
des écrivains. Je tiens d’ailleurs à féliciter la Société des Gens de Lettres
pour ses choix de thèmes, et la grande qualité des débats proposés à son
Forum annuel.
Le secteur de l’édition, comme l’ensemble des secteurs de la culture et de
la création, est affecté par les mutations massives liés, on le sait, au
développement du numérique. Ces mutations sont en train de modifier à la
fois les conditions de la création artistique et culturelle et les modes de
diffusion des oeuvres. Ce sont des évolutions profondes qui appellent bien
sûr une réflexion de fond sur l’adaptation de la gestion des droits des
auteurs, qui doivent être préservés tout en garantissant à la fois le
dynamisme de la création française mais également l’accès le plus large
possible aux contenus disponibles de plus en plus massivement sur le
réseau. La préservation de cet équilibre est l’une de mes principales
responsabilités.
Le secteur de l'écrit repose traditionnellement sur la relation singulière
entre l'auteur et son éditeur. Contrairement à d’autres secteurs de la
création, c’est ce mode de gestion individuelle qui est en effet à la base de
la dynamique économique du secteur. Pour le bien de ce dernier, cette
relation contractuelle qui lie l'auteur à son éditeur doit continuer à prévaloir,
du moins pour ce qui concerne les droits primaires sur l'oeuvre. Encore
faut-il que cette relation soit équilibrée.
En effet, s'il est important de préserver la capacité des éditeurs à exploiter
directement les droits exclusifs des auteurs, il est également essentiel que
les auteurs soient équitablement associés aux fruits de cette exploitation. À
ce titre, on ne peut que se réjouir de la reprise des discussions entre le
Conseil permanent des écrivains et le Syndicat national de l'édition sur
l'adaptation des contrats d'édition aux nouveaux modes d'exploitation
numérique des oeuvres.
Dans le secteur du livre, la gestion collective ne s'est développée que
tardivement, par l'effet d'une construction législative progressive qui est
venue encadrer l'exercice du droit de reprographie, du droit de prêt en
bibliothèque ou encore de la copie privée numérique. Devant l'émergence
de nouveaux modes de diffusion des oeuvres, elle s’est néanmoins
imposée comme la méthode capable de garantir le respect des intérêts
légitimes de l’auteur face à la multiplicité des usagers et, pour ces derniers,
une meilleure efficacité dans la diffusion publique des oeuvres.
Les sociétés de gestion gèrent des intérêts essentiellement privés.
Néanmoins, les sociétés de perception et de répartition des droits sont
encadrées par le code de la propriété intellectuelle. Fondamentales par
leur utilité sociale et culturelle, elles fonctionnent sous la surveillance du
Ministère de la Culture, sans relever pour autant d'un régime de droit
public. Dans leurs champs d’action respectifs, elles bénéficient le plus
souvent d'un monopole de fait, ce qui n'implique pas en soi des situations
d'abus de position dominante. Cette situation particulière leur impose
cependant une obligation de transparence vis-à-vis non seulement de leurs
membres, mais également des utilisateurs. C'est dans ce contexte que les
autorités publiques, qu'il s'agisse du Ministère de la culture ou de la
Commission de contrôle qui siège auprès de la Cour des comptes, ont un
droit de regard sur l'exercice des droits par les sociétés de gestion
collective.
Ce droit de regard joue évidemment encore plus lorsque les sociétés font
l'objet d'un agrément ministériel dans le cadre d'une gestion collective
rendue obligatoire par la loi. C’est là l'une des spécificités du secteur du
livre : la SOFIA – Société Française des Intérêts des Auteurs de l’Ecrit et le
CFC – Centre Français d’exploitation du droit de la Copie - bénéficient
ainsi d'un agrément et s’inscrivent dans un processus d'échanges
constants - et constructifs - avec les services du Ministère de la Culture. Il
convient à ce stade de souligner le très bon état d'esprit qui conduit nos
relations.
Si l’on aborde ces questions au regard du contexte international et de ses
évolutions, on constate que le contrôle externe de la gestion collective mis
en place en France a d’ores et déjà fait ses preuves s’avère approprié.
Depuis quelques années, la Commission Européenne s’est emparée du
sujet : sur ce point, le gouvernement français restera particulièrement
attentif aux travaux de la Commission sur la gouvernance de ces sociétés.
Nous devons en effet oeuvrer pour que nos modèles de gestion collective
ne soient pas compromis. Bien sûr, il est clair par ailleurs que ces modèles
peuvent toujours être améliorés, notamment en ce qui concerne la
transparence des politiques tarifaires, les modalités de répartition des
droits ou encore les procédures de paiement des rémunérations. Je pense
également à la juste représentation des auteurs au sein des instances
dirigeantes des sociétés de perception et de répartition des droits qui sont
dépositaires de leurs intérêts : il s’agit là d’un véritable enjeu de démocratie
interne.
Quant à l'exploitation des droits numériques sur les réseaux, elle nécessite
à l’évidence une adaptation des modes d'organisation de la gestion
collective internationale. Cependant, cette problématique est moins
prégnante dans le secteur de l'écrit, dont les périmètres dépendent encore
largement des espaces linguistiques. Les accords de réciprocité entre
sociétés d'auteurs étrangères doivent être préservés et développés. Selon
moi, l'environnement numérique ne justifie pas par lui-même une mise en
concurrence des sociétés de gestion collective, et la proximité
géographique et culturelle des utilisateurs et des sociétés d'auteurs qui
accordent les licences reste pertinente dans ce nouvel environnement.
L’actualité législative nous le montre, qu’il s’agisse de la proposition de loi
Gaymard pour l’extension du taux réduit de TVA au livre numérique, de la
proposition de loi Dumas et Legendre pour l'adaptation au livre numérique
des grands principes qui fondent notre loi de 1981 sur le prix unique, ou
encore de l'adaptation de notre droit d'auteur aux formes émergentes
d'exploitation des oeuvres : l'arrivée du numérique nous amène à repenser
l'ensemble de l'économie du livre. Plus que jamais, la réflexion prospective
s’avère nécessaire pour se donner les moyens d’anticiper.
Dans cette nouvelle économie numérique, la défense du droit d'auteur est
en effet une préoccupation majeure pour nous tous. Des équilibres sont à
trouver, entre auteurs et éditeurs bien sûr, mais également entre titulaires
de droits et usagers - en l'occurrence les lecteurs. En cela, la gestion
collective doit être entendue comme étant au bénéfice à la fois de la
communauté des auteurs et de la collectivité des usagers : elle peut jouer
un rôle clef pour parvenir à ces équilibres.
L'accès aux oeuvres en toute sécurité juridique constitue aujourd'hui un
défi primordial : là aussi, face à la multiplicité des usagers et des oeuvres,
la gestion collective offre des solutions. La question de l'accessibilité des
livres du XXème siècle aujourd’hui indisponibles a été longuement
débattue pendant ce forum : la gestion collective constitue le pivot de ce
mécanisme que nous défendons. Elle constitue, au-delà, un point d'appui
pour le développement d'une offre légale attractive que nous appelons
tous de nos voeux.
A l'heure du numérique, d'autres prolongements de la gestion collective
sont aujourd'hui envisageables pour le livre, sur la base d'une évolution de
notre code de la propriété intellectuelle. On peut évoquer les utilisations
numériques des oeuvres à des fins pédagogiques ou encore l'exploitation
des oeuvres orphelines qui s'étendent au-delà du champ des livres
indisponibles du XXème siècle. Pour tous ces cas de figure, une réflexion
sur l'étendue de la gestion collective s’impose, afin de renforcer la sécurité
juridique des usages, d'identifier le mieux possible les titulaires de droits
grâce au développement d'une documentation exhaustive, et de leur
garantir une juste rémunération.
D'aucuns ont pu penser qu'à l'ère digitale, la gestion collective serait
dépassée : pour certains, les techniques de marquage et de protection des
oeuvres seraient susceptibles de permettre à chaque titulaire de droits de
maîtriser l'exploitation de ses propres oeuvres. Cependant, face à la
multiplicité des usagers, à la diversification des modalités d'utilisation des
livres avec par exemple les offres de bouquets numériques, les éditeurs
sont amené à rencontrer des difficultés croissantes. Je pense notamment
au suivi de ces utilisations, mais aussi, évidemment, aux manières de
dégager des bases de rémunération qui permettent d'associer le plus
justement possible les auteurs aux fruits de l'exploitation de leurs oeuvres.
Face au déséquilibre accru entre titulaires de droits et grands opérateurs
de l'internet, nous devons nous doter d’une vision commune pour faire
prévaloir les intérêts légitimes des titulaires de droits : c’est l’avenir de la
création qui en dépend.
Je vous remercie.
Discours de Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture et de la Communication, prononcé à l'occasion du Forum de la Société des Gens de Lettres
Monsieur le Président de la Société des Gens de Lettres, cher Jean-Claude Bologne,Mesdames et messieurs,Chers amis,
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