En 1960, il y a un peu plus de cinquante ans, naissait la Fédération
nationale des collectivités territoriales pour la Culture, dont Pierre Moulinier
a dressé l’historique récemment dans un petit ouvrage stimulant. En 1975,
Michel Guy invente les Chartes culturelles entre l’Etat et les grandes villes.
En 2002, Catherine Tasca engage une réflexion sur « les nouveaux
territoires de l’art ». L’ambition territoriale, elle est au coeur de l’action de ce
ministère, elle est toujours présente. Je me déplace beaucoup en région,
j’inaugure bien entendu, j’écoute, je dialogue, je visite aussi – parfois seul –
ces musées, ces lieux de spectacles, ces médiathèques, ces centres d’art
qui sont les lieux de contact privilégiés des Français avec les artistes et la
culture. Ces lieux, vous les faites vivre, vous les faites grandir, vous les
adapter aux nouvelles demandes et aux besoins émergents des publics.
Ils représentent un maillage considérable, ils sont un outil majeur de la
démocratisation culturelle et de l’offre culturelle de proximité, ils sont les
vecteurs permettant de mettre en valeur toutes les diversités.
C'est donc pour moi un grand plaisir de vous accueillir pour notre
quatrième rencontre dans le cadre de ce Conseil des Collectivités
Territoriales pour le développement culturel.
J'apprécie ces temps de dialogue entre nous pour placer l’ambition
culturelle au coeur du développement des territoires, des villes, des
départements, des régions.
Dans une période de tension sur les finances publiques, la tentation
d'arbitrages qui se ferait au détriment de la culture peut être forte. C’est ce
choix qui a été pratiqué chez certains de nos partenaires européens, ce
n’est pas le choix du gouvernement.
Nous devons ensemble, Collectivités Territoriales et Etat, poursuivre et
amplifier nos efforts partagés pour développer l'offre culturelle sur tous les
territoires, pour conquérir et gagner de nouveaux publics, pour
accompagner les artistes et la création émergente.
Vous savez que j'ai pu préserver le budget de ce ministère et que le
Président de la République a annoncé dans ces voeux au monde de la
connaissance et de la culture que ce budget ne serait pas gelé.
Je connais votre inquiétude pour l'état des finances de vos collectivités et
les difficultés qui sont les vôtres pour préserver les financements
consacrées à la culture.
Les besoins et les attentes sont là : nous le savons tous, nous le mesurons
chaque jour. Nous sommes conduits à refonder et à approfondir nos
partenariats pour aboutir à une véritable co-responsabilité dans les
politiques culturelles au niveau local. Nous devons éviter le saupoudrage,
nous devons faire des choix stratégiques, nous devons porter de véritables
projets partagés pour vos territoires.
A cet égard, je remercie Jérôme Bouët, d'avoir, au terme de plusieurs mois
d'écoute et de concertation, proposé 21 mesures concrètes pour
renouveler nos partenariats. Son rapport m’a été remis fin novembre dans
sa version actuelle. Il a fait l'objet de consultations internes avant de vous
être envoyé. Je prendrai en compte vos observations avant de le rendre
public et je retiendrai les expérimentations et les mesures qui s'imposent
aux yeux de tous - Etat et collectivités territoriales - sans nuire aux travaux
en cours liés à la réforme des collectivités territoriales.
Je me suis battu à vos côtés, vous le savez, pour le maintien de la clause
de compétence générale pour la culture dans le cadre de cette réforme.
J’entends suivre avec une très grande attention les travaux de M. Jean-
Jacques de Peretti, maire de Sarlat, auquel le Président de la République
a confié une mission sur les conditions précises d’élaboration des futurs
« schémas de répartition des compétences et de mutualisation des
services entre les conseils régionaux et les conseils généraux », qui sont
prévus par la réforme territoriale.
Je connais votre investissement régulier, je connais votre engagement. Je
sais que vos échanges sont toujours ouverts et parfois passionnés. Ils ont
permis tout au long de cette année 2010 de réfléchir et de travailler
ensemble sur l'évolution des politiques publiques en matière culturelle.
2011 sera également une année riche de projets et de réalisations.
A mon initiative, vous le savez, le ministère s’est engagé depuis plusieurs
mois dans un travail de réflexion et de synthèse sur la démocratisation
culturelle, cette ambition qui l’a accompagné dès sa création en 1959,
cette ambition qui n’est jamais achevée, cette ambition qui doit sans cesse
être réinventée et adaptée.
Ce sera l’objet du Forum Culture 2011 qui sera organisé à La Villette le 4
février prochain. Il s’inscrit dans la continuité des 25 forums régionaux qui
se sont tenus sur ce thème depuis octobre.
Certains ont dit que le Ministère de la Culture était affaibli, en vérité il
réfléchit ; certains ont dit qu’il était en retrait, il s’invente de nouvelles
perspectives. Qui pourrait douter de la volonté de répondre aux nouvelles
réalités de la société française du début du XXIe siècle : individualisation
des pratiques culturelles ; inégalités d’accès persistantes, notamment dans
les quartiers sensibles, dans le monde rural ; fractures sociales et
générationnelles et risque du « communautarisme culturel », pointés si
fortement par les travaux des sociologues ; visibilité croissante de la
diversité de la société française, immense réservoir de talents et
d’ouverture au monde. Ce sont ces réalités que doit affronter le Forum
national, sans a priori. Je ne souhaite pas remettre en cause ce qui est au
coeur de l’action patiente et continue des pouvoirs publics, de mes
prédécesseurs, depuis la création de ce ministère. Ce que je souhaite,
c’est que nous mettions en avant les bonnes pratiques, les expertises des
acteurs culturels de terrain, le travail des associations pour rapprocher
l’offre culturelle et la demande des citoyens. Je compte sur votre présence
et votre participation à cette occasion.
Cette ambition, elle doit être partagée, elle doit être transversale et irriguer
l’ensemble de nos terrains d’action. Nous avons ainsi récemment repensé
les cahiers des charges des institutions de la création financées par le
ministère. J’ai souhaité mettre coeur de leurs projets les projets artistiques
et actions innovantes qu’ils conduisent déjà vis-à-vis des publics
éloignées de l'art et de la culture.
Comme vous le savez, j’ai pris plusieurs initiatives qui illustrent cette
ambition au service de tous les territoires :
- Le lancement le 12 janvier dernier « l’année des Outre-mer » est
l’occasion de mettre en valeur l'extraordinaire richesse artistique et
culturelle des territoires ultra-marins encore trop méconnue. Dans le droitfil
des orientations énoncées par le Président de la République lors du
Conseil interministériel de l'Outre-mer du 6 novembre 2009, j’ai souhaité
renouveler profondément les modes d'actions du ministère dans ces
territoires. L’effort budgétaire de 7 millions d’ € supplémentaires pour
l’Outre-mer décidé en 2010 sera reconduit en 2011. Il permettra de mettre
en oeuvre un véritable plan pour les cultures des Outre-mer valorisant les
patrimoines – notamment immatériels – la diversité linguistique et le
développement de la culture publique.
- Les zones rurales mais aussi péri-urbaines connaissent de profonds
bouleversements de leurs populations et de leurs mode de vie. A la suite
des assises « des territoires ruraux » voulues par le Président de la
République en 2010, des mesures concrètes en faveur de ces territoires
ont été identifiées. Elles vous ont été présentées dans une précédente
séance de travail. Fidèle à ma démarche de dialogue, au terme d’une
concertation que j’ai souhaitée la plus large possible, j’annoncerai ce plan
au cours du premier trimestre 2011.
- Cette ambition pour les territoires, c’est aussi le soutien aux salles de
cinéma, dont le dispositif d'aides à la numérisation des salles de cinéma de
proximité est un des axes. Les 14 propositions pour le développement de
la lecture qui vous ont été présentées précédemment par le directeur du
Livre, Nicolas Georges, s’inscrit également dans cette dimension. Les
« assises de la lecture publique », qui se tiendront à Nancy en septembre
2011, permettront de faire un premier bilan des actions menées et de
partager expérimentations et bonnes pratiques dans le domaine de la
lecture publique, à l’heure du numérique.
- Je ne voudrais pas oublier le déploiement en cours de la Télévision
numérique terrestre (TNT). C’est le principe d’équité territoriale qui me
guide également dans le passage au tout numérique pour la télévision, qui
marque l’année 2011. Bien que notre culture des écrans voie ses supports
se démultiplier, la télévision reste le média de masse de référence ; elle
touche tous les foyers et toutes les générations. Dans cette phase de
transition, il est essentiel que personne ne soit laissé au bord du chemin ;
je pense en particulier aux personnes âgées, aux foyers modestes, aux
zones rurales éloignées. L’année 2011 est une année charnière en France
et en Outre-mer et je serai particulièrement attentif à ce que nous
réussissions pleinement cette transition.
- Dans le domaine des langues régionales, il y a longtemps que l'Etat et les
collectivités travaillent de concert. La réforme constitutionnelle de juillet
2008 est venue en quelque sorte consacrer ce travail en commun, puisque
c'est dans le titre XII de la Constitution, consacré aux collectivités
territoriales, que la reconnaissance des langues régionales s'est inscrite
dans notre loi fondamentale : « Les langues régionales appartiennent au
patrimoine de la France » (article 75-1). Un principe de responsabilité
partagée a été ainsi introduit dans la loi fondamentale de la République.
En vertu de ce principe, j'avais souhaité que puisse s'engager un dialogue
avec vous. Sa première étape s'est matérialisée par l'élaboration d'une
note d’intention, qui vise à jeter les bases d'une politique concertée entre
l'Etat et les collectivités locales en faveur des langues régionales, dans les
champs de compétence de mon ministère. Je me réjouis de l'intérêt que ce
sujet suscite parmi vous, en particulier de la volonté de certains nouveaux
élus de faire avancer sensiblement le dossier des langues régionales. J'ai
demandé à Xavier North, Délégué général à la langue française et aux
langues de France, de recevoir les associations qui en ont manifesté le
souhait et d'être particulièrement attentif à leurs propositions. Toutes les
idées qui viendront enrichir la réflexion contribueront à l'élaboration d'un
document commun. Je souhaite que nous poursuivions le dialogue dans
cette perspective.
- En matière d’enseignement supérieur, j’ai déjà évoqué devant vous la
nécessité de favoriser la création d’établissements d’enseignement
supérieur artistique d’une nouvelle envergure. 6 mois après, je suis
heureux de constater que cette réforme a connu des résultats
remarquables à laquelle vous avez largement contribué, et que je salue.
Toutes les collectivités concernées ont mené à bien le changement de
statut des écoles d’art avant la date du 31 décembre, ce qui constituait
l’une des conditions d’une reconnaissance au grade de master des
diplômes qu’elles délivrent. D’ores et déjà l’arrêté du ministère de
l’enseignement supérieur et de la recherche est pris pour 11 écoles
nationales ou territoriales, 14 s’y ajouteront prochainement. Les derniers
dossiers passeront au CNESER en février. En outre je constate que des
rapprochements entre écoles territoriales se sont mis en place. A partir de
47 écoles territoriales, ce sont 31 EPCC d’enseignement supérieur qui ont
été créés, dont 2 communs avec le spectacle vivant. La démarche doit être
poursuivie, comme l’ont souligné certains débats en CNESER.
Cette étape franchie ne doit pas nous faire perdre de vue les chantiers à
venir : ils concernent la recherche, le développement des activités
internationales, mais aussi la qualification des personnels. Nous devons y
travailler ensemble et je souhaite que le groupe de travail sur
l’enseignement supérieur Culture puisse se réunir rapidement sur ces
enjeux essentiels. Celui-ci devra également reprendre ses travaux sur la
décentralisation des enseignements artistiques, au vu de la dernière prise
de position de l’Association des régions de France (ARF), qui doit être
complétée prochainement par d’autres propositions. Les étudiants
d’aujourd’hui sont les artistes et les créateurs de demain ; il en va de notre
vitalité culturelle, il en va de notre rayonnement international.
Je voudrais brièvement évoquer le travail réalisé par la sénatrice Françoise
Férat sur les monuments historiques et sa proposition de loi discutée hier
au Sénat.
Ce texte me semble aller dans le bon sens dans la mesure où il rappelle
les conditions encadrant le transfert des monuments historiques tels
qu’elles avaient été définies par la Commission présidée par René
Rémond en 2004. Elle maintient le principe du contrat et du partenariat
entre la collectivité qui fait une démarche volontaire de demande de
cession et l’Etat qui propose les monuments aux collectivités. La création
d’un Haut Conseil du Patrimoine me semble également d’un grand intérêt,
en plaçant au coeur de la procédure la démarche culturelle, historique et
patrimoniale. Ce texte me semble favoriser une réflexion conjointe de l’Etat
et les collectivités territoriales afin de rendre accessible les monuments au
plus grand nombre et de le mettre au service du développement de vos
territoires.
2011 sera, vous l’avez compris, une année de travail et de réalisations.
Je souhaite porter une ambition artistique et culturelle pour le spectacle
vivant.
Je reste convaincu que la « société des écrans » qui se construit en ce
moment ne freine pas le désir de vivre de grands moments de partage et
d’émotion collective. L’analyse de la fréquentation des lieux de spectacle
vivant depuis quelques années me conforte dans cette conviction, qu’il
s’agisse des théâtres, des concerts, des spectacles de danse, de rue ou
de cirque. Nous assistons d’ailleurs au même phénomène dans les salles
de cinéma, qui ont connu un nouveau record de fréquentation en 2010
avec plus de 206 millions de spectateurs, et cela en dépit du
développement des supports numériques et de la vidéo à la demande.
Je sais que nos réseaux – Centres Dramatiques Nationaux, Centres
Chorégraphiques Nationaux, scènes nationales, Scènes de Musiques
Actuelles (SMAC) - sur l’ensemble du territoire, réalisent un travail
considérable de soutien à la création mais aussi de sensibilisation des
publics aux arts de la scène.
Mais je sais que subsistent des fragilités en ce qui concerne les marges
artistiques. Les conférences régionales du spectacle vivant, qui se sont
poursuivies tout au long de l’année 2010, ont permis de partager des
diagnostics et d’approfondir la réflexion sur les enjeux des années à venir
pour l’ensemble des équipes artistiques.
C’est pourquoi j’entends conduire au cours de l’année qui vient une étude
approfondie sur la question des financements et des ressources – au-delà
des subventions qui relèvent du budget du ministère - nécessaires au
développement de ce secteur. Le modèle vertueux du CNC, qui a permis
de stimuler la création cinématographique et de favoriser sa diffusion, tout
en structurant et en responsabilisant les professionnels, doit éclairer cette
réflexion. Mais je veux être clair : tout se fera avec les organismes
représentatifs du spectacle vivant, et tout se fera avec vous : les
collectivités territoriales sont les premiers financeurs du spectacle vivant et
je souhaite vous associer étroitement à cette réflexion qui constitue un
chantier majeur de l’année 2011.
Je souhaite que nous puissions réfléchir ensemble à une meilleure
promotion des musiques actuelles, et à une adaptation de nos outils. Les
nouvelles circulaires relatives au Scènes de musiques actuelles ont été
transmises aux préfets en septembre dernier et à cet égard il serait
souhaitable que nous réfléchissions ensemble à une ouverture de ces
outils à la location à des producteurs et entrepreneurs de spectacles. Il y a
dans ce sujet un enjeu de diversité culturelle et un enjeu économique, car
l’ouverture des SMAC à la location permet de mieux faire vivre l’ensemble
du système. Je pense qu’il faut également que nous ayons ensemble une
réflexion sur le cahier des charges des zéniths pour voir si ce cahier des
charges répond aux besoins et aux enjeux actuels.
Sur l’ensemble de ces questions et afin de relever des défis que je vous ai
indiqués précédemment, je travaille à un plan d’action pour le spectacle
vivant que je pourrai être en mesure d’annoncer au printemps 2011. Je
souhaite que vous puissiez avoir des échanges avec mon Cabinet et la
DGCA lors des réunions de travail régulières du Conseil des Collectivités
sur ce projet de plan d’action afin de recueillir vos réflexions.
Alors que nous nous apprêtons à fêter les 30 ans des Fonds régionaux
d’art contemporain, véritable outil de proximité au service de la création
contemporaine, outil d’aménagement culturel du territoire, instrument de
sensibilisation du public exemplaire, je souhaite également lancer un cycle
de concertation national sur les arts plastiques. Nous devons mobiliser
l’ensemble des acteurs de l’éco-système de l’art contemporain -
notamment ceux présents sur vos territoires (FRAC, Centres d’art, Ecoles)
- pour créer le désir d’art auprès de nouveaux publics, pour accompagner
les talents émergents, pour renforcer la scène française sur le plan
international.
Comme je le disais précédemment, je souhaite également que les 14
propositions pour le développement de la lecture annoncées en mars 2011
prennent corps désormais. Je sais que plusieurs « contrats territoirelecture
» sont en cours d’élaboration, je sais que plusieurs contrats
numériques pour les bibliothèques sont en cours de définition. Sachez que
je ferai tout mon possible pour être à vos côtés lors de leur signature dans
vos territoires. Le livre reste souvent la première porte d’entrée vers les
arts et la culture : c’est un enjeu majeur dans la réduction des inégalités et
dans la formation des jeunes publics.
Parmi les sujets d’actualité, nous évoquerons l'état d'avancement de la
réforme de l'enseignement supérieur Culture et celle des enseignements
spécialisés, dont j’ai parlé auparavant.
Je vous propose que les directeurs généraux et le secrétaire général, qui
sont présents à mes côtés, répondent à vos questions sur les sujets qui
vous mobilisent et sur ceux dont je viens de dresser un inventaire aussi
exhaustif que possible.
Lors du premier semestre 2011, j'ai noté que nous travaillerons ensemble
sur d’autres sujets de fond : l'archéologie préventive, la définition d'une
plateforme d'échanges, les expérimentations conduites dans le domaine
numérique, l'éducation artistique et culturelle et le développement durable.
Je suis malheureusement retenu et suis contraint de vous quitter très vite
pour participer à un débat à l’Assemblée nationale. Je le regrette vivement.
Mais avant cela, je souhaiterais entendre vos réactions au sujet du rapport
de Jérôme Bouët qui propose une « nouvelle donne » et trace un nouveau
chemin, dans le dialogue fondamental entre le Ministère et l’ensembles de
collectivités territoriales, ce dialogue continu et renouvelé, ce dialogue qui
doit sans cesse être renforcé. Mon directeur de cabinet, Pierre Hanotaux,
me succédera ensuite pour ce temps de partage et de dialogue.