Vous me pardonnerez pour commencer une référence peut-être un peu
légère : je connaissais surtout, pour ma part, les « chaussettes à clous »,
cette manière argotique de désigner les gendarmes qui a inspiré à Boris
VIAN une chanson célèbre et assez cocasse.
Eh bien, à l’occasion de cette cérémonie d’aujourd’hui, je découvre – ou je
redécouvre, car j’avais déjà eu l’occasion d’en admirer quelques
spécimens dans nos musées, et au cours de mes voyages – les fétiches à
clous, ces oeuvres d’une puissance évocatrice exceptionnelle.
Nous sommes réunis ici, ce matin, pour célébrer le retour dans les
collections publiques, en l’occurrence celles de cette cité des arts extraeuropéens
qu’est le Musée du quai Branly, de l’un des plus beaux et les
plus impressionnants de ces fétiches. Cette oeuvre avait été longtemps
égarée et portée disparue, et elle retrouve enfin sa place, sans qu’il ait été
aucunement nécessaire de recourir à l’intervention des gendarmes, de
faire cliqueter les « chaussettes à clous »... Même s’il est vrai que l’Office
Central de lutte contre le trafic des Biens Culturels (OCBC) dont je salue le
travail exemplaire, a, bien sûr, joué tout son rôle dans cette affaire.
Car j’ai la faiblesse de croire que ce n’est pas le pouvoir magique attaché à
cette statuette Nkondé tsangui qui a permis cette heureuse restitution, mais
bien le travail de nombreux départements ministériels et la mise et en place
de procédures précises et définies qui sont la meilleure garantie de la
préservation des collections publiques.
Derrière des rebondissements romanesques et presque merveilleux,
dignes des aventures du fétiche à l’Oreille cassé, c’est, bien sûr, l’efficacité
et l’opiniâtreté des agents de l’Etat et des passionnés qui explique ces
retrouvailles, et je tiens à saluer tout particulièrement le travail des équipes
du musée du quai Branly et de la Direction Générale des patrimoines qui y
ont contribué.
Derrière la magie de cette réapparition, il y a bien une série d’outils
éprouvés, et la démonstration, si besoin était, de l’importance du métier de
conservateur, de ces compétences qui peuvent parfois paraître bien
spécialisées, mais qui s’avèrent essentielles non seulement à la
connaissance de l’art et de son histoire et à sa diffusion auprès des
publics, mais même à l’intégrité de nos collections nationales.
Je pense aux inventaires composés avec une méticulosité remarquable
par les experts, tel Raoul LEHUARD, et qui constituent des instruments
indispensables pour les musées comme pour les collectionneurs qui jouent
un rôle si important dans l’enrichissement des collections, en particulier
dans le domaine des arts premiers. Je pense aussi à Internet, qui
démultiplie aujourd’hui les possibilités de recouper les informations et donc
de retrouver les oeuvres.
J’y ajoute la concertation étroite entre les services du Ministère de la
Culture et de la Communication, de l’Intérieur, de la Justice, d’Interpol
lorsque cela est nécessaire, autant de coopérations qui garantissent la
sûreté de ce bien commun à tous et à chacun que constituent nos
collections publiques, dont la propriété demeure inaliénable et
imprescriptible.
C’est pourquoi j’ai fait de la sûreté dans les musées, qui a connu des
épisodes fâcheux ces dernières semaines, une priorité de mon action
ministérielle, et je me réjouis que cette restitution vienne, à la suite d’autres
dénouements heureux, faire preuve des très bons résultats obtenus par
des services véritablement à l’affût, pour ne pas dire « au taquet », en
matière de lutte contre le vol et le trafic d’oeuvre d’art. Je pense notamment
au récent retour des glaives du roi Jérôme au Musée de Fontainebleau.
Enfin, et pour en revenir à notre fétiche, derrière la magie, il y a peut-être
aussi et surtout ce petit miracle que constitue l’honnêteté scrupuleuse,
celle de l’acheteur Didier CLAES, et celle, tout à fait exemplaire, de la
vendeuse, Madame Annie SALLES, une attitude parfaite qui répond à la
bonne foi et à la passion d’un père exceptionnel, Armand CHARLES.
Armand CHARLES était un véritable pionnier – et cela, non seulement
pour avoir ouvert la première pizzeria parisienne, à la grande époque de
Montparnasse et de Saint-Germain-des-Prés !... Pionnier, il le fut plus
encore comme collectionneur, dans sa découverte éclairée de l’art africain,
aux côtés du grand Charles RATTON dont il était le voisin et surtout l’ami
inspiré. Toute sa vie durant, il aura manifesté une sûreté de goût
incomparable et une probité irréprochable. C’est par là aussi qu’il vous a
transmis, chère Annie SALLES, un héritage intellectuel et moral que vous
avez su préserver et faire fructifier fidèlement et même pieusement,
comme le démontre de manière éclatante ce geste honnête et généreux
que vous avez accompli en faveur de nos collections, c’est-à-dire de tous
et de chacun.
C’est donc pour vous témoigner notre très grande reconnaissance, ainsi
que pour honorer en vous l’héritage vivant d’un père exceptionnel, chère
Annie SALLES, que j’ai le plaisir et l’honneur, au nom de la République
française, de vous faire Chevalier dans l’ordre des Arts et des Lettres.
Discours de Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture et de la Communication, prononcé à l’occasion de la remise officielle du fétiche à clous Nkondé par Madame Annie Salles, et de la cérémonie au cours de laquelle Frédéric Mitterrand lui a remis les insignes de chevalier dans l’ordre des Arts et des Lettres.
Monsieur le Président du Musée du Quai Branly, cher Stéphane MARTIN,Monsieur le Directeur général des Patrimoines, cher Philippe BÉLAVAL,Madame la Directrice chargée des Musées, chère Marie-ChristineLABOURDETTE,Chère Annie SALLES,Mesdames, Messieurs,Chers Amis,
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