« Willkommen, bienvenue, welcome » !
Il y a déjà quelques années de cela sur un plateau télévisé, j’expliquais
avec détermination à un présentateur français comment annoncer une
légende vivante : « Son père vous a fait danser pendant des années ; sa
mère vous a fait chanter pendant des années ; toutes les fées d’Hollywood
se sont penchées sur son berceau. Mesdames et Messieurs, Liza
Minnelli. »
Mais si ce n’était que cela.
Il suffit d’écouter une seconde votre vibrato si plein de chaleur et on perçoit
aussitôt le grondement sourd du New York qui ne dort pas. Il suffit de
surprendre une inclinaison de votre regard et c’est Broadway dans ses
lettres d’or qui scintille sous vos yeux.
En 1969, on découvre dans le Coucou stérile le personnage d’une jeune
fille pas comme les autres, passionnée, une amie, Pookie. Et déjà du haut
de vos 23 années se dessine une femme d’une très grande maturité à
l’humour ravageur, entièrement dévouée à la sincérité de ses
personnages, ce qui vous vaudra une première nomination aux Oscars.
En 1972, c’est Sally, la chanteuse désabusée du Kit Kat Club, bastringue
berlinois des années 20, qui nous envoûte dans Cabaret. L’envoûtement
fonctionne sur tout Hollywood et la petite statuette d’or vous est remise.
Cinq années plus tard, votre couple fusionnel à l’écran avec Robert de Niro
nous entraîne dans les coulisses des plus grandes scènes du music-hall
d’après-guerre, avec New York New York de Martin Scorsese. Dans ce
film, vous avez créé des « tubes » que Franck Sinatra aura la belle idée de
reprendre. Puis on vous redécouvre dans Arthur, et dans la Valse des
pantins ou Stepping out jouant votre propre rôle.
Mais là encore, il ne s’agit que de cinéma.
Prêtresse du music-hall, vous êtes l’incarnation contemporaine de la
polyvalence talentueuse à l’américaine. Comédienne assurément, mais
tout autant danseuse et surtout chanteuse.
Enfant, votre père vous disait « tu peux tout faire, il faut simplement le
penser ». Forte de cette recommandation, de beaucoup de travail et,
comme vous le dites, « accro à l’adrénaline », vous êtes partie à la
conquête de New York et à la conquête de vous-même.
Depuis maintenant plus de cinq décennies, de « Liza with a Z » jusqu’à
l’enregistrement de votre tout dernier album « Confessions », vous
assurez que « the show must go on » en épousant, comme rare le savent
encore aujourd’hui, l'une des traditions du jazz où le chanteur est un
musicien de l’orchestre à part entière.
Mais vous y avez insufflé votre modernité en considérant chacune des
chansons que vous interprétez comme un élément de votre propre histoire.
Poignante, euphorisante, enivrante, malicieuse, chacune de vos
apparitions sur scène est transportée par une énergie et par une intensité
qui signent votre personnage aux grands yeux noirs.
Pour la fierté des Français, cette intensité vous aurait été inspirée par des
noms français comme ceux d’Edith Piaf ou Jacques Brel. « Tout a
commencé pour moi à l’Olympia, à Paris », nous rapportez-vous. La fille du
réalisateur d’Un Américain à Paris, Vincente Minnelli, a peut-être trouvé
dans notre capitale la même liberté que Gene Kelly, le plus loin possible de
son imposante ascendance.
Et bien sûr, comment ne pas parler de votre ami Charles Aznavour, dont
vous portez les chansons outre-atlantique et que vous considérez comme
votre mentor. Pour symboliser l’amitié artistique qui vous lie depuis de
longues années et qui fait notre grand bonheur, on vous a vu partager tous
les deux la scène en 1992, le temps d’une série de concerts, du Carnegie
Hall au Palais des Congrès.
Pour reprendre les paroles d’une de vos chansons dans Cabaret, vous
êtes assurément un tigre, et non un agneau. Pourtant, vous assumez
également votre fragilité, votre émouvante humanité d’une femme qui a
grandi, observé et sûrement pleuré sous les feux de la rampe.
Votre conscience de cette fragilité doublée de votre caractère généreux,
vous l’avez mise au service de grandes associations humanitaires. La lutte
contre le Sida est l’un de ces combats qui vous tient le plus à coeur. C'est
pourquoi vous avez dédié de nombreux concerts au profit de l’AMFAR et
vous vous produisez souvent en France pour l’association Care. Comment
oublier la foi avec laquelle vous avez chanté « We are the champions »
lors du concert caritatif à la mémoire de Freddie Mercury, chanteur des
Queen, lui aussi mort du Sida ?
C’est aussi votre propre combat contre la maladie, une encéphalite virale
en 2000, que vous avez terrassée à coeur vibrant deux années plus tard en
revenant sur scène et en chantant « Liza’s back ».
Encore une fois, c’est votre incroyable énergie qui prédomine dans tous
vos combats. Et c’est cet hymne à la vie et à la liberté présent dans
chacune de vos chansons qui a sûrement contribué à vous ériger en icône
de la communauté gay à travers le monde, comme l’était également votre
mère, Judy Garland.
Malgré quatre Tony Awards, un Oscar, un Grammy d’honneur pour votre
carrière, deux Golden Globes, un Emmy, vous rapportez dans une
interview récente que « chaque fois que (vous) chante(z) New York New
York, (vous) imagine(z) que c’est la première fois ».
Votre présence sur scène est une invitation à la fête. Ce soir, une
Américaine à Paris va nous chanter toute sa joie de vivre sur la scène
grisante de l’Olympia – et nous démontrer, une fois de plus, que les
cabarets sont éternels.
Chère Liza Minnelli, nous vous conférons les insignes d’officier de la
Légion d'honneur.