Cannes, Palais Stéphanie, Salon Renoir,
Chère Letta MBULU,
Cher Caiphus SEMENYA,
Cher Peter GELB,
Cher Michael PENNIMAN ou plutôt cher MIKA,
Mesdames, Messieurs,
Chers amis,
« Sans la musique, la vie serait une erreur » : vous connaissez tous cette célèbre formule du philosophe allemand Frédéric NIETZSCHE. La musique, à nous tous, et en particulier à vous qui en êtes des serviteurs exemplaires, la musique est un peu notre patrie. Elle nous accompagne, elle apprivoise pour nous les aléas de l’existence, et nous tous, en particulier les artistes et leur public, nous vivons en elle et avec elle, autant qu’en nous-mêmes et avec autrui, qu’elle nous aide d’ailleurs à rencontrer et à aimer.
Aussi est-ce avec un immense plaisir et une grande émotion, qu’à l’occasion de ce 44e rendez-vous du MIDEM, je rencontre aujourd’hui, pour leur rendre hommage et pour leur témoigner l’admiration du public français, quatre personnalités exceptionnelles de la vie musicale d’aujourd’hui, qui, chacun avec son style et sa manière, nous accompagne dans la vie, lui confèrent son rythme, sa qualité et sa teneur.
Ces quatre figures de légende de la musique mondiale, je les mentionne ici dans l’ordre protocolaire prescrit par cette cérémonie de décoration, mais il va sans dire que je les mets à égalité pour la joie de vivre qu’elles nous offrent chacune sans compter.
Peter GELB, le Directeur du Met, le fameux Metropolitan Opera de New York, qui a su mettre l’opéra à la portée de tous et de chacun.
Un couple mythique de la musique d’Afrique du Sud, pays à l’honneur, vous le savez, dans cette édition du MIDEM, avant d’être bientôt la capitale du ballon rond : la grande chanteuse Letta MBULU et son compagnon le compositeur et producteur Caiphus SEMENYA, tous deux attachés à la lutte historique contre le régime inique de l’apartheid et en faveur de l’égalité entre les hommes, quelle que soit la couleur de leur peau.
Enfin, last but not least, le chanteur MIKA, que, malgré son jeune âge, on ne présente déjà plus, tant son énergie et sa grâce communicatives ont su traverser les frontières, non seulement géographiques, mais sociales, ou encore de génération pour venir s’adresser à chacun d’entre nous, nous séduire et nous émouvoir.
Dear Peter GELB,
Permettez tout d’abord à l’amoureux d’opéra que je suis depuis toujours – en particulier de PUCCINI et singulièrement de Madame Butterfly – de vous dire à quel point je suis heureux de rencontrer un grand passeur lyrique tel que vous.
Votre parcours est à la fois exceptionnel et, en même temps, un symbole de ce mythe américain que vous incarnez. Vous avez gravi tous les échelons ou toutes les marches du MET : vous y commencez comme huissier, pour franchir ensuite (après avoir été notamment à la tête de SONY CLASSICAL) la grande porte de la plus grande Maison d’Opéra du monde, en en devenant le Directeur, au point d’être à ce poste, selon le très sérieux Times Magazines en 2008, l’une des personnalités les plus influentes du monde…
Mais c’est aussi cette expérience exceptionnelle et ascensionnelle, qui vous a appris qu’il fallait chercher par tous les moyens à mettre l’opéra et la musique classique à la portée de chacun, de chacun d’entre nous.
Pour y parvenir, vous avez eu cette idée de génie : utiliser le vecteur d’Internet pour que chacun, justement, puisse ouvrir ou au moins entrouvrir les portes de l’Opéra, sans être, comme c’est le cas trop souvent, intimidé, ou empêché par de trop faibles ressources. En pionnier, vous avez pris la mesure de ce grand enjeu de la révolution numérique et créé ces retransmissions haute-définition en direct sur Internet, sur des radios satellitaires, des plateformes mobiles, ou encore sur des écrans géants de cinéma.
Il y a bien sûr eu des résistances, des polémiques : c’est toujours le prix de l’originalité, des voies nouvelles et je dirais (le jeu de mots est peut-être difficile à traduire en anglais…) des voix nouvelles – vous êtes bien placé pour le savoir, comme producteur d’opéra ! Et comme toutes les bonnes idées, elle a déjà été imitée dans plusieurs pays.
C’est un signe de la vitalité de l’institution à laquelle vous appartenez que d’avoir su vous accueillir, et chacun se rend bien compte que vous avez tenu votre pari, car en deux saisons, vous avez su attirer un public jeune, renouvelé, qui jusque-là n’allait pas à l’opéra, et qui en a profondément envie aujourd’hui. Vous avez su créer le désir, et y répondre : c’est un formidable message d’espoir pour nous tous, et notamment pour les professionnels de la musique rassemblés ici au MIDEM. Votre présence à ce grand-rendez-vous, comme un « totem » (si j’ose dire) de la réussite, est avant tout un symbole : celui du succès de l’imagination, de l’innovation, de l’audace ! « De l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace » : voilà quelle pourrait être la devise de celui qui a su créer la surprise en inventant « l’opéra pour chacun » à l’heure numérique.
Cher Peter GELB, au nom de la République française, nous vous remettons les insignes d’OFFICIER dans l’ordre des Arts et des Lettres.
Chère Letta MBULU,
Cher Caiphus SEMENYA,
Permettez-moi de m’adresser à tous deux ensemble, au très beau couple que vous formez depuis plusieurs décennies, à « Letta et Caïphus », pour reprendre le titre de votre célèbre spectacle et surtout du groupe qui vous réunit, vous rassemble et vous ressemble.
Vous savez peut-être que je me suis beaucoup intéressé aux têtes couronnées dans une vie antérieure : eh bien, vous me faites l’impression d’un couple quasi royal, célébré comme tel en Afrique du Sud et dans tous les pays qui vous accueillent, car vous donnez à rêver des destins qui nous parlent, à tous et à chacun.
Je citais pour commencer cette belle phrase de NIETZSCHE sur la musique sans laquelle « la vie serait une erreur ». Dans une autre version moins connue de cette phrase qu’il a écrite plusieurs fois, il ajoute ce qu’elle serait : « un labeur éreintant, un exil »… L’exil, vous l’avez connu, parce que vous avez été victime de ce régime inique de l’apartheid, ce parangon du racisme, cette anomalie de l’Histoire. Par votre carrière, vous montrez bien que la musique est une résistance à l’exil. Car votre musique n’est pas seulement entraînante, elle est aussi résistante et même conquérante. Elle nous fait puiser dans nos réserves de vie, elle est une forme joyeuse de mobilisation : une objection au mal – une objection faite rythme, faite vie, faite danse, faite joie – et elle est donc un message d’espoir pour tous ceux qui subissent l’oppression.
Et en même temps, ce message n’est pas seulement tourné vers des temps à venir : c’est une joie immédiate, qui se déploie ici et maintenant. Votre musique a été la meilleure résistance à l’iniquité de l’apartheid, car de même que la non-violence est la meilleure réponse à la violence, de même la joie conquérante et fière que dispense votre musique est déjà l’accomplissement de la promesse qu’elle porte.
Mais votre exil a peut-être aussi été, en un sens et par des voies impénétrables, l’occasion de mieux vous saisir votre propre identité par votre art. C’est aux Etats-Unis – à New-York, puis sur la Côte Ouest où vous établissez ensuite – que vous avez rejoint la diaspora de l’Afrique du Sud et que vous avez travaillé avec les plus grands : MAMA AFRICA bien sûr, la fameuse Miriam MAKEBA, disparue récemment et à laquelle vous rendrez hommage ici à Cannes, mais aussi Michael JACKSON, auquel LETTA prête sa voix dans Liberian Girl et dont nous regrettons tous la présence tellement vivante et incandescente ; ou encore, parmi tant d’autres, Quincy JONES, avec lequel vous avez travaillé l’un et l’autre en étroite complicité. De King Kong, la comédie musicale qui vous a révélée, chère LETTA, jusqu’à la mythique série Roots produite par JONES, dont Caiphus compose la musique et où vous interprétez le générique, que de chemin parcouru ! Et que de hautes récompenses. Il m’est impossible de les mentionner ici, tant elle sont nombreuses et prestigieuses.
Ces « racines » (Roots), elles sont bien sûr profondément symboliques. Elles dessinent une arborescence, un arbre généalogique de la musique afro-américaine, à laquelle tous deux avez donné tellement de sève.
Bien entendu, je ne néglige pas les traces, les marques et même les séquelles de la ségrégation dans l’Amérique que vous avez connue dans les années 60, mais c’est là-bas, aux Etats-Unis, dans ce laboratoire de la modernité, que vous avez pu composer le cocktail de la musiquée métissée, qui est comme le prototype d’une société libérée des préjugés. C’est aussi là que vous avez fortement contribué à inventer la world music. Le métissage des styles, ce sont vos véritables racines, et j’irais presque jusqu’à dire que le métissage, c’est votre « patrimoine génétique » : c’est d’ailleurs, en réalité, nous le savons bien, notre cas à tous, et vous le démontrez de façon exemplaire par votre musique. Vous métissez aussi les talents : ainsi, Chère LETTA, vous ne nous offrez pas seulement le charme de votre voix si chaleureuse, mais vous écrivez aussi des chansons pour Mariam MAKEBA, qui leur prête la sienne, ainsi que sa magnifique présence.
Mais ce laboratoire est aussi un atelier : car, un peu comme des résistants, vous vous êtes battus pour promouvoir la musique sud-africaine, pour en soutenir les artistes, notamment au sein du South Africa Artists United et par le grand projet musical Buwa, qui a tourné à travers toute l’Afrique, et c’est peut-être par là que vous êtes devenus cette légende que vous êtes aujourd’hui. Peu à peu, votre musique militante est devenue une musique triomphante, lorsque vous êtes enfin revenus au pays, après la chute ce régime indigne. Depuis votre retour en 1991, vous avez été les porte-voix du renouveau et de la réconciliation, avec toujours la même énergie, la même joie de vivre communicative.
C’est pour récompenser tous ces talents et cet engagement exemplaires que j’ai tenu à vous rendre hommage aujourd’hui, à l’occasion de ce MIDEM où vous êtes, d’une certaine façon, les ambassadeurs de l’Afrique du Sud et de sa musique.
Chère Letta MBULU, Cher Caiphus SEMENYA, au nom de la République française, nous vous remettons les insignes d’OFFICIER dans l’Ordre des Arts et des Lettres.
Cher MIKA,
Je me tourne à présent vers un jeune artiste dont le succès est fait pour donner de l’espoir à toute la filière du disque, ici rassemblée à Cannes.
J’ai envie de vous demander : comment avez-vous fait pour séduire tant de gens de toutes générations et vous imposer aussi vite comme l’une des figures de jouvence de la musique pop internationale.
Je crois que je vois, à titre personnel, plusieurs explications à ce succès hors norme, en dehors, bien sûr, d’un immense talent.
La première, c’est que pour qu’un artiste devienne universel, il doit d’abord savoir être unique. Et je pense ici aux maisons de disque qui ont d’abord refusé votre premier album et voulaient vous mettre sur des sentiers battus, sur des vieilles recettes. Elles vous trouvaient « trop différent » ! Mais au lieu de vous acclimater et de vous adapter, c’est-à-dire de perdre votre personnalité, vous avez répliqué avec vaillance, humour et brio dans votre célèbre chanson Grace Kelly, sorte d’hymne à la joie d’être soi-même.
La deuxième explication, je la vois dans la manière dont vous restez vous-mêmes tout en maniant les références musicales. Vous préférez jouer avec la tradition de la pop music pour mieux l’ajouter à votre personnalité, plutôt que de chercher à en refouler l’héritage et chacun retrouve en vous des clins d’œil au grand Freddy MERCURY, aux BEE GEES, aux BEATTLES. Ils vous inspirent, mais en retour vous leur donnez une nouvelle jeunesse en les revisitant. Et par là vous réconciliez toutes les générations de la pop, tous les « enfants du Rock », pour reprendre le titre d’une émission culte d’autrefois…
Plus profondément peut-être, votre universalité provient de votre dimension de globe-trotter métissé : issu d’une mère libanaise et d’un père américain, vous avez vécu aussi près de 10 ans à Paris, avant de vous installer à Londres. Vous chantez parfois en français, avec une diction parfaite, et votre concert au Parc des Princes, devant un public de plus de 50.000 personnes en liesse, a marqué les esprits. Vous avez gardé sans doute un peu de chacune des atmosphères de chacun de ces pays que vous connaissez bien et que vous incarnez à merveille, et vous avez ainsi inventé une autre manière d’être un chanteur de pop music universel.
Bien sûr, ce succès tient aussi à la diversité, à la quasi universalité de vos talents, de la chanson à la composition de toutes sortes de musique, y compris des jingles, mais sans tomber jamais, est-il besoin de le préciser, dans le travers de ce personnage de Peter’s friends qui anime la soirée plutôt à ses dépens avec ses musiquettes… Diversité des genres, diversité des styles, vous parcourez tout cela avec l’énergie ironique de la jeunesse et nous offrez ainsi votre fraîcheur. Vous faites partie de ces touche-à-tout de génie qui transforment en or tout ce qu’ils touchent.
Enfin, bien entendu, votre voix, unique par sa tessiture exceptionnelle et sa virtuosité exubérante franchit les frontières avec une joviale insolence. Elle semble se rire des obstacles et des octaves en vous permettant d’aller du baryton aux hauteurs du contre-ténor. Elle renvoie ainsi d’un revers de la main les distinctions factices, les cloisonnements rigides, les conventions de tessiture, et même de genres, toute une discipline qui pouvait encore peser sur les artistes, presque à leur insu.
Ainsi, par cette voix qui embrasse tout le spectre de nos potentialités, par votre style et votre univers qui explore toute la palette des émotions, vous nous accompagnez et vous nous attachez à votre histoire : nous suivons de l’enfance à l’adolescence, ce personnage que vous créez, qui porte à la fois beaucoup de vous-même et qui ne se confond pas non plus complètement avec vous, et qui est ainsi à la fois vous et nous.
Comme Peter GELB, votre talent est fait aussi de lucidité et d’anticipation. Vous avez aussi compris très vite les potentialités du réseau numérique Et vous avez été l’un des tout premiers à diffuser un single par voie de téléchargement. Un pionnier, en somme, de l’offre légale, que nous sommes en train de développer en Farnce!
A l’universalité des publics et des talents répond celle des récompenses et reconnaissances, que votre succès foudroyant a accumulées sur vous : vous êtes notamment disque de diamant, et si je vous remets cette nouvelle distinction, ce n’est pas pour vous encombrer, mais simplement pour marquer l’attachement du public français, qui vous suit et vous aime depuis la première heure comme l’un des siens, à votre travail.
Cher Michael PENNIMAN, Cher MIKA, au nom de la République française, nous vous remettons les insignes de CHEVALIER dans l’Ordre des Arts et des Lettres.