Le chef d’oeuvre inconnu : le titre de la nouvelle d’Honoré Balzac fait écho
à la qualité de cette tapisserie exceptionnelle, ce dais de Charles VII
« tombé du ciel » à l’image des anges qu’elle figure. Derrière cette nouvelle
naissance, il y a bien une série d’outils éprouvés, et la démonstration, si
besoin était, de l’importance du métier de conservateur, de ces
compétences qui peuvent parfois paraître bien spécialisées, mais qui
s’avèrent essentielles non seulement à la connaissance de l’art et de son
histoire et à sa diffusion auprès des publics, mais même à l’intégrité de nos
collections nationales. Je veux ici rendre hommage à Elisabeth Antoine,
Conservateur en chef au Département des objets d’art, pour son
engagement et sa passion dans cette réappropriation.
Cette pièce était inconnue des historiens d’art avant septembre 2008. Elle
entre aujourd’hui, au titre de Trésor national, dans les collections
publiques. La générosité de la Société des Amis du Louvre complétée par
le soutien de l’établissement et de l’Etat, à travers l’intervention du Fonds
du Patrimoine, lui restituent aujourd’hui sa place légitime, en la proposant
au regard du public. A partir de demain, elle sera visible pour les visiteurs
du Louvre aux côtés de l’autoportrait de Nicolas Fouquet, peintre par
excellence du règne Charles VII, dont Jan Van Eyck, fut en quelque sorte
le pendant à la cour de Bourgogne.
Je veux aussi profiter de cette occasion pour souligner l’engagement
exemplaire de la Société des Amis du Louvre dans l’enrichissement des
collections de ce grand établissement, musée par excellence de la Nation.
Alexandre Lenoir ne dit pas autre chose alors même que l’idée de musée
voit le jour : « Le musée doit être établi avec assez de magnificence pour
parler à tous les yeux et appeler des quatre coins du monde les curieux,
qui se feraient un devoir d’ouvrir leurs trésors pour les verser chez un
peuple ami des arts ». Cette ambition internationale et cette capacité à
porter une vision pour le Louvre du XXIe siècle, est intimement liée à la
présence de pièces exceptionnelles comme celle qui est présentée
aujourd’hui.
Par ses coloris et la qualité de ses motifs, par l’élégance du traitement des
visages et des drapés, mais aussi par son état de conservation, cette
tapisserie surprend le visiteur mais aussi le spécialiste. De la tenture de
l’Apocalypse d’Angers à la Dame à la Licorne, rares sont en effet les
tapisseries à fond rouge. Si l’on suit Michel Pastoureau, parler de « couleur
rouge » est presque un pléonasme. D'ailleurs, certains mots, tels coloratus
en latin ou colorado en espagnol, signifient à la fois "rouge" et "coloré".
Dans le système symbolique de l'Antiquité, qui tournait autour de trois
pôles, le rouge était la couleur par excellence, la seule digne de ce nom.
La suprématie du rouge s'est par la suite imposée à tout l'Occident,
accentuée par la symbolique religieuse du rouge vermeil, traduction de
l’Esprit saint et des langues de Feu qui descendent sur les apôtres le jour
de la Pentecôte. Au-delà, la période de la guerre de Cent Ans fut bien celle
de l’opposition, j’ose le dire, entre le rouge et le noir, entre le rouge des
Valois et le noir du duc de Bourgogne, traduction du deuil porté par
Philippe Le Bon après l’assassinat de son père.
C’est souligner combien le dais du trône de Charles VII est profondément
lié à son origine royale mais aussi à la charge symbolique qu’il porte pour
les visiteurs de celui que ses détracteurs appellent parfois le « roi de
Bourges ». Le soleil d’or et les petits soleils qui l’accompagnent font en
effet partie des emblèmes des rois de France au XVe siècle ; elle
caractérise le règne de Charles VII et le pose en roi « Victorieux » après la
reconquête du Royaume sur les Anglais, les Armagnacs et les
Bourguignons. Lorsque celui qui fut le « gentil dauphin » était assis sur son
trône, les deux anges en vol qui apparaissaient ne manquaient pas
d’affirmer l’essence divine et la dimension sacrée du pouvoir royal.
Par ailleurs, la tapisserie met l’accent sur la cérémonie du couronnement
de Reims et sur sa légitimation divine. L’iconographie présentée ici est
assez inhabituelle : habituellement, les anges couronnent la Vierge ou
apportent la sainte Ampoule, onction divine pour qui détient le pouvoir
royal et devient dès lors thaumaturge, ainsi que l’a montré le grand
historien Marc Bloch. Ce dais commémore donc la cérémonie du sacre,
par ailleurs rapidement expédié : il vise à transfigurer l’image royale et à
faire du « petit roi de Bourges », au pouvoir si fragile, l’élu de Dieu régnant
sur le Royaume, sorte de préfiguration de l’iconographie symbolique qui
sera celle des Souverains à l’époque moderne.
Unique par son iconographie, exceptionnelle par son intérêt historique,
cette tapisserie entre aujourd’hui au Louvre comme Trésor national. Cela
souligne l’importance de cet art dans les collections royales, comme l’a
illustré cette année la belle exposition de la manufacture des Gobelins
consacrée aux tapisseries bruxelloises et malinoises et comme en
témoignent les pièces conservées au Louvre, au château d’Ecouen ou au
musée Jean Lurçat d’Angers. La tapisserie est partie prenante de l’univers
des princes à la fin du Moyen Age : elle est un intérieur portatif, une
mémoire mobile et à ce titre un patrimoine riche de suggestions et de
valeurs.
Cette tapisserie est aussi un jalon essentiel dans l’histoire de la
représentation du pouvoir royal. Elle entre dans cette ancienne résidence
des rois de France, au coeur de ce Paris que Charles VII reconquit en
1437, sous son étendard vermeil au soleil d’or auquel cette pièce fait
directement écho. Elle traduit également les échos et les correspondance
entre les « lieux de mémoire » de l’épopée de Charles VII : Bourges bien
sûr, où le maître tapissier Jacob de Littemont décora aussi, si l’on suit
certains exégètes, la cathédrale et la chapelle de l’hôtel Jacques Coeur ;
mais aussi Chinon, Loches.
Autant de lieux d’histoire et de patrimoine qui façonnent un paysage et un
réseau à même de nourrir le projet de Maison de l’Histoire de France porté
par le Président de la République afin de remettre l’histoire au coeur de
notre projet de société. Un réseau multiple, innovant, ouvert sur le monde
et sur les musées d’histoire de nos partenaires européens. Un réseau riche
de la diversité de ses établissements et des collections – d’archéologie,
d’histoire de l’art, de société. Un réseau affirmant la nécessité d’une
histoire qui questionne, qui ne soit pas enfermée dans un récit clos sur luimême
dans la filiation du message délivré par l’école des Annales.
La qualité du travail de recherche et de restauration autour de cette oeuvre
s’inscrit pleinement dans cette ambition pour l’histoire dans notre pays. La
demande du public ne se dément pas : l’affluence des « historiens du
dimanche » - pour reprendre la belle expression de Philippe Ariès - dans
les salles d’archives, mais aussi l’intérêt suscité par les émissions
consacrées aux sujets historiques, ou bien la qualité d’une manifestation
ouverte à la communauté scientifique comme les Rendez-vous de l’histoire
de Blois en témoignent.
La mondialisation de l’information et la construction d’une ambition
culturelle pour l’Europe ne peuvent faire l’impasse sur l’exigence des
racines historiques. Leur valorisation à travers les objets d’art participe à
l’ambition d’une culture accessible à chacun tout autant qu’à la
construction d’une citoyenneté pleine et entière. Car il n’est de futur
partagé sans passé assumé ; il n’est de transmission des valeurs
républicaines sans comprendre la sédimentation du temps et de la longue
durée. La force visuelle et symbolique de ce Trésor national peut y
contribuer : elle est à même d’enseigner de plaire et d’émouvoir - docere,
placere, movere - si l’on veut bien suivre les canons d’une esthétique
classique dont vous connaissez, Monsieur le Président de la Société des
Amis du Louvre, cher Marc Fumaroli, les moindres détours et les chemins
les plus ardus.
Je vous remercie.
Discours de Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture et de la Communication, prononcé à l'occasion de la présentation officielle du dais du trône de Charles VII
Monsieur le Président-Directeur du musée du Louvre, cher Henri Loyrette,Monsieur le Président de la société des amis, cher Marc Fumaroli,Monsieur le Directeur général des Patrimoines, cher Philippe BÉLAVAL,Madame la Directrice chargée des Musées, chère Marie-ChristineLABOURDETTE,Mesdames et Messieurs les Conservateurs,Chers Ami(e)s,
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