Fénautrigues : le titre de l’œuvre sonne comme une petite madeleine de Proust pour les familiers du Lot, comme une plongée dans ces terres du Sud Ouest, entre terre sombre, « caselles » en pierre sèche des Causses et bruissements des rivières dans les cingles majestueux, ce pays sauvage et secret dont vous êtes, cher Jean-Luc Moulène originaire, ce territoire que le Président de la République Georges Pompidou, dont nous commémorons cette année le 100e anniversaire de la naissance, contribua à ouvrir à l’art contemporain.
L’œuvre que nous présentons aujourd’hui est le fruit d’une commande publique dont la maîtrise d’ouvrage a été assurée par le Centre national des arts plastiques. Elle traduit l’importance de ce dispositif mis en place dans les années 1980 dans la diffusion de la création et de l’art contemporain auprès des publics les plus larges, tout en le renouvelant, puisque c’est la première fois, je crois, qu’un livre entre dans les collections du Centre national des arts plastiques à ce titre ; un livre qui est à la fois, donc, une œuvre unique et un multiple. La moitié des exemplaires du volume seront diffusés gratuitement au niveau régional auprès des lycéens, des lieux d’art en Midi Pyrénées, des bibliothèques et médiathèques, mais aussi, au niveau national, à destination des centres d’art, des Fonds régionaux d’art contemporain, des écoles supérieures d’art en France, soit environ 500 exemplaires diffusés vers des lieux culturels et des lieux d’enseignement. Cette commande publique s’accompagne également d’un dispositif ambitieux de médiation par le biais du Journal de la commande, qui accompagne le volume, véritable « guide de visite » associé à l’œuvre.
Je me réjouis que cette œuvre aille ainsi à la rencontre du public, démarche constitutive de la commande qui porte ce nom, essentielle au ministère de la Culture et de la Communication. Je m’en réjouis d’autant plus que, dans le cas présent, l’interaction entre l’œuvre et l’espace public est au cœur du travail de l’artiste et, en quelque sorte, la prolonge, sans la dénaturer.
De 1991 à 2006, Jean-Luc Moulène photographie les lieux de son enfance, dans le Lot. Il réalise une somme de 5000 images qui constituent une « mémoire des lieux », de véritables archives sensibles du patrimoine naturel et paysager. En 2002, les Ateliers des Arques éditent une première série de 5 images au format poster. Le point de départ du projet réside dans la communication gratuite de ces images : il s’agit de manifester le désir d’une future commande publique en attirant l’attention des commanditaires potentiels. Dès 2003, Jean Luc Moulène et les Ateliers des Arques réfléchissent à la forme la plus adéquate pour réaliser ce projet. C’est en 2008 que le projet prend une forme définitive.
L’œuvre relève finalement, par son ampleur, d’un monument, mais c’est un monument mobile. Jean-Luc Moulène conçoit l’édition de l’archive comme un plasticien imagine, réalise et montre une œuvre d’art. Proches du relevé, de la vérification, les prises de vues sont une description du travail des champs et de la nature. Il n’y a donc ni visages ni bâtis. Sans jamais pratiquer l’observation scientifique, qui reposerait sur un point de vue permanent et un relevé à heures constantes, l'artiste s'est attaché à donner à chaque image la singularité de la rencontre familière. Son parti pris est celui des choses, comme disait Francis Ponge, là où l’air, les nuages, la nature des arbres, les pierres semblent être l’unique matière du monde. Votre « long poème anti-épique », cher Jean-Luc Moulène, est le fruit d’un travail de compilation, de collage, je n’ose pas dire de collection de plus de 15 années. Vous y saisissez la nature dans se tourments, dans ses continuités mais aussi le jardin – et notamment le potager - cette figure intermédiaire construite, ce lieu d’apprivoisement, de mise en ordre, qui signe la présence absente de l’homme. Vous y faites figurer une scène ancestrale, celle du découpage du cochon, du corps-à-corps avec le boucher-paysan, qui est et reste la seule figure humaine de Fénautrigues. De la vanité à la nature morte, la scène renvoie à Rembrandt, de même que celle qui fait figurer une pièce de viande sur son torchon immaculé, avant deux vues avec cette lumière sombre de cave, ultimes regards avant la plongée poétique et réaliste dans les chemins, les ruisseaux, les sous-bois qui donnent chair au paysage.
Je ne voudrais pas oublier la participation du graphiste Marc Touitou co-auteur de l’objet final de cette commande, qui entretient une longue collaboration avec Jean-Luc Moulène. Leur travail conjoint participe à la qualité et à l’exigence du projet.
J’attache une importance particulière au graphisme, j’aurais l’occasion d’en reparler bientôt. J’ai dit également à de nombreuses reprises mon attachement à la photographie. Aux côtés de la « Mission de la photographie » que j’ai souhaité installer ; en plus du soutien que nous apportons aux grandes manifestations valorisant la photographie dans ses dimensions à la fois plastiques et documentaires, des Rencontres internationales d’Arles à Visa pour l’image ; j’ai ainsi demandé au directeur général de la création artistique de proposer avant l'été une adaptation des procédures de la commande publique prévoyant une meilleure association des institutions qui, à Paris ou en région, jouent un rôle en matière de conservation et de diffusion.
Cela suppose, entre autres, d'associer dès le départ les lieux – les centres d'art comme Le Point du Jour, les festivals et d'autres acteurs – de soutenir leur projets, de proposer d'autres possibilités de présentation dans l'espace public, en ayant notamment recours aux ressources du numérique et de l’univers multimédia. Je suis en effet convaincu de la complémentarité des lieux et des « non lieux », de l’univers physique et de l’univers numérique dans l’accès à la création contemporaine. Je n’oublie pas enfin le fait que la commande publique permet de garantir les conditions de conservation et de gestion des droits des auteurs, auxquels j’attache une attention toute particulière.
Pour toutes ces raisons, le lancement de cette commande publique ici, Fénautrigues, dans les salons du ministère de la Culture et de la Communication, m’était cher. Je suis heureux que nous ayons pu convenir d’une date avec tous les participants, notamment avec Jean-Luc Moulène, dont je sais qu’entre la biennale de Charja et la Dia Beacon, il est un de ces artistes français qui comptent à l’étranger, et qui nous rendent fiers en France.