Le tournant numérique est devant nos yeux : le Ministère de la Culture et
de la Communication est pleinement engagé dans cette nouvelle ère, j’ai
fait de la numérisation de l’offre et des contenus culturels l’une de mes
priorités. Je suis convaincu qu’il s’agit d’une chance formidable pour nos
créateurs et pour l’économie de la culture. Je suis persuadé que, dans la
mondialisation, la culture française, dans toute sa richesse et sa diversité,
sera numérique ou ne sera pas.
Il implique aussi une exigence soutenue et une vigilance accrue en terme
d’éthique et de respect de l’oeuvre. Face aux nouveaux modes de
consommation, face aux nouveaux médias, le rôle des pouvoirs publics
consiste à rester en alerte : c’est le sens de la loi Hadopi, dans sa
dimension dissuasive et pédagogique. Afin de développer l’offre légale, il
ne s’agit pas de « surveiller et punir », mais bien de contrôler et garantir.
Le 14 décembre 2009, le Président de la République a annoncé les
modalités de l’Emprunt national, d'un montant de 35 milliards d'euros. Cet
emprunt a pour objectif d'investir dans les cinq priorités d'avenir que
représentent l'enseignement supérieur et la formation, la recherche, le
développement des industries et PME, le développement durable et le
numérique.
Cependant, nous ne devons pas confondre l’ambition numérique et
l’illusion technologique, les moyens et les fins, les tuyaux et la création. La
révolution numérique ne sera réussie que si elle s'accompagne de
services, d'usages et de contenus riches et stimulants. Il s’agit bien de
projeter nos créateurs et nos industries culturelles vers l’horizon mondial,
vers l’économie d’aujourd’hui mais aussi vers les marchés de demain.
La logique de co-investissement et le développement de partenariats
public-privé sont au coeur de cette démarche car il s’agit de créer une
véritable filière numérique culturelle.
Le développement de l'économie numérique est en effet au coeur des
« investissements d'avenir »
Les « investissements d'avenir » ont pour objet de renforcer et de stimuler
le potentiel de croissance de notre pays. Une politique volontariste
d'investissement entend développer quelques axes stratégiques afin de
renforcer l’attractivité de notre pays et de favoriser la création de nouveaux
gisements d’emploi.
Le Fonds national pour la société numérique, fonds spécial placé auprès
de la Caisse des dépôts et consignations, mettra en oeuvre les moyens
financiers correspondants. Il a été mis en place le 8 septembre dernier et il
consacrera 2,5 milliards d'euros aux nouveaux usages de l’économie
numérique, dont 750 M€ d’euros seront destinés au financement de la
numérisation des contenus culturels, scientifiques et éducatifs. Il apportera
son soutien aux projets bénéficiant d’un retour sur investissement pour
l'Etat et ayant le plus fort impact en termes de création d'activité
économique, d'emplois, d'aménagement du territoire.
Les contenus culturels sont au coeur de cette ambition politique. Dans ce
domaine, le passage au numérique a longtemps été « subi » ; l’ambition
des investissements d’avenir consiste précisément à anticiper, à prendre
les devants.
Au-delà du développement de l’offre légale, il s’agit de servir la création et
l’offre culturelle, à travers la mise en place d’une véritable filière
numérique culturelle. Il s’agit également de suivre les préconisations du
rapport de la mission Création et Internet, en cessant de considérer le
réseau mondial comme un épouvantail ou un péril à conjurer, mais
comme une chance à saisir pour nos artistes et nos créateurs.
La consultation publique sur les usages du numérique a été lancée le 7
juin 2010 par le secrétariat d'État chargé de la Prospective et du
Développement de l’économie numérique et le Commissariat général aux
investissements, en concertation avec le ministère de la Culture et de la
Communication. Elle a mis en évidence une réponse favorable de la part
des acteurs du numérique, qu'il s'agisse de grands groupes, PME, TPE,
d'associations, d'acteurs publics ou de particuliers. Elle a mis à jour des
projets innovants mais aussi des initiatives récentes, qui viennent
répondre à des besoins et des usages nouveaux. Le ministère de la
Culture et de la Communication doit être à même d’accompagner voire
d’anticiper ces nouvelles pratiques et ces nouveaux usages.
La numérisation des contenus culturels, éducatifs et scientifiques est en
effet un potentiel identifié dès l'origine. Il a été confirmé par les résultats
de la consultation publique
Au sein du volet « usages, services et contenus », plusieurs champs
thématiques ont été identifiés dès l'origine : parmi eux, celui de la
« numérisation des contenus culturels, éducatifs et scientifiques », doté de
750 M€.
A travers ce soutien, l’ Etat entendu poursuivre plusieurs objectifs :
D’abord, le développement d’une offre légale dans le domaine du
numérique
Ensuite, l’accent mis sur la Recherche-développement (R&D) et les
services innovants
Enfin, la promotion de nouveaux modes de valorisation du patrimoine
culturel et artistique ainsi que des contenus éditoriaux
La diversité des 141 contributions apportées à la consultation
témoigne de l’intérêt suscité et de la mobilisation des professionnels et
des acteurs économiques. Ces contributions concernent tous les types de
contenus culturels : l'écrit - presse et imprimé -, la musique, le cinéma,
l'audiovisuel, la photographie, mais aussi la création et le jeu video.
Quatre grands chantiers ont déjà fait l’objet d’échanges approfondis
durant le premier semestre entre mon Ministère, le Secrétariat d’Etat à
l’économie numérique et le Commissariat. Je souhaiterais les évoquer
devant vous brièvement, dans la mesure où ils s’inscrivent dans les
ambitions qui sont les miennes rue de Valois. Du fait de leur exemplarité
au regard des critères définis par le Commissariat général, ils ont
dorénavant toutes les chances de passer les prochaines étapes de la
procédure.
Tout d’abord, le développement de l’offre légale peut être illustré dans le
domaine du cinéma et du livre.
La création d’une plateforme de 3000 titres en format VOD, en lien avec
des partenaires privés mutualisant leurs catalogues, s’inscrit dans cet
objectif. Devraient ainsi être numérisés les longs métrages postérieurs à
1929, les films de Jean Cocteau, Julien Duvivier, René Clair ou Alain
Resnais et, je l’espère aussi, le merveilleux continent du cinéma muet.
Restaurer et numériser sur de nouveaux supports, c’est bien entendu
servir la mémoire du cinéma et sa transmission. C’est aussi faciliter
l’accès à ce patrimoine à un large public, notamment les scolaires et les
jeunes générations. C’est enfin préserver et développer un emploi à forte
compétence dans les filière techniques et les laboratoires. 20 ans après le
dernier grand programme public, le plan Nitrate, c’est adresser à l’Union
Européenne et au monde un message fort de positionnement.
Dans le domaine de l’écrit, au regard de la stratégie de numérisation
lancée par Google, l’objectif est de faire une proposition nationale, légale,
concertée. Ce projet unique en Europe consiste à numériser les livres
indisponibles du XXe siècle sous droits, à partir d’un consortium associant
partenaires publics – je pense bien entendu à la BNF - auteurs et
éditeurs. Dès que ce consortium sera opérationnel, un corpus
expérimental de 100 000 livres permettra de valider le modèle
économique choisi. A terme, ce sont près de 400 000 livres qui seront
numérisés et auxquels nous donnerons ainsi une nouvelle vie. Il s’agit, on
l’aura compris, de compléter les programmes de numérisation de la
Bibliothèque nationale de France (BNF) engagés depuis 2007, qui
concernent 100 000 livres par an. Ces programmes concernent les
oeuvres tombées dans le domaine public antérieures au XXe siècle. Or la
demande de lecture des internautes concerne également les oeuvres du
XXe siècle et les productions récentes. A ce titre, il n’est pas sans intérêt
de noter qu’à l’occasion de la rentrée littéraire, de nombreux éditeurs ont
proposé parallèlement au format papier des formats numériques. Avec
environ 70 000 livres numérique sur les 600 000 livres en version papier,
l’offre française est encore embryonnaire, mais elle est appelée à se
développer : elle est à même de créer une filière économique et une
expertise française. Dans ce domaine, je fais partie des convaincus : le
livre numérique est aujourd’hui une « nouvelle frontière » de l’édition et il
sera certainement demain un horizon partagé.
Je souhaite également mentionner l’impact des investissements d’avenir
dans le domaine de la recherche-développement (R&D) et des services
innovants.
L’avenir de la lecture est au coeur des politiques publiques conduites par
mon ministère. On dit souvent aujourd’hui que l’heure est à la réalité
augmentée ; nous vivons aujourd’hui un saut qualitatif du multimedia et il
faut aider le livre à profiter pleinement de ce potentiel. C’est le livre
« augmenté », où le texte est complété par des contenus multimédia
(couleur, vidéo, son) qui viennent illustrer, renforcer ou accompagner la
lecture. C’est une voie nouvelle : elle ne supplée pas bien entendu la
lecture traditionnelle, mais elle la complète, elle l’accompagne. Les
applications concernent des domaines et des publics très divers : les
livres pour la jeunesse, les livres pratiques et professionnels, les livres
d’histoire, les livres d’art.
Le lien avec internet et l’interactivité qui en découle rend ce nouveau type
de produit culturel accessible sur des terminaux de plus en plus nombreux
: smartphones et tablettes. En d’autres termes il rend accessible la culture
à chacun et en tout lieu.
À l’occasion de l’exposition « Claude Monet, 1840-1926 » aux Galeries
nationales du Grand Palais, la Réunion des musées nationaux et sa filiale,
les éditions Artlys, ont lancé Les Chefs-d’oeuvre de Monet, le premier livre
culturel « augmenté », en collaboration avec i-Gutenberg, petite société
spécialisée dans la conception et la réalisation de livres numériques
« augmentés », et Apple. Commentaires inédits de Madame Sylvie Patin,
Conservateur général du Musée d’Orsay et commissaire de l’exposition
« Claude Monet, 1860-1926 », ressources documentaires,
accompagnement musical d’Erik Satie : autant de ressources pour le
visiteur, le lecteur ou l’enseignant.
Les investissements d’avenir permettront que ce type d'objet se
développe, se perfectionne, se démocratise.
Il s’agit de développer une filière numérique, c’est aussi assurer la
promotion de nouveau modes de valorisation des contenus, c’est aussi
enrichir les ressources qui existent
Je voudrais évoquer un projet dans le domaine de l’audiovisuel. Ce
dernier envisage la création d’une plateforme répertoriant l’offre gratuite et
payante – télévision de rattrapage, vidéos à la demande - pour l’ensemble
des contenus audiovisuels et cinématographiques. Jusqu’à aujourd’hui,
cette offre est inégalement accessible et très dispersée. Autour de l’INA,
qui est en mesure d’apporter la richesse de ses bases de données et son
expertise en matière d’indexation, mais aussi autour d’acteurs historiques
des médias et de la communication, il s’agit donc de structurer cette offre
audiovisuelle légale. C’est une logique de bénéfices partagés qui doit
présider à un tel projet : pour les éditeurs de contenus, ce portail offre une
source supplémentaire d’audience et de revenus ; pour les ayants droit,
c’est une garantie de redistribution du fait du caractère national de l’offre ;
pour l’INA enfin, déjà si bien positionnée sur le terrain de la numérisation
et de l’édition, c’est aussi le moyen d’affirmer son rôle et sa place dans la
distribution des contenus audiovisuels. Ce portail ne sera pas un
concurrent pour les offres existantes : il sera un levier et un incitateur au
profit de l’offre légale. Il sera un outil parmi d’autres permettant de
« civiliser » en somme le réseau internet et de valoriser les contenus de
qualité. C’est toute l’ambition du ministère de la Culture et de la
Communication, au service du droit à l’information à l’ère numérique.
La création d’un kiosque numérique de la presse assurant la
commercialisation de contenus provenant de plusieurs éditeurs de presse
s’inscrit dans cette ambition pour la démocratie numérique et le débat
citoyen.
Depuis une dizaine d’années, en effet, les éditeurs de presse ont tous
développé des sites web ; ils ont aussi offert des formules « Premium »
avec des services complémentaires. Afin de préserver ce niveau
d’exigence, d’enrichir et de valoriser leur offre éditoriale, plusieurs
quotidiens nationaux se sont réunis autour d’un groupement d’Intérêt
économique. Le GIE « E-presse Premium » entend rassembler tous les
éditeurs de presse, quotidiens mais aussi newsmagazines. A partir de
2011, le projet de kiosque numérique entend élargir les communautés de
lecteurs, ouvrir leurs horizons d’attente et leurs exigences. Cette
communauté d’intérêt représente plus de 40 sites web sont concernés,
soit 32 milliards de pages visitées par an.
Ce projet est donc un outil précieux destiné à sauvegarder l’information de
qualité et la spécificité du métier de journaliste. L’information de qualité a
un prix, elle a un coût aussi : le tout gratuit ne saurait répondre aux défis
de l’avenir pour le secteur de la presse, aujourd’hui confronté à des choix
fondamentaux. L’accès payant n’est pas antithétique de la démocratie
numérique. Bien au contraire, investir dans la qualité, garantir la spécificité
de l’écriture journalistique - ainsi que l’a réaffirmé la loi Création et
Internet en réglant la question des droits d’auteur pour les rédactions bimedias
– c’est préserver fondamentalement une offre indépendante,
pluraliste. C’est aussi participer au développement du sens critique des
lecteurs et à l’horizon d’attente du citoyen.
J’ai signalé ces exemples car ce sont les projets les plus avancés, mais
l’objectif du Gouvernement consiste à amorcer un processus, à créer une
dynamique. Toutes les initiatives et tous les projets d’entreprise sont et
seront les bienvenus. Il reste des pans entiers de notre patrimoine à
numériser, dans le domaine de la photographie, de la musique. N’oublions
jamais que « le futur appartient à celui qui a la plus longue mémoire ».
L’avenir appartient aux pays qui savent anticiper : c’est l’enjeu des
investissements d’avenir lancés dans le contexte de difficultés
économiques que nous connaissons aujourd’hui. Le bon gouvernement
consiste à être gestionnaire, mais aussi à être visionnaire. La mission qui
est la mienne au Ministère de la Culture et de la Communication consiste
à conserver et valoriser notre patrimoine, notre création artistique, nos
médias mais aussi à donner vie et réalité à ce que seront les biens, les
industries culturelles, les médias dans 20 ans, dans 30 ans. Elle consiste
à créer de nouvelles filières économiques et de nouveaux terrains pour
l’emploi culturel. Elle consiste, enfin, à travers le recours aux
« investisseurs avisés », à être un levain dans la pâte, un incubateur
d’idées et de projets.
Défendre et préserver ce qui est aujourd’hui suppose aussi d’inventer de
ce qui sera demain. Investir dans les nouvelles technologies, c’est encore
préserver des filières, des savoir-faire, c’est aussi apporter des garanties
à la notion d’oeuvre, qui est centrale.
L’espace du numérique n’est pas un « non lieu », il n’est pas non plus une
fiction, il n’est pas une utopie : s’il représente l’avenir de la production
culturelle et de la création, il n’est ni une idole, ni un fétiche. Tout l’enjeu
consiste à faire en sorte que les promesses de l’économie numérique, que
les potentialités des nouvelles technologies et d’internet soient un facteur
de développement économique, culturel et humain, qu’elles soient un
facteur d’intégration et non un outil de ségrégation. Je suis certain que les
orientations définies dans le cadre des consultations pour les
Investissements d’avenir y contribueront très fortement. J’espère donc
pouvoir vous retrouver dans quelques mois afin de vous présenter
d’autres projets ambitieux et d’autres modèles innovants.
Je vous remercie.
Discours
Discours de Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture et de la Communication, prononcé à l'occasion de la conférence de presse sur les Investissements d'avenir
Madame la Ministre, chère Nathalie Kosciusko-Morizet,Mesdames et Messieurs,
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