« Combien j’ai passé de matins et de soirs assis au pied des beaux
châtaigniers, dans ce petit vallon des Charmettes, où le souvenir de Jean-
Jacques Rousseau m’attirait et me retenait par la sympathie de ses
impressions, de ses rêveries, de ses malheurs et de son génie ! Ainsi de
plusieurs autres écrivains ou grands hommes dont le nom ou les écrits ont
fortement retenti en moi. J’ai voulu les étudier, les connaître dans les lieux
qui les avaient enfantés ou inspirés ; et presque toujours un coup d’oeil
intelligent découvre une analogie secrète et profonde entre la patrie et
l’homme, entre la scène et l’acteur, entre la nature et le génie qui en fut
formé et inspiré. » Ainsi s’exprimait Lamartine, dans le Voyage en Orient.
Une maison face à la mer, celle de Jard-sur-Mer, celle de Georges
Clemenceau au soir de sa vie, celle du Tigre endurci par les épreuves de
la Première Guerre mondiale, devenu « Père la Victoire » à la faveur du 11
novembre. Le Clemenceau de Saint-Vincent-sur-Jard est un grand témoin
de l’histoire retiré du monde contingent, méditant devant la mer. Dans cette
« bicoque » louée à partir de 1919 et destinée aux beaux mois du
printemps et de l’été, il revient une ultime fois sur les événements de sa
destinée et y écrit Au soir de la pensée ; il reçoit ses amis et allie tous les
tons de « la palette embroussaillée » d’un jardin composé avec le peintre
Claude Monet. Sa « cabane de paysan », comme il aimait l’appeler, est
aussi celle d’un amateur d’art féru de culture extrême-orientale qui vit
entouré de ses estampes et de ses peintures japonaises, de ses vases
asiatiques, de divinités bouddhiques. L’intime croise ici le destin du siècle,
les choix esthétiques l’aventure d’une vie faite de conquêtes et de
combats.
J’ai souhaité aujourd’hui vous présenter le nouveau label décerné par le
Ministère de la Culture et de la Communication, celui de « Maisons des
illustres ». Ce dernier a pris forme grâce au travail de la direction générale
des patrimoines, ainsi qu’à la mobilisation des directions régionales des
Affaires culturelles, auxquelles je tiens à rendre un hommage chaleureux,
mais aussi celle de l’ensemble des collectivités territoriales et des
propriétaires privés. Au terme d’un inventaire de 900 Maisons dont la
vocation est précisément de conserver, transmettre et valoriser cette
mémoire, j’ai souhaité cette année attribuer ce label national à 111 sites.
Neuf d’entre elles sont en Outre-mer, et sont la marque d’une mémoire en
partage, qu’il s’agisse de Saint-John Perse, du Père Jean-Baptiste Labat
ou de Félix Eboué.
Je voudrais insister sur l’importance de la « maison », comme nom mais
également comme univers, qui a valeur de programme culturel. La maison
est un refuge, un lieu secret de création, un abri comme un atelier
permanent. « Les murs semblent reconnaître et appeler l’homme, comme
l’homme reconnaît et embrasse les murs » : c’est ainsi que Lamartine
évoque cette synthèse profonde qui existe entre son occupant et le lieu qui
l’a vu naître au monde, à l’art, à la connaissance. Ce sont des lieux où
s’incarne la vie de l’esprit, où se sédimente la mémoire, à la manière de
ces « lieux » dont Pierre Nora a si bien montré qu’ils étaient autant
matériels qu’imaginaires. Visiter la maison de Clemenceau, c’est aussi
comprendre ce que fut le combat de la République ; visiter la maison de
Sarah Bernhardt sur la côté sauvage de Belle-Île, c’est mesurer la solitude
de l’actrice au trac dévorant, jamais assurée, face à la houle déferlante des
applaudissements du public : « La première fois que je vis Belle-Île, je la
vis comme un havre, un paradis, un refuge. J'y découvris à l'extrémité la
plus venteuse un fort, un endroit spécialement inaccessible, spécialement
inhabitable, spécialement inconfortable. et qui, par conséquent,
m'enchanta ». Visiter la Boisserie, dans la profondeur des forêts de Haute-
Marne, c’est comprendre combien l’homme du 18 juin a fait de sa solitude
une force résistante, de sa « traversée du désert » l’origine d’un élan
politique et spirituel. Visiter le moulin de Villeneuve à Saint-Arnoult en
Yvelines, découvrir son parc magnifique, cet « univers de verdure »
comme l’appelait Elsa Triolet, c’est toucher du doigt la conversation
amoureuse de Louis Aragon et de celle qu’il aimait intensément, que
restitue si admirablement l’épitaphe gravé sur la tombe du couple :
« Quand côte à côte nous serons enfin des gisants, l’alliance de nos livres
nous réunira pour le meilleur et pour le pire dans cet avenir qui était notre
rêve et notre souci majeur, à toi et à moi ». Et j’y associe évidemment
moment le souvenir de Lili Brik, soeur d’Elsa, compagne de Maïakovski.
Une maison ne se visite pas de la même manière qu’un musée des beauxarts,
où le rapport aux oeuvres prédomine sur le rapport au lieu. Franchir
son seuil, c’est être invité à percevoir l’esprit d’une vie qui s’y est
déployée ; c’est faire corps avec le principe même d’une oeuvre, dans
l’espace où elle a été pensée et conçue. Il s’agit, pour le visiteur, de
s’approcher au plus près des sources d’inspiration d’artistes, de
scientifiques, d’hommes et de femmes politiques qui ont marqué l’histoire
et la culture non seulement de notre pays mais aussi de l’Europe. Les
Maisons des Illustres viennent prolonger une créativité dont elles ont la
marque. Davantage que des reliquaires, elles doivent s’épanouir comme
des foyers vivants, et contribuer à une proximité nouvelle entre le public et
les lieux du patrimoine.
Cette première sélection de Maisons répond à des critères d’excellence en
termes de conservation, de mise en valeur, de dispositifs d’accueil et
d’accompagnement à la visite, auxquels l’ensemble des sites labellisés ont
pleinement répondu. Elles ne seront pas les seules à pouvoir apposer sur
leur façade une plaque « Maisons des Illustres », frappée du sceau de
l’élégance grâce au lettrage raffiné de Claude Garamont, dont le ministère
de la Culture et de la Communication commémore cette année le 450e
anniversaire. Dès cet automne, en effet, les sites qui le souhaitent et dont
les missions, comme l’investissement, sont conformes à ses exigences
pourront se porter candidat à l’obtention du label. Dès 2012 et dans les
années qui suivent, le réseau « Maisons des Illustres » s’étendra partout
en France ; à terme, il sera présent dans chaque territoire, au plus près
des attentes et des pratiques des amateurs d’histoire et de patrimoine, du
jeune public et des nombreux touristes qui continuent à témoigner, par leur
venue, de leur admiration face à l’offre culturelle et patrimoniale de nos
régions.
La création du label « Maisons des Illustres » est le reflet d’une des
ambitions que je porte pour le Ministère de la Culture et de la
Communication : un ministère pilote de la politique nationale du patrimoine,
un ministère garant de la diversité des héritages culturels qu’il contribue à
inventorier, conserver et restaurer, un ministère garant enfin de leur
accessibilité et de leur proximité. Le recensement réalisé grâce à nos
services présents en région a de la même manière fait ressortir le
partenariat étroit avec les collectivités territoriales, grâce auquel peut
véritablement s’épanouir une action publique culturelle efficace, cohérente
et dynamique. Sur les 111 sites qui vont dès aujourd’hui bénéficier du label
Maisons des Illustres, 25 dépendent de Conseils généraux et 40 de
l’échelon des villes, tandis que le domaine de Malagar cher à François
Mauriac, ce lieu d’inspiration où il venait chercher une « flaque de passé »,
et « où les livres mûrissent en trois semaines », « cette pauvre maison
déguisée en manoir (…) Paysage le plus beau du monde, à mes yeux,
palpitant, fraternel, seul à connaître ce que je sais, seul à se souvenir des
visages détruits dont je ne parle plus à personne, et dont le vent, au
crépuscule, après un jour torride, est le souffle vivant, chaud, d’une
créature de Dieu », est aujourd’hui propriété du Conseil régional de
l’Aquitaine.
La vocation première de ce nouveau label consiste à donner une meilleure
visibilité au travail de valorisation effectué sur place par les défenseurs et
les acteurs du patrimoine. Je veux ici rendre hommage à ces propriétaires
privés qui ne ménagent ni leur peine, ni leurs efforts pour conserver et
rendre accessibles leurs châteaux, leurs propriétés, leurs jardins. Ce sont
véritablement les héros discrets mais infatigables du patrimoine de notre
pays. Je veux saluer l’action de la Fondation du patrimoine mais aussi
celle des associations de protection du patrimoine, celle des sociétés
savantes, celle des sociétés d’amis de musées : aiguillons nécessaires,
acteurs exigeants.
Dès le début de l’année 2010 et la mise en place de la direction générale
des patrimoines, j’avais insisté sur la modernisation dont elle devait se
porter garante, modernisation dans l’organisation de ses services mais
également dans l’approche du patrimoine, embrassant dans un même
regard architecture, musées, archives, patrimoine monumental, paysager
et archéologique.
Dans le domaine des musées, je voudrais rappeler que les musées de
France ont reçu l’année dernière 57 millions de visites en 2010; la
fréquentation des musées nationaux a connu une hausse de 3% pour le
premier semestre 2011, et une hausse de 10% de leur fréquentation
estivale. Ces chiffres sont le reflet de la bonne santé des musées français,
des plus prestigieux mais aussi des plus modestes. A cet égard, je veux
rappeler l’engagement qui a été le mien à travers le « Plan musées » qui
permet d’accompagner les projets de rénovation, d’extension ou de
construction les plus ambitieux. Annoncé à l’automne 2010, ce plan
entendait mettre en valeur la « mosaïque France », ces mille musées
servis par l’engagement et l’expertise scientifique de professionnels hors
pair, que je rencontre dans ce « tour de France » entrepris maintenant
depuis plus de deux ans, je veux parler des conservateurs du patrimoine.
Avec près de 70 millions d’euros engagés pour trois ans et 79
établissements concernés, en métropole comme en Outre-mer, il dit
l’engagement de l’Etat au service du patrimoine, des collections et des
territoires.
Voilà près de dix ans que l’Etat, en concertation avec les collectivités
territoriales, agit afin de favoriser un plus large accès aux musées,
notamment aux collections permanentes des musées nationaux. Cet effort
a trouvé un aboutissement heureux en 2009 avec la mise en place d’un
principe de gratuité accordée aux 18-25 ans résidant dans l’Union
européenne. L’impact de cette mesure, annoncée par le Président de la
République dès 2008 et portée par le ministère de la Culture et de la
Communication, est un succès, je suis fier de le confirmer : depuis 2009, la
mesure a entraîné plus de 4,5 millions d’entrées, et le nombre d’entrées
gratuites dans les Musées de France a progressé en cinq ans de 60%,
participant pour une large part à la hausse globale de la fréquentation.
Le label « Maisons des Illustres » est une étape supplémentaire dans
l’histoire des politiques du patrimoine depuis ses premiers pas sous
Prosper Mérimée jusqu’aux dernières campagnes d’inventaire. Il s’inscrit
dans la continuité du réseau de qualité des établissements, des sites et
des démarches patrimoniales labellisés par le ministère de la Culture et de
la Communication.
Le label Villes et Pays d’art et d’histoire, par exemple, compte aujourd’hui
153 territoires labellisés, dont il récompense et reconnaît l'ensemble d'une
politique de protection et de mise en valeur du patrimoine d'une ville ou
d’un territoire. Villes ou Pays d’art et d’histoire ou Maisons des Illustres,
ces labels répondent à des critères d’excellence et contribuent dans leur
mise en oeuvre aux mêmes objectifs : faciliter l’accès de chacun au
patrimoine architectural, paysager et culturel qui nous entoure, participer
au développement social et culturel des territoires.
Le patrimoine se décline en effet au pluriel. De la modestie à la grandeur, il
est fils de la diversité : il s’incarne autant dans la petite église de La Laupie
dans la Drôme, oubliée des cadastres et évoquée récemment par Adrien
Goetz, que dans le canot d’Ouessant, dont j’ai souhaité qu’il bénéficie de
mesures de protection ; ce sont autant les phares de nos côtes que les
friches industrielles ou les ensembles urbains façonnés par les architectes
du XXe siècle. Le patrimoine industriel, scientifique et technique, le
patrimoine du XXe siècle, le patrimoine du logement social sont aussi un
sujet d'intérêt pour notre politique de protection. Cette mission de
conservation et de protection, qui est une obligation morale et intellectuelle
de l’Etat comme des propriétaires, possède une véritable signification. Elle
garantit la transmission du patrimoine auprès des générations futures, un
patrimoine dont nous ne sommes, il faut jamais cesser de le rappeler,
que les dépositaires et non les propriétaires. « J’avais la maison de mes
souvenirs pour abriter les futurs souvenirs de mes enfants » (Georges
Sand, Histoire de la ma vie) dit George Sand à propos de son domaine de
Nohant, traduisant l’exigence de transmission inséparable de l’idée que je
me fais du patrimoine. À cet égard, je me réjouis des premières
orientations annoncées par le Président de la République Valéry Giscard
d’Estaing concernant l’avenir de l’Hôtel de la Marine, ancien garde-meuble
royal ayant accueilli des activités régaliennes sur l’une des places les plus
éminentes et les plus symboliques de notre pays : elles valident
exactement les préconisations que j’aurais exposées au Président de la
République dès mon arrivée au Ministère. Et c’est dans le même esprit que
je me suis engagé afin de procéder à la restauration de l’hôtel Lambert, sur
l’île Saint-Louis, dans la fidélité à l’architecture originelle, éteignant par la
négociation entre toutes les parties concernées, contentieux et
controverses.
Dans une économie ouverte et mondialisée, dans une société du
mouvement et de la communication, nos instruments de protection
évoluent eux aussi. Ils se doivent d’intégrer de nouveaux paramètres, tels
que les objectifs du développement durable et le partenariat avec les
collectivités territoriales. Les « Aires de mise en valeur de l'architecture et
du patrimoine », qui doivent se substituer aux 450 zones de protection du
patrimoine architectural, urbain et paysager existantes dans un délai de 5
ans, devront tenir compte d'un bilan environnemental préalable et favoriser
la mise en valeur du patrimoine architectural. Cette adaptation est le fruit
d’un équilibre, mais elle ne doit pas faire perdre de vue les véritables
priorités : conserver la qualité architecturale du bâti, la qualité et l'âme des
centres-villes anciens, des villages, du patrimoine rural qui donne son
caractère à nos campagnes et aux paysages de nos régions. Le
développement économique des territoires passe aussi par le respect de
ces principes et des ces valeurs, seules à même de garantir notre
cohésion sociale et ce qu’on appelle notre « vivre ensemble ». C’est là le
coeur des expertises et des missions du ministère que j’ai l’honneur de
servir.
Sur ce sujet, je sais que nous ne sommes pas isolés. Le conseil des
collectivités territoriales pour le développement culturel que je réunis
régulièrement, la Fédération des élus de la culture, les parlementaires et
les associations de défense et de valorisation du patrimoine, les partagent,
et je leur suis reconnaissant de leur aide, de leurs idées et de la liberté de
nos débats.
Mais le patrimoine monumental et muséal, auquel je viens de le rappeler,
j’attache le plus grand prix, n’est pas tout le patrimoine. Le patrimoine ce
sont aussi, bien entendu, les oeuvres de nos écrivains, de nos artistes et
de nos savants, plus largement l'ensemble des écrits et des témoignages
laissés par les créateurs sous des formes diverses : archives et livres
imprimés ou manuscrits, estampes, cartes, photographies, films,
documents sonores, documents informatiques et numériques désormais.
Année après année, les collections publiques ne cessent de s’enrichir,
avec le soutien du ministère de la Culture et de la Communication, de
documents significatifs et même emblématiques, comme le manuscrit
autographe du Journal de Stendhal acheté en 2006 par la Ville de
Grenoble, la bibliothèque de Montesquieu, acquise par l'Etat en dation et
déposée à la Bibliothèque de Bordeaux en 2010 ; très récemment, les
manuscrits de Casanova acquis par la BnF grâce au mécénat, ou encore
le manuscrit inédit de Robespierre acquis par les Archives de France, et
pour lequel l’Assemblée nationale a consenti à nous accompagner pour un
montant significatif. Répartis à travers des milliers d'établissements et des
collections de tailles et de statuts très divers, ces documents composent
une sorte de bibliothèque idéale, une bibliothèque inépuisable et
inégalable dont des pans entiers sont trop souvent oubliés.
Le patrimoine, ce sont les archives, pour lesquelles l’Etat investit près de
300 millions d’euros afin de créer le plus grand centre de dépôt et de
valorisation en Europe à Pierrefitte-sur-Seine. Mémoire de l’Etat et de la
nation, les archives sont un patrimoine vivant, sans cesse alimenté, sans
cesse enrichi. Par les moyens attribués, notamment en faveur de l’appui à
la reconstruction des centres d’archives départementaux, véritables
services culturels de proximité – celui de Bar-le-Duc, que j’inaugurerai
prochainement, celui construit par Zaha Hadid à Montpellier - comme par
l’intérêt que j’y ai porté, j’ai voulu placer les archives au coeur de nos
ambitions culturelles. Le patrimoine, c’est aussi la photographie, qui
bénéficie désormais d’un interlocuteur unique au sein de l’administration
de la rue de Valois grâce à la Mission de la photographie et par la
restauration de l’hôtel de Nevers qui remplacera les espaces d’exposition
de l’hôtel de Sully devenus indisponibles. Le patrimoine, c’est aussi le
continent immense des voix, des images et des sons, ces archives
sonores, audiovisuelles, cinématographiques conservées par l’INA, par la
Bibliothèque nationale de France (BnF), par la RMN-Grand Palais et par
tant d’autres institutions. Pour toutes ces traces du passé, pour toutes ces
archives, l’enjeu consiste bien à développer une ambitieuse politique de
numérisation afin que ce patrimoine immense soit accessible au plus grand
nombre. La numérisation, j’en suis convaincu, est un moyen de
sauvegarde du patrimoine culturel mais également un moyen d’accès
privilégié à la culture pour un grand nombre de nos concitoyens. Elle
constitue un outil fondamental au service de la culture, sous toutes ses
formes et dans toute sa diversité. Elle démultiplie l’accès au patrimoine et
à la création contemporaine dans une dynamique de démocratisation
culturelle et de transmission des savoirs. C'est donc une chance
formidable pour le rayonnement de notre patrimoine culturel et de nos
créateurs, pour l'ensemble des filières de contenu et pour l'économie de la
culture.
Dans le cadre des investissements d'avenir décidés par le Président de la
République, j’ai porté et accompagné plusieurs grands projets de
numérisation qui pourront faire l'objet de partenariats entre l'Etat et des
opérateurs privés :
- Je voudrais d'abord rappeler l'ambitieux programme de numérisation des
oeuvres cinématographiques mis en place cette année par l'Etat : à travers
l'accord cadre cosigné en mai dernier avec plusieurs grandes entreprises
comme Gaumont, Pathé, StudioCanal ou TF1, et les nouveaux dispositifs
de financement mis en place par le Centre national de la cinématographie
et de l’image animée, ce sont près de 5 000 films de notre patrimoine
national, notamment le continent immense des court-métrages, qui
connaîtront une nouvelle vie.
- Dans le domaine du livre, je voudrais mentionner l'appel à partenariats
lancé par la Bibliothèque nationale de France (BnF) au début du mois de
juillet dernier et visant à numériser douze nouveaux grands corpus, issus
des collections de la première bibliothèque de France, soit plus d'un million
de nouveaux documents.
- Je voudrais également citer le cas des oeuvres indisponibles - c'est à dire
de livres récents aujourd'hui presque introuvables (indisponibles) dans les
circuits commerciaux du livre mais encore sous droits. Le protocole
d'accord conclu le 1er février 2011 entre le Ministère de la culture et de la
communication, la Bibliothèque nationale de France (BnF), le Syndicat
national de l'édition (SNE), la Société des gens de lettres (SGDL) et le
Commissariat à l'investissement (CGI) rend possible leur exploitation par
l'instauration d'un mécanisme original de gestion collective qui garantira
une juste rémunération aux ayants droit. J'ai le ferme espoir que dès cet
automne le texte modifiant en ce sens le Code de la propriété intellectuelle
soit examiné par le Parlement. Avec l'accord des ayants droit et en toute
légalité, ce sont plus de 500 000 livres d'auteurs du XXe siècle, connus ou
moins connus, qui pourront ainsi être numérisés et diffusés dans les
années à venir.
Investir le terrain du numérique, j’en suis convaincu, c’est renouer le fil
jamais interrompu de la démocratisation culturelle, qui est au coeur des
missions et des ambitions de ce ministère. À titre d’illustration, le succès
du site internet bovary.fr, mis en ligne en avril 2009 par la Bibliothèque
municipale de Rouen, confirme l'intérêt que les manuscrits des grands
écrivains français, comme Gustave Flaubert, Jules Verne ou Victor Hugo
peuvent légitimement susciter dans l'opinion. J'ai plaisir à constater que ce
message de l'Etat a été bien compris et que de nombreuses collectivités
répondent à mes propositions et faire part de leur intention de construire
des bibliothèques numériques d'un nouveau type, avec le soutien financier
de l'Etat.
Le patrimoine est un univers immense : il est présent sur tous les
territoires, dans les villages les plus reculés comme au coeur des
métropoles, dans les formes matérielles comme dans les cultures
immatérielles. Une politique des patrimoines au XXIe siècle ne peut faire
l’économie d’une réflexion en profondeur sur leur inscription dans des
territoires, dans leurs dynamiques, tiraillés qu’ils sont entre le grand vent
de la mondialisation et les désirs, parfois puissant, d’enracinement et
d’identité. Il n’y a pas de politique patrimoniale sans ambition territoriale.
J’ai souhaité, vous le savez, que mon ministère renforce des partenariats
stratégiques avec les collectivités territoriales, acteurs majeurs de la
politique culturelle dans notre pays. Il était nécessaire de repenser nos
outils et nos modes d’action dans un contexte profondément évolutif, où la
contrainte financière nous impose une meilleure convergence et une plus
grande cohérence entre la politique culturelle de l’Etat et celles des
collectivités territoriales. C’est pour cela que j’ai notamment relancé les
conventions territoriales, qui étaient tombées en désuétude : 62 sont en
préparation, dont 40 concernent le monde rural, et je viens de signer la
première à Sancy-Artense, en Auvergne, il y a quelques jours de cela.
C’est l’objectif également des conventions sectorielles et des conventions
signées par les établissements publics, comme par exemple la Comédie
Française et la Région Nord-Pas-de-Calais, le Château de Versailles avec
la Ville d’Arras et la Région, Universcience avec l’Auvergne ; tous ces
outils visent une véritable concertation stratégique entre mon ministère et
les collectivités.
Le mois de septembre est décidément une époque privilégiée pour le
patrimoine. Dans quelques jours, nous allons embarquer pour ce grand
voyage que représentent les Journées européennes du patrimoine. Pour la
28e année – le succès ne se dément pas depuis la première initiative
lancée rue de Valois en 1984 – ces deux jours si chers aux Français
emmèneront près de 12 millions de passionnés, qu’ils soient amateurs
confirmés ou « historiens du dimanche », à franchir les portes cochères, à
lever le regard sur les façades et les corniches, à battre le pavé pour
comprendre ce qui s’est passé et ce qui a duré dans 16 000 sites, soit
1 000 de plus que l’année dernière.
Mon voeu le plus cher, au moment de placer les Journées européennes du
patrimoine sous le signe du voyage, a été d’éveiller la curiosité, de
dérouler le fil de l’histoire et d’emboîter le pas aux bâtisseurs et créateurs
qui ont su faire vivre des lieux, leur donner une coloration, un goût, une
patine. Le patrimoine n’est pas ce fétiche sacré qu’il conviendrait de ne pas
réveiller. Bien au contraire, il est vivant, il est ouvert à la création
contemporaine, il est une invitation au voyage ici et maintenant. Les
trésors du passé disposent maintenant de nouveaux accès numériques et
multimédias, grâce auxquels l’accès aux oeuvres rares et donc précieuses
se trouve renouvelé, facilité, invitant, j’en suis persuadé, à la visite et à leur
redécouverte.
« Tout est encore devant mes yeux, le jardin aux murs chauds, les
dernières cerises sombres pendues à l'arbre, le ciel palmé de longues
nuées roses, - tout est sous mes doigts : révolte vigoureuse de la chenille,
cuir épais et mouillé des feuilles d'hortensia, - et la petite main durcie de
ma mère » (Colette, la Maison de Claudine, 1922). Grâce à la mobilisation
de la Société des amis de Colette, grâce à l’engagement de tous ceux qui
aiment la « dame du Palais Royal », sa maison de Saint-Sauveur-en-
Puisaye, dans l’Yonne, a pu être achetée et sauvée de l’oubli. L’Etat a
apporté toute sa part dans cette issue favorable, conscient qu’il y avait là
un lieu de mémoire littéraire, un jardin de souvenirs vibrants, une « grande
maison grave, revêche » en façade avec un « revers souriant au lourd
manteau de glycine et de bignonier ». Je ne doute pas que cette maison,
comme bien d’autres, intégrera bientôt la liste des Maisons des illustres.
Je vous remercie.