Un peu plus de six mois après notre réunion de lancement du 14 janvier
dernier, je suis heureux d'être à nouveau parmi vous, comme nous en
étions convenus, afin de clôturer les travaux de l'instance de concertation
sur la réforme des aides à la presse.
Je mesure pleinement le chemin parcouru et l'engagement dont ont fait
preuve l'ensemble des participants à ces travaux. Je veux en particulier
souligner l'implication et le talent que Roch-Olivier MAISTRE a su déployer
à la présidence de cette instance. Je lui adresse ma gratitude pour ses
qualités d'écoute, d'animation et de synthèse appréciées de tous et qui ont
permis à ces discussions d’aboutir dans un esprit de compréhension
mutuelle.
Roch-Olivier MAISTRE m'a confié que les échanges, durant ces six mois
de travaux, ont été sereins, nourris et fructueux. Je remercie à ce titre
l'ensemble des représentants des familles de presse d'avoir contribué de
manière si constructive à cette concertation en apportant leurs éclairages
et leur expertise sur les multiples sujets de débat que je vous avais soumis
en janvier dernier.
Comme je l'avais alors indiqué, l'Etat entend plus que jamais accompagner
les mutations de la presse. L'objet de vos travaux était précisément de
définir les modalités d’une contribution publique renouvelée, cohérente,
dont la finalité cardinale, je le rappelle, reste la préservation du pluralisme
et de la diversité des opinions.
Quand j’évoque la cohérence de l’intervention publique, je pense au juste
équilibre entre les droits et les devoirs respectifs de l’Etat et des
entreprises qu’il accompagne. Cet équilibre consiste à trouver la meilleure
conciliation possible entre les objectifs d’intérêt général et les intérêts des
entreprises qui recherchent avant tout les conditions d’une exploitation
saine et durable. La prospérité économique d’une entreprise de presse
étant bien la meilleure garantie de son indépendance et de sa liberté
d’informer, je ne doute pas que nous parvenions à trouver cet équilibre .
C’est cet objectif qui nous rassemble.
Dans un contexte nouveau après les "Etats généraux", il était essentiel de
redéfinir le pacte républicain qui lie l'Etat à la presse et de réfléchir aux
conditions et aux formes de l'engagement public qui doivent être plus
efficaces, plus simples, mieux adaptées aux besoins des entreprises.
Les débats conduits par Roch-Olivier MAISTRE ont suivi la feuille de route
que j'avais tracée pour l'instance de concertation : ils ont été le lieu d’une
réflexion approfondie sur la nouvelle contractualisation avec les
entreprises, l'optimisation de certains fonds et l'amélioration de la
gouvernance de l'ensemble du dispositif.
J’ai lu avec attention le relevé des conclusions qui m’a été rendu et je
souhaite donc vous présenter aujourd’hui les orientations que je retiens à
l'issue de vos travaux.
I. La première est la rénovation de la gouvernance des aides à la presse
dans le cadre d’un partenariat renouvelé.
Une Conférence annuelle des éditeurs de presse sera instaurée. Elle sera
un lieu de débat sur les orientations stratégiques des aides à la presse.
Cette conférence permettra de dresser le bilan de l'année écoulée et
d'envisager les adaptations nécessaires aux différents dispositifs.
En matière de gouvernance, je tiens particulièrement à mettre l'accent sur
la nécessité d'une évaluation régulière des différents systèmes d’aide, et
sur le renforcement des moyens qui devront lui être consacrés.
L'évaluation de l'efficacité de l’intervention publique est indispensable afin
que nous assumions pleinement un rôle d'Etat-stratège, dans le plein
respect de l'indépendance des entreprises de presse. Cette évaluation
nous est indispensable pour mesurer le chemin parcouru, établir un
diagnostic, et proposer les adaptations jugées nécessaires. Tester,
apprendre, adapter, est un triptyque qui vous est familier en tant que chef
d’entreprises. Nous l’appliquerons désormais plus rigoureusement au
fonctionnement de la mission presse du ministère de la Culture et de la
Communication. Les résultats de l'évaluation seront bien entendu
communiqués lors de la Conférence annuelle des éditeurs et serviront de
base de travail à ses réflexions.
De même, la transparence du dispositif devra être renforcée. Elle est une
obligation, lorsqu’il s’agit de faire intervenir des fonds publics. Elle est aussi
l’une des bases du climat de confiance qui doit animer cette nouvelle
conférence annuelle des éditeurs de presse. Un état annuel des montants
attribués au cours de chaque exercice budgétaire, et une ventilation par
bénéficiaire seront établis, commentés et rendus publics, dans les limites
du respect du secret des affaires. Je n'ignore pas que cette initiative va
bousculer certaines habitudes. Mais cette mesure me paraît essentielle
tant au plan des principes qu’au plan de l’efficacité de l'action de l'Etat,
comme l’ont démontrées les expériences déjà menées au sein du comité
d’orientation du fonds de soutien aux éditeurs de presse en ligne présidé
par Simon Barry que je salue aujourd’hui car je sais combien, au travers
des expérimentations de ce nouveau fonds, il a contribué au
renouvellement de la posture de l’Etat.
Bien sûr, en contrepartie de cette transparence, il vous reviendra, en tant
que représentants des éditeurs, de faire oeuvre de pédagogie devant les
interrogations qui ne manqueront pas de surgir face aux aides attribuées.
Vous le ferez avec toute la connaissance et l'expérience du secteur de la
presse que vous possédez, et vous devrez notamment expliquer que le
niveau d’engagement de l'Etat est à la mesure des efforts de
modernisation réalisés par la profession au service des lecteurs et de la
liberté d'informer.
II. Le deuxième axe de la réforme consiste à proposer des instruments
plus efficaces de soutien à la presse.
J'avais indiqué mon souhait de développer une approche stratégique des
aides de l'Etat, fondée en premier lieu sur la contractualisation par
entreprise.
Vos travaux ont confirmé la nécessité de créer un outil de pilotage qui sera
appliqué, selon une logique de seuil, aux titres qui bénéficient le plus des
aides actuelles. Une convention-cadre sera passée avec chacun de ces
titres, pour fixer, en contrepartie de l'assurance du soutien de l'Etat, un
certain niveau d'information sur l'entreprise, sa stratégie et ses objectifs.
Ce système donnera aux parties prenantes une double visibilité :
- pour l'entreprise, une visibilité pluriannuelle sur l'accompagnement de
l'Etat qui lui sera garanti, dans le strict respect de son indépendance
éditoriale et du secret des affaires ;
- pour les pouvoirs publics, une meilleure lisibilité de la stratégie
pluriannuelle de l'éditeur, qui permettra de mieux configurer l'enveloppe
budgétaire qui pourra lui être allouée et de mieux apprécier les objectifs
des projets financés par les crédits publics.
Cette démarche doit être compatible avec le respect de l’indépendance
éditoriale et économique des entreprises concernées. Ce qui la justifie,
c’est la recherche d’une efficience accrue des soutiens de l’Etat par un
suivi régulier des projets aidés et, dans un souci de transparence, en
proposant au Parlement et aux organismes de contrôle une meilleure
information.
Je veillerai à ce que ces conventions portent également des messages
forts en termes de responsabilité sociale des entreprises. Des bonifications
seront accordées aux entreprises de presse ayant engagées des efforts
particuliers en matière de respect des normes de qualité, par exemple
dans les domaines du développement durable, ou de la formation
permanente, notamment au sein des équipes éditoriales, et enfin
d’engagements en faveur de la diversité et la reconnaissance des
minorités.
Ces objectifs nous sont communs. Comme l’Etat, la presse joue un rôle
majeur dans l’évolution de la société. Je souhaite, autour de cet
engagement que l’on peut qualifier de « pro-actif » des services de l’Etat,
saluer les efforts consentis par un nombre important de vos confrères,
reconnaître leur action, et dans certains cas les sortir de l’isolement dans
lesquels ils se trouvent. Je souhaite par cette reconnaissance des efforts
individuels créer un effet d’entraînement positif pour les éditeurs qui
hésitent à s’engager sur ce terrain, afin de créer une dynamique visible qui
bénéficiera à l’ensemble de la communauté des éditeurs. Une enveloppe
annuelle sera consacrée à ces bonifications. Elle sera gérée dans le cadre
du nouveau fonds stratégique pour le développement de la presse et
attribuée sur la base d’un barème par le comité de pilotage du fonds.
La création en 2012 de ce nouveau « Fonds stratégique pour le
développement de la presse » était l’une des mesures importantes que
j’avais retenue en janvier dernier. Il s’agit de fusionner deux fonds qui ont
pour ambition commune le soutien à l’investissement. Le rapprochement
entre le fonds d’aide à la modernisation de la presse et celui dédié aux
services de presse en ligne rendra l'action de l'Etat plus cohérente ; il fait
naturellement écho au mouvement de convergence qui traverse
actuellement le secteur entre les univers physiques et numériques. C’est
selon moi la démonstration tangible d’une évolution radicale de notre
contribution au secteur. Comme le rappelait Aldo Cardoso, elle doit nous
faire « passer d’une logique visant à aider des acteurs et une industrie à
une logique d’accompagnement d’une fonction, celle d’informer, et à une
démarche, celle de l’innovation permanente ».
C’est dans cette logique, que la presse quotidienne gratuite imprimée
d'information politique et générale, qui a démontré sa capacité à
renouveler l’intérêt pour une information générale, populaire et citoyenne,
aura désormais accès au premier compartiment de ce fonds destiné à
financer les opérations de modernisation industrielle (imprimeries ou
systèmes rédactionnels), dès lors qu’elle supporte les mêmes contraintes
industrielles que la presse payante.
Une seconde section de ce fonds sera consacrée au soutien des
investissements innovants dans le domaine du numérique. Une partie des
crédits alloués à cette section bénéficiera notamment à la presse
favorisant le débat d'idées et la diffusion de la culture générale, ainsi qu'à
la presse d'information professionnelle.
J'ai également souhaité que la conquête de nouveaux publics, la
préservation et la consolidation des audiences de la presse soient
comptées au rang des objectifs stratégiques prioritaires des éditeurs et de
l’Etat. C'est la raison pour laquelle une troisième section de ce fonds sera
consacrée à l'ambition de démocratiser l’accès à l’information. Cette
section valorisera de nouvelles pratiques et la conquête de nouveaux
publics pour la presse : je pense en particulier au jeune public, à
destination duquel nous poursuivons une action importante depuis 2009
avec notamment l'opération « Mon Journal Offert ».
Cette nouvelle section permettra aussi d’accompagner les éditeurs
soucieux de renforcer leur mission en tant qu’acteurs du lien social auprès
de tous les publics. Je pense ainsi à une meilleure prise en compte des
publics dits « éloignés », en particulier dans les prisons et les hôpitaux.
J’aurai l’occasion de m’entretenir avec vous sur ces questions dès le mois
de septembre. Dans la même logique, cette section intégrera le soutien et
la promotion de la lecture de la presse française à l'étranger.
Enfin, plusieurs aides vont connaître des aménagements plus réduits :
L’aide au portage a fait la preuve de son efficacité pour inciter les éditeurs
à diversifier le mode de diffusion de leurs titres, en mettant l’accent sur ce
qui constitue aujourd’hui un facteur majeur de fidélisation des lecteurs.
Comme l’ont très bien démontré le SPQR et le SPQN : « le portage de la
presse quotidienne, ça marche ! ». L’Office de Justification de la Diffusion
l’atteste en effet avec une progression de 3% des ventes portées en 2010,
soit 80.000 nouveaux exemplaires par jour. Les pouvoirs publics
continueront donc d'encourager le développement du portage, ce qui
passe nécessairement par un rééquilibrage du flux et du stock en faveur
des nouveaux exemplaires portés. Car ce fonds, comme les autres, doit
conserver le caractère incitatif qui a conduit à son redéploiement en 2009.
Je veux répondre à une inquiétude qui s'est exprimée au sein du groupe
concernant la pérennité de l'aide au portage. Cette préoccupation est bien
sûr légitime, parce que les investissements nécessaires au portage
impliquent une bonne visibilité financière à moyen terme. Je tiens à
préciser que cette aide est clairement inscrite dans une perspective
pluriannuelle. Même s'il faut tenir compte des contraintes qui pèsent sur les
finances publiques, je m'engagerai lors des débats de préparation de la loi
de finances pour 2012, à garantir un niveau élevé pour cette aide, qui est
très structurante pour la profession.
Cette aide est d'autant plus vitale que de grands changements se
préparent dans la distribution de la presse. Je souhaite qu'une incitation à
la mutualisation soit opérée à travers cette aide, ce qui créera des
conditions encore plus favorables au rapprochement des réseaux. Le
déploiement d’outils industriels collectifs doit être facilité à tous les niveaux
de l’intervention publique. Il s’agit là d’une règle transversale qui
s’appliquera sur l’aide au portage comme sur l’ensemble des aides
directes de l’Etat.
En matière d'aides au pluralisme, je me réjouis que la commission ait
souligné, comme je le souhaitais, son attachement au dispositif de soutien
aux quotidiens à faibles ressources publicitaires.
Mon objectif est que le bénéfice du fonds ne conduise pas à enfermer les
titres dans un modèle économique qui les dissuade de développer leurs
recettes commerciales et leur diffusion. Pour la rendre plus efficace et
pertinente au regard de la situation de ses bénéficiaires, une nouvelle
section sera donc créée pour éviter un effet de seuil trop brutal et pour
accompagner les titres dans leur développement.
Enfin, dans un souci de rationalisation, les aides à l’exportation seront
désormais ventilées entre d’une part, l’aide à la distribution attribuée à
Presstalis, et d’autre part, le troisième compartiment du nouveau fonds
stratégique consacré au développement du lectorat. D’autres évolutions
doivent être inscrites à l’agenda, comme la mise en oeuvre du nouveau
dispositif spécifique d’aide à la création pour les éditeurs de presse locale
indépendants, qui viserait essentiellement les projets de création de presse
hebdomadaire régionale. Il pourrait être adossé à l’IFCIC. Nous y
travaillons.
Comme je l'avais indiqué lors de notre réunion inaugurale, après les
importantes réformes assumées par le secteur ces trois dernières années,
l'Etat se devait de revenir sur l’efficacité de sa propre intervention. Je me
réjouis que ce travail ait pu être réalisé dans un climat de coopération, de
confiance, et de respect de l’indépendance et des particularismes de
chaque famille de presse réunies autour de Roch-Olivier MAISTRE.
Je veillerai à ce que soit préservé ce climat de confiance, dans le respect
des principes de neutralité de l’intervention publique, d’autonomie des
bénéficiaires de l’aide et de transparence maîtrisée. Ce sont autant
d’éléments indissociables des valeurs du vivre ensemble et du lien social
que vous entretenez chaque jour avec vos lecteurs et vos internautes.
Toutes ces orientations vont maintenant être traduites concrètement par
des mesures réglementaires, et mon ministère les inscrira dans la
préparation de la loi de finances pour 2012.
Dans un contexte budgétaire tendu, que nul n'ignore ici, ces évolutions ne
conduisent pas à une remise en cause du soutien public au secteur de la
presse. C’est au contraire un gage pour sa pérennité, pour son ancrage
sur des fondations stables et légitimes - une sorte d’armure de protection,
en quelque sorte, qui légitime le rôle de l'Etat en tant qu’accélérateur et
catalyseur du changement.
Lorsqu’on parle de politique publique, on oppose souvent différentes
écoles. Il y aurait l’école anglo-saxonne, qui vise à « libérer les sources
créatives privées » en coupant drastiquement toute intervention de l’Etat,
ce qui peut s’avérer socialement coûteux. Il y aurait le modèle germanique,
qui diminue le rôle de l’Etat tout en maintenant une forte régulation du
secteur des services et en préservant le tissu de ses petites et moyennes
entreprises. Pour sa part, le modèle historique français est fortement ancré
dans des traditions qui remontent souvent à l’après-guerre.
Tous ces débats autour du rôle de l’Etat, ses moyens, sa finalité, ont
parcouru nos échanges, jusque dans la rédaction des rapports qui ont
servi de base à la réforme présentée aujourd’hui. Pour ma part, je
considère que l’équilibre auquel vous êtes parvenu, et qui me convient,
préfigure une voie médiane qui évite d’opposer Etat social et ajustement
budgétaire. Cette voie nous permet au contraire de combiner des choix
sociaux avec une stratégie de croissance. Dans son action renouvelée au
service de la presse, l’Etat doit participer à l’investissement productif et à
l’innovation dans un secteur où la faiblesse en fonds propres représentent
l’un de ses principaux handicaps : c’est le rôle du Fonds Stratégique. L’Etat
prône par ailleurs une politique active en faveur du capital humain, en
particulier au sein de vos rédactions.
Cette réforme des aides à la presse nous permet précisément d’envisager
un modèle de croissance dans lequel l’Etat pourra avec une bien meilleure
efficacité jouer son rôle de vecteur d’employabilité, de productivité et de
créativité, au service du pluralisme de l’information, de la diversité des
publics et des opinions.
Je vous remercie.