Au moment de clore cette huitième édition de la journée de la création
audiovisuelle, je me réjouis du succès grandissant cette manifestation, qui
a permis une nouvelle fois à l'ensemble des professionnels de l'audiovisuel
de se rencontrer et d'échanger en toute liberté sur les enjeux de la
création.
Je félicite, en la personne de Jean-François Boyer, le formidable travail des
organisateurs et la qualité des intervenants.
Les échanges ont été riches, passionnés et si, comme nous le savons
tous, les problématiques de la fiction, du documentaire et du spectacle
vivant ne sont pas identiques, cette journée de réflexion apporte la preuve
que l'univers de la création dans son ensemble doit faire face à des défis
communs. Ces défis sont bien entendu les miens, en tant que ministre de
la Culture et de la Communication bien sûr, mais aussi parce qu’à titre
personnel, je connais pour l’avoir vécu la beauté et la difficulté de vos
métiers, et je suis fier de pouvoir dire que je suis l’un des vôtres.
J’ai été évidemment sensible à l’appel « Mitterrand avec nous » que lançait
Jean Francois Boyer dans son éditorial. Je vais donc tâcher de dresser
brièvement avec vous un bilan et une feuille de route sur les enjeux
majeurs de notre actualité : la relance de la fiction française, le
financement de la création et la convergence des écrans.
Quels sont les défis qu’il nous faut relever ? Celui de la technologie bien
sûr, puisqu'il s'agit de s'adapter à des terminaux et à des réseaux de
nouvelle génération. Mais surtout le défi de l'innovation, du renouvellement
des genres, des formats, des écritures, dans un univers où la production
américaine est massivement présente et où les jeunes générations se
démarquent par des attentes nouvelles. Car pour nous, la réponse à ses
défis viendra des oeuvres, des créateurs, de la capacité des productions
françaises à se distinguer, à interpeler, à fédérer, pour mieux rayonner sur
nos antennes et dans le monde.
La multiplication des supports et des éditeurs de services audiovisuels
aboutit à une situation que l’on qualifie souvent d'« hyper-choix », où le
spectateur se trouve confronté à un éventail de programmes de plus en
plus vaste. Cette situation de profusion doit amener les acteurs
audiovisuels à privilégier la production d'oeuvres ambitieuses, de
« marques fortes », déclinables sur de multiples supports de façon à
constituer un environnement plus qu'un simple programme.
Ces marques fortes – fortes également parce qu'elles engagent des
budgets parfois conséquents - posent à nouveau la question du
financement de la création. À l'image du secteur tout entier, c'est en effet
notre modèle de financement, qui repose notamment sur des obligations
de contribution à la production, sur les investissements des chaînes
publiques, et les dispositifs de soutien gérés par le Centre National du
Cinéma et de l’Image animée, qui doit relever le défi des nouvelles
générations et des nouveaux écrans.
Ce travail passe notamment par l’évolution et l’adaptation de notre
réglementation et de notre système de soutien. Depuis le message que je
vous avais adressé l’année dernière, et en guise de rapide bilan de mon
action, je souhaiterai souligner l’importance de trois innovations introduites
ces derniers mois.
Je pense en premier lieu à l’adoption du décret sur les services de médias
audiovisuels à la demande, qui intègre ces derniers, dont les Français sont
de plus en plus consommateurs, dans les mécanismes régissant la
contribution au financement de la création française et européenne, en leur
donnant également une bonne exposition sur les plateformes qui les
portent.
Je pense également à l’entrée en vigueur du « Web Cosip », un dispositif
essentiel pour moderniser le soutien à la production audiovisuelle dans
l’univers numérique, et dont un premier bilan sera effectué début 2012.
Je songe également à la réforme du soutien à la captation de spectacles
vivants, dont les modalités d’accès permettent de prendre en compte
davantage de programmes, et de favoriser le développement d’une offre
internet pour ce genre.
Si ces évolutions sont importantes, je n’ignore pas que vous attendez aussi
beaucoup de l’audiovisuel public, dont les feuilles de route pour les années
à venir sont en cours de négociation. Face à la véritable révolution que le
monde de la création audiovisuelle est en train de vivre, les producteurs et
les auteurs peuvent compter sur l'engagement sans faille du service public,
au travers des sociétés nationales de programmes.
Vous le savez, les contrats d'objectifs et de moyens de France Télévisions
et d'Arte France sont en cours de discussion et, sans révéler le contenu
exact de ces textes, je peux d’ores et déjà vous confirmer aujourd'hui qu'ils
traduisent pleinement l’engagement de l’État et des chaînes publiques
dans la défense et la promotion de la création – un engagement dont nous
avons tous pu mesurer l’importance pour votre activité durant la récente
crise du marché publicitaire.
Ainsi, le contrat d'objectifs et de moyens 2011-2015 de France Télévisions
renouvellera l'engagement financier de l'entreprise au bénéfice de la
création patrimoniale. Je tiens à souligner que le contexte budgétaire
contraint dans lequel l'Etat évolue, et qui nécessite d’ailleurs d’ultimes
ajustements en cours de négociation, donne une grande valeur à ces
engagements. Malgré cette contrainte, je souhaite que France Télévisions
puisse tenir les objectifs fixés, et investir au minimum 420 M€ par an dans
la création audiovisuelle patrimoniale à compter de 2012. Le contrat
d'objectifs et de moyens insistera par ailleurs sur le rôle moteur que doit
jouer le groupe public en matière d'innovation, qu'il s'agisse d'innovation
dans les formats, l'écriture ou les modes de diffusion.
Je suis particulièrement attaché à la nécessité de préserver l'exemplarité
du groupe public dans le domaine de la création audiovisuelle. L’enjeu est
double : tout d’abord, offrir au public des oeuvres modernes, créatives, qui
renouvellent la fiction française, afin que celle-ci puisse fédérer son public
notamment en journée ; d'autre part, concevoir un véritable partenariat
avec les producteurs et les auteurs, dans un souci de transparence, de
confiance et de redéfinition des rôles respectifs. Dans la lignée des
préconisations du rapport que m’a remis au printemps Pierre Chevalier, un
projet de charte encadrant le développement et l’écriture est actuellement
en discussion, afin de mieux développer nos fictions. Ce travail est
entamé, et France Télévisions a d’ores et déjà fait des propositions aux
organisations de producteurs et d'auteurs. J’en appelle à la responsabilité
de chacun des acteurs concernés pour que cette démarche pionnière, qui
sera amenée à s’étendre à d’autres diffuseurs, puisse aboutir avec succès.
Enfin, la stratégie de l'entreprise en matière de création sera clairement
orientée vers le développement des nouvelles écritures web, des
nouveaux formats numériques et du transmédia. Ces contenus ont en effet
vocation à voyager sur tous les supports.
S'agissant de la chaîne ARTE, avec laquelle un nouveau Contrat
d’Objectifs et de Moyens est également en cours de négociation pour la
période 2012-2016, elle continuera à affirmer sa singularité et son
originalité en matière de création.
Ses engagements financiers dans la production d’oeuvres
cinématographiques et audiovisuelles européennes seront préservés. Ils
continueront à privilégier les écritures innovantes et originales. Face à
l’érosion des audiences de la chaîne sur la TNT, l’un des axes majeurs de
ce nouveau contrat portera sur la revitalisation de la grille de journée, et ce
dès le début de l’année 2012, notamment par une politique
d’investissement volontariste dans le documentaire. Pour ce faire, et
malgré le contexte budgétaire difficile, j’ai tenu à ce que la chaîne puisse
bénéficier de ressources publiques substantiellement accrues, afin de
mener à bien cet effort.
Par ailleurs, les mutations du secteur audiovisuel provoquées par les
nouvelles technologies constituent pour ARTE une formidable opportunité.
De par leurs caractéristiques propres, les documentaires et les émissions
culturelles d’ARTE se prêtent particulièrement bien à une consommation
non-linéaire, à un visionnage dont le moment est choisi par le
téléspectateur.
ARTE a clairement vocation à être pionnière sur les nouveaux vecteurs de
diffusion. La chaîne portera tout particulièrement son effort d’innovation sur
les programmes spécialement conçus pour Internet, comme les webdocumentaires
et les web-fictions, ainsi que sur les créations hybrides qui
associent dès leur conception la télévision et le Net.
En ce qui concerne le Centre national du cinéma et de l’image animée, les
chantiers ouverts – afin de traduire en acte les préconisations du rapport
Chevalier sur la fiction - sont considérables.
La réflexion concernant la fiction porte notamment sur la réforme du fonds
innovation, afin de permettre une meilleure efficacité et une plus grande
adéquation au marché de ce dispositif essentiel pour permettre de
régénérer la fiction. Le travail de concertation avec les organisations
professionnelles d'auteurs et de producteurs est désormais quasiment
achevé. Nous espérons une mise en application de ses nouvelles
modalités avant la fin de l’année.
En ouvrant un chantier très large sur la fiction, j’ai fixé au CNC trois autres
axes de travail :
- l’adaptation de nos dispositifs pour favoriser le développement de séries
longues ;
- leur adaptation pour permettre le développement de la fiction dite low
cost, destinée à la programmation en journée tant des chaînes historiques
que des chaînes de la TNT ;
- les coproductions internationales d'initiative française ou européenne ;
Sur tous ces sujets, une ample série d'auditions a été engagée afin de
recueillir vos contributions et vos réflexions. L'implication de tous les
acteurs concernés sur ce chantier est capitale. Il y a en effet urgence : les
séries américaines occupent une part croissante de nos écrans. L’heure
n’est plus à pointer les responsabilités de chacun face à cet état de fait. Il
s’agit désormais de contribuer activement à une réflexion collective
responsable, afin de proposer des pistes de travail et des
solutions permettant à notre fiction nationale de retrouver la place qu'elle
mérite.
J’en viens maintenant à un sujet tout aussi important, qui concerne le
financement des oeuvres : celui de la réforme de la taxe du CNC en faveur
de la création audiovisuelle et cinématographique. Nous nous devons en
effet de répondre aux pratiques d’optimisation fiscale d’un opérateur alors
que tous les autres opérateurs s'acquittent de cette contribution. J'ai
souhaité apporter rapidement une réponse à ce déséquilibre fiscal et à
cette stratégie de contournement qui, si elle se poursuit, occasionnera un
déficit de ressources pour la création de l’ordre de 20M€ en 2011. Nous
devons donc redéfinir la base de la taxation des abonnements des
fournisseurs d'accès à Internet, afin de consolider et de mieux maîtriser à
l'avenir son évolution, dont l’impact est direct sur le financement du compte
de soutien du CNC. Il s’agit là d’une question complexe, et nous voulons
mettre à profit les quelques semaines dont nous disposons pour l'écriture
de la loi de finances 2012, afin de trouver la meilleure formule.
Cela demande une expertise complémentaire au vu de la complexité des
offres de service des opérateurs et de la dynamique de progression très
forte et très rapide de ce marché. L'objectif est de proportionner le
rendement de la taxe sur les opérateurs de contenus aux besoins de
financement des contenus cinématographiques et audiovisuels par le
CNC. Il est prévu à la fois de maintenir un niveau de financement du CNC
comparable à celui de l'année dernière, tout en assurant annuellement sa
progression raisonnable, et d'ajuster en conséquence le taux d’imposition
des opérateurs de télécommunication.
Mon souci est donc de pérenniser et de stabiliser, à un niveau
correspondant à ses besoins, le financement du CNC. Rappelons l’esprit
du compte de soutien du CNC : prélever une contribution auprès de tous
ceux qui diffusent et donnent accès à des contenus, en vue de financer
des oeuvres audiovisuelles et cinématographiques produites en France qui
auront vocation à enrichir l’offre de contenus de tous les opérateurs. La
réforme que j’envisage vise à faire respecter pleinement ce principe. Il
s’agit d’un mécanisme vertueux qui a déjà largement prouvé son efficacité.
Il me paraît par ailleurs essentiel que ces ressources restent bien affectées
au secteur de la création, comme c’est le cas actuellement.
Ces mesures seront proposées dans le projet de loi de finances initiale
pour 2012. Les résultats du système français d'aide au cinéma - que bien
des pays nous envient - sont incontestables. Le dernier Festival de Cannes
en a encore fait la preuve. Ce n'est donc vraiment pas le moment de le
fragiliser. Il nous faut au contraire le soutenir le plus efficacement possible.
Sur tous ces points, la réflexion que vous avez menée ensemble
aujourd’hui aura à coup sûr fortement contribué à mobiliser tous les
acteurs concernés autour du développement et du renouvellement de la
création française.
Je vous en remercie.