Je suis très heureux d’être avec vous ce matin pour ouvrir cette
troisième édition du Forum des diversités en action.
Mettre en valeur la diversité et le dialogue des cultures, et
notamment les bonnes initiatives qui les portent, inciter nos
concitoyens à aller l’un vers l’autre, qui ne souscrirait pas à un tel
agenda ?
L’organisation d’une telle manifestation à Sciences-Po fait d’autant
plus sens que cette institution phare dans l’enseignement supérieur
français a grandement contribué, par ses initiatives remarquables sur
les nouvelles voies d’accès à ses concours, à relancer le débat de la
diversité
Tout en saluant la générosité du propos à laquelle je ne peux que
souscrire, je voudrais rappeler, notamment aux plus jeunes d’entre
nous aujourd’hui, que l’acceptation du mot diversité dans notre
vocabulaire courant est un acquis récent.
C’est le produit d’un processus qui a nécessité l’implication et
l’activisme d’associations et de bonnes volontés qui y ont consacré
toute leur énergie ; souvenons-nous qu’on ne parlait guère de
diversité il y a encore quelques années. Je salue notamment la force
de l’engagement d’associations comme Toléde, ou encore le Cercle
Montherlant, qui ont été très actifs en ce sens.
C’est un combat auquel j’ai eu l’occasion de m’associer à plusieurs
reprises, à ma modeste échelle, quand je présentais par exemple
l’émission les Nuits du Ramadan, créée par Hervé Bourges.
Si nous ne pouvons que nous réjouir du fait que le mot « diversité »
soit désormais devenu monnaie courante, il nous faut rester vigilants,
à mon sens, à de nouveaux risques qui pointent à l’horizon. La notion
de diversité de relève pas du marketing. Le dialogue des cultures non
plus. Car à force de les entendre, de les accepter comme un
incontestable acquis, on risque parfois d’en oublier leur caractère non
évident, de démonétiser leur singularité. Sous l’éloge de bon aloi de
la différence se cache souvent l’incommunication ; il nous faut veiller
à ce que le dialogue des cultures, par exemple, ne soit pas la marque
du vide entre les cultures - pour reprendre une expression de l’Aga
Khan, pour qui ce vide représente l’un des dangers majeurs auquel
notre monde est aujourd’hui exposé.
Dans une célèbre nouvelle de Borges, le philosophe arabo-andalou
Averroès est confronté à une tâche impossible : trouver une
traduction satisfaisante des notions de tragédie et de comédie telles
qu’elles sont définies dans la Poétique d’Aristote. C’est ce difficile
équilibre entre la tentative de « devenir l’autre » et le besoin du
regard de l’autre, de se laisser surprendre par lui dans toute sa
singularité, qu’il nous faut savoir tenir.
La France et la diversité sont deux mots, je crois, qui vont bien
ensemble. Hervé Bourges a raison de nous rappeler dans son
dernier livre, « L’Afrique n’attend pas », cette belle phrase de
Fernand Braudel : « La France se nomme diversité ». La profusion
de l’offre culturelle en France, qui laisse une large place à toutes les
cultures, renforce la pertinence de propos. Notre pays joue par
exemple, et nous pouvons en être fiers, un rôle majeur dans la
production et la distribution des cinémas du Sud.
Je pense aussi à nos saisons culturelles qui tissent chaque année
des liens d’une densité exceptionnelle avec nos pays partenaires - la
Russie cette année, le Mexique l’année prochaine. Il y a aussi, bien
sûr, notre scène musicale : Paris est à coup sûr l’une des capitales
des musiques arabes, et elle l’est également pour les musiques
africaines.
Bien du chemin a été parcouru depuis l’exotisme de l’Exposition
coloniale de 1931, depuis la fascination de Debussy pour le
Gamelan balinais qu’il avait découvert à l’Exposition universelle de
1889 : le chamarré a laissé place au partage, l’altérité radicale à la
diversité, et c’est heureux.
Autour de nous, en Europe même, les lignes de partage semblent
bouger, et certains acquis semblent perdre de leur évidence. Je
pense au débat sur la différence entre le modèle communautariste
britannique et l’intégration à la française, que l’on a si souvent
opposés.
Je pense également au débat qui a suivi les propos récents de la
Chancelière sur la fin du modèle « Multikulti » en Allemagne. La société
néerlandaise, qui a joué dans l’histoire un rôle si important pour
la promotion de la tolérance interconfessionnelle et la liberté de penser,
traverse également une période de doutes.
Comparativement, en France, nous sommes toujours en train de
chercher ce point d’équilibre, délicat et sans cesse renégocié, entre
l’universalisme des principes républicains et le désir de
reconnaissance que la diversité appelle. C’est peut-être
paradoxalement ce qui fait aujourd’hui notre force : nous avons une
forte pratique et une expérience relativement longue de ce débat
parfois âpre ; et nous avons également les outils institutionnels
nécessaires pour encadrer, au cas par cas, cette négociation
continuée entre républicanisme et reconnaissance.
Pour autant, les points de résistance à la promotion de la diversité ne
manquent évidemment pas dans notre société : je pense en tout premier
lieu aux médias grand public. La visibilité des minorités y reste
comparativement insuffisante. Selon le Club Averroès, la représentation
de la diversité dans les médias français serait en stagnation,
voire en régression. Ce constat est partagé par de nombreux rapports,
issus du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel - le CSA et son observatoire
de la diversité -, de la Haute Autorité pour la lutte contre
les discriminations, la HALDE, du Haut commissaire à l’intégration,
ou encore du Comité permanent pour la diversité, organe interne à
France Télévisions. L’on peut d’autant moins se satisfaire d’une telle
situation que les médias ont un rôle déterminant à jouer pour favoriser
l’intégration des minorités, et notamment des descendants de
l’immigration.
Je tenais ce matin à vous rappeler que je porte une attention toute
particulière à cette question, et je serais aux côtés de France
Télévisions et de ses dirigeants pour que l’on puisse faire encore
mieux dans ce domaine, car c’est une nécessité. Nous inscrirons
cette thématique dans le prochain contrat d’objectifs et de moyens
de France Télévisions. Et le service public de la télévision ne doit
pas être le seul à oeuvrer en faveur de la diversité. J’aurai donc aussi
d’autres initiatives qui concerneront l’ensemble des autres services
de médias, notamment en m’inspirant des suggestions et
propositions qui ont été formulées récemment dans les travaux que
je viens de citer et qui ne doivent pas rester lettre morte.
L’engagement de mon Ministère est entier pour accroître ce qu’on
appelle la visibilité, sans pour autant l’imposer. Mettre en valeur
l’apport de la diversité à notre société fait partie à coup sûr de nos
missions. Je pense par exemple à la nomination du grand réalisateur
haïtien Raoul Peck à la tête de la FEMIS ; je pense aussi à des
manifestations comme le grand Ramdam de La Villette, l’Année des
Outre-mer qui va bientôt commencer, ou encore aux Fonds images
de la diversité ; je pense aussi à l’arabe, l’une des principales
langues de France, qui sera la langue invitée d’honneur
d’Expolangues dans quelques mois.
Autant de rendez-vous auxquels vous viendrez, je l’espère,
participer, et qui visent à mettre en valeur la richesse de notre
société dans toutes ses composantes, tournée vers son avenir.
L’une des forces, à mes yeux, du Forum des Diversités, c’est sa
capacité à convoquer une grande variété d’expériences. Je pense
bien sûr à l’expérience libanaise, dont il sera certainement
abondamment question pendant cette journée, puisque le Forum
s’inscrit dans la continuité des débats que vous avez menés il y a
quelques mois à Beyrouth.
Je salue également très chaleureusement la participation de M.
l’Ambassadeur du Canada, qui est bien entendu le mieux placé pour
savoir que les débats sur ce qu’on appelle outre-atlantique les
« arrangements raisonnables » sont suivis ici avec beaucoup
d’attention.
Le Forum des Diversités, c’est également une table ronde sur foi et
citoyenneté où sont représentées les trois grandes religions
monothéistes - comme il se doit, je dirais, pour un événement
organisé par une association qui s’appelle Toléde, inspiré du nom de
la ville des trois cultures.
Je voudrais terminer en saluant également avec enthousiasme la
présence des étudiants de Sciences Po, dont je félicite le directeur,
Richard Descoings, pour l’initiative remarquable et couronnée de
succès - je tiens à la rappeler encore une fois - qui a été la sienne
d’ouvrir le recrutement de son établissement à des élèves de zones
d’éducation prioritaire.
Il a ainsi fait figure de génial précurseur et nous lui avons emboîté le
pas au ministère de la culture et de la communication avec le
concours de la fondation « Culture et diversité » de Marc Ladreit de
Lacharrière qui vise à rendre plus accessible aux élèves de
l’éducation prioritaire les grands établissements d’enseignement
supérieur que sont La FEMIS, l’Ecole du Louvre, l’Institut National du
Patrimoine et les écoles d’Architecture.
Je salue aussi les élèves des lycées Paul Eluard et Hélène Boucher,
pour qui ces deux journées seront, je l’espère, les plus marquantes
possibles. Ce forum vous est tout particulièrement dédié.
Je vous remercie.
Discours de Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture et de la Communication, prononcé à l'occasion de l’ouverture du forum Diversité 10, à l'Institut d'études politiques de Paris
M. le Président de Toléde, cher Mondher Abdennadher,M. le Président du Cercle Montherlant, cher François-Xavier de Sambucy,Cher amis,
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