La nature ne peut être réduite à quelques métaphores : au verdissement,
au végétal, à l’invocation de la campagne. Elle est plus complexe que cela,
elle renvoie à une genèse réitérée comme l’indique son étymologie latine :
elle est « ce qui donne naissance, ce qui présage de la chose ». La nature
ne relève pas non plus du domaine des choses extérieures à l’homme, à
sa formation, à sa culture : elle est en nous, elle nous porte, comme le dit
Maurice Merleau-Ponty dans son cours sur La nature au Collège de
France.
Parce qu’elle est traversée de dynamiques, de flux, de mouvements, la
ville a souvent composé avec la nature : du jardin au parc, en passant par
la promenade paysagère. Aujourd’hui, elle est pensée par les architectes,
par les urbanistes, par les aménageurs comme un éco-système, avec ses
flux, ses respirations, ses régulations. Le paysage - fût-il citadin -est ainsi
devenu partie intégrante de la culture urbaine contemporaine. Imagineraiton
Manhattan sans Central Park ? Barcelone sans le parc Güell ? Paris
sans les Buttes Chaumont, le parc de la Villette, celui de Bercy ou celui de
Citroën-Cévennes?
A Paris, dans le cadre des grands travaux d’Haussmann, Alphand a conçu
les parcs de la capitale modernisée – les Buttes Chaumont, le Parc
Monceau. Un siècle et demi plus tard, le jardin de Gilles Clément, pièce
essentielle du musée de Jean Nouvel au Quai Branly, ou les murs
végétaux de Patrick Blanc nous offrent une démonstration inédite de la
présence de la nature en milieu urbain.
La métropole du XXIe siècle, celle qui s’inscrit dans les préconisations
avancées à l’occasion des accords de Kyoto, est à la recherche de
nouveaux équilibres. L’étalement urbain, le développement du bâti incite à
repenser les rapports du citadin à la nature. Ainsi, les équipes engagées
dans la Consultation internationale sur le Grand Paris ont beaucoup
travaillé sur l’agriculture en milieu urbain et sur la reconquête de l’eau. Icimême,
ces équipes ont toutes exprimé la nécessité d’un dialogue conjoint
entre développement territorial et valorisation de la ressource naturelle.
Car il s’agit de construire une ville où les paysages peuvent jouer diverses
fonctions, où il soit possible d’associer le développement social et le
développement durable. L’enjeu réside dans la faculté que nous aurons
tous à penser et mettre en oeuvre une véritable biodiversité dans la ville, à
créer un éco-système mieux partagé et plus équilibré.
Je me réjouis à cet égard que mon ministère ait soutenu les promenades
paysagères du Fort Saint-Jean à Marseille, liées à la création prochaine du
Musée des Civilisations et de la Méditerranée (MUCEM), ainsi que celle du
quadrilatère des Archives nationales à Paris. Fabriquer des espaces à
haute qualité culturelle et environnementale, développer une réflexion
d’ensemble sur les jardins et les espaces verts dans le tissu urbain,
inventer de nouvelles « prises » avec la nature - pour citer là encore
Merleau-Ponty - ce sont là les défis de la ville du XXIe siècle, ce sont là les
dimensions qui sont suivies avec attention par mon ministère.
D’autres exemples en région traduisent cette interaction riche de
possibilités : le projet Euromediterranée 2 à Marseille où François
Leclercq et l’agence Ter ont conçu le parc urbain comme l’épine dorsale
d’un grand aménagement ; l’opération Lyon-Confluences, où, entre Rhône
et Saône, le cabinet Herzog & de Meuron et Michel Desvignes travaillent
sur dans une logique qui épouse le site particulier du confluent en
inventant à partir de l’existant. La dernière édition de la Biennale
d’architecture de Venise nous a d’ailleurs donné l’occasion de découvrir les
projets de nos grandes métropoles.
En proposant au public le thème de la « ville-nature », la Cité de
l’architecture et du patrimoine nous permet de prendre conscience de cet
enjeu décisif. Le cycle entend traiter le sujet dans une double dimension, à
la fois rétrospective et prospective : il regarde vers les expériences
passées pour mieux se projeter vers l’avenir ; il se nourrit des grandes
expérimentations pour inventer de nouveaux chemins.
Conçue de manière originale par Michel Péna et Nicolas Gilsoul,
l’exposition « La Ville fertile » en est l’un des volets. Elle analyse les outils
contemporains qui permettent l’aménagement des parcs et la reconversion
des territoires. Elle fournit les clefs pour interpréter la « fabrique du
paysage » dans la ville en proposant sept thèmes majeurs comme le
temps, le ciel et l’eau, accompagnés de promenades filmées. A Paris,
comme dans les capitales régionales mais aussi hors de nos frontières, la
ville du XXIe siècle fait en effet figure de laboratoire pour de nouvelles
« nouvelles natures urbaines » mêlant prairies, forêts, friches, rives et
rivages.
Davantage qu’une exposition, c’est donc un nouveau cycle que j’ai le
plaisir d’inaugurer aujourd’hui à la Cité de l’architecture et du patrimoine.
Au cours de ce cycle se succéderont expositions, projections, ateliers et
parcours végétal pour donner à voir et à penser la métropole du XXIe
siècle, ce territoire hybride où la ville peut être verte et la nature urbaine.
À la lumière des expériences conduites dans première décennie du XXIe
siècle, il a également paru important de revisiter l’oeuvre de l’un des plus
grands talents de l’avant-garde du xxe siècle, Roberto Burle Marx.
Paysagiste mais aussi artiste multiple – peintre, musicien, créateur de
bijoux - il fut une grande figure de ce qu’il est convenu d’appeler le
« modernisme brésilien », il travailla avec Le Corbusier, Oscar Niemeyer
ou Affonso Reidy. Conçue par Lauro Cavalcanti avec l’architecte
scénographe Pierre Audat - l’un des lauréats des Nouveaux Albums des
jeunes architectes et paysagistes (Najap) – cette rétrospective est aussi un
hommage à la relation si forte de la France et du Brésil dans le domaine de
l’architecture et plus généralement de la culture, comme l’a manifesté
l’année du Brésil en France organisée en 2005. A Paris, on doit à Burle
Marx d’être intervenu sur le site de l’Unesco, sa seule oeuvre en France. A
Rio comme à Brasilia, en milieu urbain comme en pleine nature, son travail
nous fascine, nous intrigue, nous émerveille. J’en ai été le témoin lorsque,
à l’âge de 18 ans, j’ai choisi de mettre le cap sur cette « ville moderne »,
classée aujourd’hui au Patrimoine mondial. Là, dans cette cité de la
modernité, qui a inspiré cinéastes comme photographes, j’ai pu prendre la
mesure du travail de ce paysagiste hors normes.
Toutes ses interventions ont marqué l’époque contemporaine du sceau de
la modernité. Elles ont enrichi le territoire des villes aussi bien que le
vocabulaire du paysage en offrant des alternatives à la terminologie
réductrice d’ « espace vert ». S’il revient aux architectes et aux paysagistes
d’aménager la ville - codes d’urbanisme et schéma directeurs à l’appui - il
leur incombe aussi de sentir ses palpitations et d’en respirer les rythmes
et les effluves. On doit à Roberto Burle Marx cette « intelligence du
paysage » mêlant fonctionnalisme et poésie, exigence technique et
valorisation de l’humain. La trace qu’il a léguée explique que les Nouveaux
Albums des jeunes architectes et paysagistes, les fameux NAJAP - se
sont ouverts au paysage depuis 2008. C’est la marque du soutien du
ministère de la Culture et de la Communication à la jeune création dans
l’espace public, comme dans le domaine de l’architecture. C’est aussi la
traduction d’une attention soutenue en faveur d’un « regard instruit » dans
le domaine du paysage.
Il ne s’agit pas, chacun l’aura compris, de faire oublier ou de discipliner la
ville, comme on l’entend trop souvent. Il s’agit d’y vivre et de la faire vivre
autrement, de la partager, de la faire respirer, d’y dessiner les contours
d’une nouvelle intelligence entre l’homme et son environnement. Les
racines du mot « nature », je l’ai rappelé, évoque la vie, la naissance. Je
suis convaincu que la Cité de l’architecture et du patrimoine, à travers ce
cycle, contribuera à faire naître de nouvelles images et de nouvelles
possibilités pour la ville de demain.
La force de ce cycle « Ville et Nature » est aussi là : révéler un regard
curieux et éclectique pour se confronter à la multiplicité des
expérimentations sur le paysage. C’est pourquoi je tiens à exprimer ma
reconnaissance à toutes celles et ceux qui l’ont rendu possible – François
de Mazières en premier lieu mais aussi les commissaires, scénographes,
paysagistes et architectes qui ont apporté leur pierre à cette « Ville
fertile ». La déambulation dans ce grand jardin qu’est devenu la Cité de
l’architecture et du patrimoine est passionnante, et je forme le voeu que
cette expérience originale soit partagée par un très large public.
Elle montre l’importance de cet établissement qui permet d’offrir une
véritable « pédagogie du paysage » si importante à l’ère de la
standardisation des modes de vie et de l’uniformisation du goût. J'ai déjà
eu l'occasion de le dire, les architectes figurent parmi les meilleurs
ambassadeurs de notre culture à l'étranger. En travaillant sur la cité - la
polis des Grecs intimement liée à l’idée de la politique et de la citoyenneté
- sur son environnement et sur le « vivre ensemble », ils sont au coeur des
interrogations de nos contemporains, ils sont à même de les toucher, de
les émouvoir, de les sensibiliser. Leur engagement et leur expertise
permettent de dessiner les contours de la ville de demain, une ville proche
des attentes de ses habitants, une ville respectueuse des normes
environnementales tout autant qu’une cybercité connectée au réseau
mondial, ouverte aux cultures du monde, une « ville-nature » en d’autres
termes, qui serait la traduction locale de ce que Gilles Clément désigne
sous le terme de « jardin planétaire ».
Je vous remercie.