Le 5 avril 1978, Jean-Philippe Lecat devenait le premier ministre de la Culture et de la Communication, une fonction qu’il a exercée pendant les trois dernières années du septennat de Valéry Giscard d’Estaing. Les entretiens – recueillis en 2010 – dressent un tableau vivant de son action. Jean-Philippe Lecat y décrit la vie d’un ministre au quotidien, explicite les ressorts de ses initiatives en y jetant parfois un regard distancié sans se priver de juger l’action de ses successeurs.
Jean-Philippe Lecat reste le ministre de « l’Année du patrimoine » (1980) et celui qui dès son arrivée crée la direction du patrimoine. Il a développé la politique des dations (paiement des droits de succession par le don d’œuvres d’art) qui a permis notamment l’enrichissement du musée Chagall à Nice. On lui doit l’attention du ministère aux arts du cirque, la création du deuxième Conservatoire national de musique et de danse à Lyon, et l’extension du 1 % artistique à l’ensemble des constructions publiques.
À travers cette édition annotée et complétée, on découvre l’œuvre d’un ministre et les qualités d’un homme qui dans une période de crise a réussi à maintenir l’essentiel des politiques culturelles.
Proche de Valéry Giscard d’Estaing, Jean-Philippe Lecat dresse un portrait sensible des engagements culturels du Président.
Méthodologie de la collecte
Le ministère Lecat n’ayant encore donné lieu à aucune étude de fond, la première étape de notre travail a consisté à repérer les sources les plus pertinentes pour obtenir une vue d’ensemble sur son action et identifier les grandes lignes de sa politique. Il est apparu que les périodiques diffusés, à ce moment-là, sous l’égide de la Rue de Valois : la Lettre d’information bimensuelle du ministère de la Culture et de la Communication (qui relate, de façon très précise et quasi au jour le jour, les faits intervenus) et la revue mensuelle Culture et Communication (dont le contenu constitue, en quelque sorte, un miroir de la politique conduite à l’époque) apportaient, pour ce faire, des renseignements de premier ordre. La phase initiale de la recherche a donc pris la forme d’un dépouillement systématique de ces deux publications19, qui a conduit à une véritable immersion dans la période. Cette reconnaissance a été complétée par l’exploitation d’autres types de documents20, en particulier les agendas du ministre, opportunément retrouvés, qui ont joué un rôle essentiel pour la constitution du corpus. Ainsi a été réuni un ensemble de données permettant d’acquérir une connaissance sinon exhaustive, en tout cas assez vaste, des activités de Jean-Philippe Lecat et de ses services dans leurs divers domaines de compétence et, plus largement, de leur contexte culturel. Il a été de la sorte possible de dégager les orientations de l’enquête et de constituer des dossiers documentaires qui ont servi de base à la définition du programme puis à l’organisation des entretiens.
Plutôt que de conduire une série d’interviews abordant, classiquement, les différents secteurs relevant du ministère et privilégiant ceux où ses interventions avaient été les plus significatives, l’idée s’est imposée d’élaborer un programme axé sur des thèmes transversaux, correspondant mieux – nous a-t-il semblé – à l’approche qu’un membre du gouvernement est appelé à avoir de son département, et de proposer une mise en perspective de l’action de Jean-Philippe Lecat par rapport à une politique (les grands établissements nationaux, les projets et aménagements culturels, les régions…) ou à un milieu (le gouvernement, le Parlement, le monde artistique, les médias, l’environnement économique…). On a choisi, en outre, de s’attacher à des aspects moins notoires de ses interventions, telles ses initiatives à l’international – attestées par l’analyse de ses agendas – ou ses relations inter - ministérielles : des faits restés méconnus, au point qu’il a pu dire : « Vous avez mis le doigt sur des choses oubliées et vous avez révélé des cohérences. » Ce programme, qu’il avait approuvé («D’accord pour la suite – par thèmes – que vous prévoyez », 3 juillet 2009 ; « D’accord pour le programme à venir », 17 septembre 2009), n’était évidemment pas figé. Il a évolué et a été complété, au fur et à mesure de la progression des échanges, avec l’émergence d’autres éclairages suggérés par le narrateur ou inspirés par l’approfondissement des recherches. Les champs qui n’avaient pas été évoqués dans cette première phase devaient être l’occasion d’une seconde série d’entretiens.
Pour préparer chaque entrevue ou – plus précisément – chaque sujet qu’il était convenu d’y traiter, deux types de fiches étaient établis à partir de la documentation rassemblée : une chronologie mentionnant les faits qui avaient pu être repérés sur ledit sujet, enrichie de citations destinées à les illustrer : déclarations ministérielles, documents d’archives, extraits de presse, etc. ; une note de synthèse, rédigée à partir de cette chronologie et accompagnée d’un questionnaire. Ce dossier, adressé à Jean-Philippe Lecat avant chaque rendez-vous, visait à raviver ses souvenirs, à lui permettre d’identifier les points qui lui paraissaient les plus intéressants à développer ou à commenter, l’invitait à réagir sur les interprétations suggérées. Celui-ci pouvait les utiliser à sa guise mais, la plupart du temps, il a parlé en adoptant le déroulé de ces notes-questionnaires. Il n’y a pas eu, lors de l’entretien suivant, de retour systématique sur les propos tenus la fois précédente mais, souvent, l’ancien ministre a ajouté des précisions par le biais de messages manuscrits, envoyés sans attendre une nouvelle rencontre. Il en a, cependant, repris certains aspects : par exemple lorsqu’il a souhaité préciser les caractéristiques de son ministère. Il lui est arrivé aussi – ce fut pourtant assez rare – de se saisir d’une question non « inscrite à l’ordre du jour » mais qui lui tenait à cœur : on retiendra une brève notation sur l’Année du patrimoine et, surtout, ce qu’il a dit des radios libres.
Les témoignages ont été intégralement enregistrés et retranscrits, puis ont fait l’objet, par mes soins, d’une première mise en forme qui a été transmise à leur auteur. Celui-ci les a revus très minutieusement et les a validés après deux – parfois trois – relectures. Mais s’il a beaucoup remanié ses textes dans la forme, en apportant aux versions dactylographiées successives de nombreux ajouts manuscrits (notés en marge ou au dos des feuillets), on a vu qu’il ne les avait que très rarement modifiés sur le fond. Il importe de préciser que, dès l’origine de ce travail, il avait été entendu avec lui que seules les transcriptions qu’il avait approuvées seraient diffusées et que les enregistrements n’avaient pas vocation à être communiqués, sans restriction, à des tiers.
Six entretiens ont donc pu avoir lieu, qui se sont déroulés de juin 2008 à septembre 201021. À l’exception du premier, plus court, qui fut une simple prise de contact, ils ont eu une durée moyenne de 2 heures à 2 heures 30 et représentent, au total, 12 heures 20 d’enregistrement. Ces rencontres relativement espacées s’expliquent par le temps réclamé pour l’établissement des dossiers documentaires. La première, le 12 juin 2008, a constitué une entrée en matière. Elle n’avait été précédée d’aucun préliminaire, mais Jean-Philippe Lecat, qui ignorait encore comment s’organiserait l’enquête, l’avait très précisément préparée afin d’y faire passer les messages qu’il considérait comme essentiels. Cet exposé a, d’ailleurs, largement inspiré le programme qui fut ensuite élaboré. Les cinq autres entretiens, organisés à partir de juin 2009, ont permis de traiter, sans toutefois respecter l’ordre prévu à l’origine, une part de ce programme, mais le projet n’a pu, malheureusement, être mené à son terme22.
___
19 - Relevé et classement par thèmes des principales informations signalées dans la Lettre d’information ; réalisation d’une table des matières de Culture et communication (dossiers, articles de fond et notes d’actualité).
20 - Voir infra p. 49 et le chapitre « Sources et bibliographie »
21 - Ces entretiens ont eu lieu, précisément, le 12 juin 2008, les 18 juin, 16 octobre et 10 décembre 2009 et les 18 mai et 16 septembre 2010.
22 - Ces rencontres ont eu successivement pour objet : l’action internationale et les grands projets (18 juin 2009) ; les grands projets (suite) et le Centre Pompidou (16 octobre 2009) ; l’action du ministre au sein du gouvernement (10 décembre 2009) ; la suite des grandes institutions nationales (Opéra de Paris, Comédie-Française) ; un retour sur l’action internationale, après qu’on eut retrouvé les agendas qui permettaient de préciser l’emploi du temps du ministre en la matière ; les prix et distinctions, après la rédaction par Jean-Philippe Lecat d’une « note sur les décorations » (18 mai 2010) ; la politique culturelle dans les régions et la Bourgogne, après la remise du témoignage spontané sur « la circonscription » ; les industries culturelles et le mécénat sur la suggestion de Geneviève Gentil, qui travaillait à un ouvrage sur Augustin Girard (16 septembre 2010). L’entretien sur les relations avec le Parlement, pour lequel un dossier avait été préparé, n’a pu avoir lieu.
L’édition des entretiens
L’édition reproduit de façon quasi intégrale tout ce qu’a dit l’ancien ministre au cours de ces entretiens. Afin de respecter le fil de sa pensée, elle suit de très près la version d’origine, même si ce parti entraîne parfois quelques redondances. Des modifications n’ont été effectuées qu’à la marge : regroupements thématiques indispensables ou, plus rarement, refonte de certains passages quand le narrateur est revenu sur un sujet en des termes voisins, mais en donnant des détails différents. La présentation qu’il avait adoptée pour la mise en forme de la transcription (ponctuation, italiques, mots en caractères gras ou entre guillemets, tirets…) a été également strictement conservée. Cette relation a été enrichie par des interventions orales, provenant d’émissions radiophoniques ou de colloques. Ces témoignages complémentaires, qui ont l’intérêt d’apporter des précisions sur des matières dont il n’avait pas – ou peu – parlé, ont été aisément fondus dans le corps du document originel23.
Dans la mesure où nous n’avions pas rigoureusement suivi, au cours des échanges, le programme préétabli, il a été nécessaire de hiérarchiser ces interventions pour leur assurer un enchaînement logique24. Le premier chapitre, où Jean-Philippe Lecat pose un regard global sur son ministère, correspond pratiquement à l’entretien initial. Les chapitres II à VIII reprennent les points traités au cours des rencontres, en abordant successivement les politiques culturelles au niveau national (II. Gouvernement ; III. Grands établissements ; IV. Travaux et aménagements), régional (V) et international (VI), puis l’action du ministre par rapport à des milieux (VII. L’argent privé, pour le monde économique ; VIII. Prix et distinctions, forme d’approche du monde artistique). Les chapitres suivants sont constitués de fragments qui ont pu être extraits du texte général sans en modifier le sens et qui décrivent, au moins partiellement, certaines politiques sectorielles (IX. Patrimoine ; X. Musées et collections publiques ; XI. Théâtre ; XII. Cinéma ; XIII. Communication, pour le domaine radiophonique)25. Dans le chapitre XIV consacré à la Bourgogne, il a évoqué, sous une forme plus personnelle, sa région d’origine et a montré comment une expérience de terrain avait inspiré sa conduite. Enfin, ont été rassemblés au sein du dernier chapitre (XV), les commentaires qui tendent à dégager les lignes de force de son action.
Lors de la première mise en forme de la transcription, j’avais inséré, avec l’approbation de l’auteur, des titres et des sous-titres visant à mettre en relief les grandes orientations de sa politique et les thèmes qu’il avait développés. Cette pratique a été reprise pour cette édition. Chaque chapitre est, par ailleurs, précédé d’une courte synthèse qui en souligne les aspects les plus caractéristiques. On notera, enfin, que les passages faisant corps avec l’exposé mais constituant des espèces d’apartés ou de parenthèses par rapport au fil du discours (anecdotes, commentaires, allusion à des épisodes récents…) sont présentés en retrait et en italique.
Le style parlé, beaucoup plus vivant et spontané, a été conservé. Jean-Philippe Lecat s’adresse à un interlocuteur, dont les questions – que ses réponses explicitent – ont été gommées pour rendre la lecture plus fluide. Sa façon de s’exprimer – avec ses mots de prédilection – a été respectée, au risque de certaines répétitions. Une révision systématique a permis d’identifier quelques confusions portant sur des faits, des noms propres ou, parfois, sur des dates. Elles ont été rectifiées quand il s’agissait de données précises. Il ne pouvait être question, en revanche, de modifier la relation de certains événements telle qu’elle apparaît dans les propos du narrateur. Intervenant, en témoin, dans l’un des nombreux colloques auxquels il a participé, Jean-Philippe Lecat déclarait : « Il faut toujours essayer de se replacer dans l’histoire26. » C’est bien pour que ces entretiens soient replacés dans l’histoire que leur édition a été dotée d’un abondant appareil de notes. Dès le début, j’avais pris le parti d’adjoindre à la transcription quelques annotations. Il avait approuvé cette méthode – qui l’avait conduit à préciser ou à corriger certains points de son exposé –, soulignant « l’importancede l’appareil critique dont vous entourez les témoignages…» (30 janvier 2010) ou constatant : « Les textes, pourvus par vous d’un “appareil critique et chronologique” pourront, en effet, intéresser…» (5 mars 2010).
Par-delà leur usage classique (renseignements biographiques27, indications bibliographiques28, datation des faits, références des textes et citations, etc.), ces notes ont pour objet principal de compléter et d’élargir les informations délivrées et de les insérer dans leur contexte historique. Les recherches qui ont accompagné et suivi la collecte des témoignages ont apporté, sur les politiques, les institutions, les événements, les projets qui s’y trouvent évoqués, des données, pour beaucoup, inédites qui ont été ainsi synthétisées en bas de page. Ce procédé a aussi été utilisé pour confronter ces entretiens à d’autres sources (interventions et déclarations de Jean-Philippe Lecat à l’époque de son ministère, témoignages écrits ou oraux de ses contemporains, etc.) dans le but de les valider ou de faire apparaître, parfois, certaines divergences. Enfin, si les nombreuses références historiques et littéraires qui ponctuent le discours n’ont pas été systématiquement commentées, il a paru cependant nécessaire d’expliciter des faits et des œuvres moins connus ou cités de façon allusive.
La question pouvait se poser de la pertinence d’adopter pour un ouvrage de notre temps une méthode de publication qui s’applique en général à des sources plus anciennes. Les contemporains de ces événements, ceux qui ont, peut-être, côtoyé les personnages qui en ont été les acteurs se retrouveront aisément dans ces souvenirs, mais les autres…? C’est donc une double lecture que propose cette édition : les « initiés » réserveront leur attention au texte des entretiens ; ceux qui voudront « en savoir un peu plus » pourront trouver dans ces notes des réponses aux questions qu’ils se poseront sans doute.
___
23 - Ces compléments, dont on trouvera le relevé au chapitre des sources, sont signalés en note.
24 - Les dates auxquelles chaque sujet a été traité n’ont pas été répétées dans l’édition. Cette information est donnée supra, note 22
25 - L’index figurant à la fin du volume signale les pages, indissociables de leur contexte, où il est question des politiques sectorielles.
26 - Jacques Duhamel. Une étape décisive de la vie culturelle. Actes du colloque Jacques Duhamel, 9 octobre 2009, Besançon, Direction régionale des affaires culturelles de Franche-Comté/Centre régional du livre de Franche-Comté, 2014, p. 41.
27 - Les informations biographiques données sur les personnages cités concernent essentiellement leur situation à l’époque du ministère Lecat. Des notices plus détaillées ont été rédigées pour les personnalités qui faisaient partie du proche entourage du ministre (membres du cabinet, directeurs, etc.) et qu’il a généralement citées à plusieurs reprises. Ces notices sont publiées lors de la première mention de leur nom dans le corps du texte.
28 - N’ont été portées en note que des informations bibliographiques ponctuelles. Une bibliographie générale figure à la fin du volume, p. 431-451.
_______
Françoise Mosser, diplômée de l’École nationale des chartes, conservateur général du patrimoine, a partagé son activité professionnelle entre responsabilités scientifiques (notamment aux Archives nationales) et administratives (au sein de diverses directions et établissements publics du ministère de la Culture). Elle était directeur régional des affaires culturelles à l’époque du ministère Lecat.
Partager la page