C’est une date restée à jamais gravée dans la mémoire collective, entre incrédulité et sidération. Le 15 avril 2019, vers 19h, l’impensable se produisait : un incendie s’était déclaré dans l’un des symboles de notre patrimoine, la cathédrale Notre-Dame de Paris.
Cet incendie aura eu au moins une vertu : rappeler à chacun d’entre nous, avec une puissance incroyable sur notre sensibilité, la valeur inestimable de ce monument du patrimoine universel. Le perdre était tellement inconcevable que dès le soir de l’incendie, le président de la République déclarait qu’on allait « rebâtir Notre-Dame ». Il s’ensuivit une aventure exceptionnelle. Les dons, le mécénat, les savoir-faire, la mise en œuvre, les délais… tout cela fut hors d’échelle.
Ce premier épisode de notre série brosse un aperçu des grandes étapes de cette renaissance : la restauration de Notre-Dame de Paris. Cette époque marquera sans nul doute son histoire à l’égal de certains de ses plus grands moments, elle qui en compte, sur ses huit siècles d’existence, déjà beaucoup.
L’impensable catastrophe
L’affirmer n’est pas exagéré : sans le professionnalisme des pompiers de Paris, des choix stratégiques arbitrés dans l’urgence et un combat de quinze heures contre les flammes, la cathédrale entière était perdue. Le feu se propageait rapidement, détruisait la charpente en bois, une « forêt » achevée au début du XIIIe siècle, et avait raison de la flèche de Viollet-le-Duc. Une fois celle-ci effondrée, la voûte du transept, crevée, laissait entrer les flammes et tomber le plomb en fusion à l’intérieur de la nef, mettant en danger les pompiers qui s’y trouvaient.
D’autres mirent leur vie dans la balance, en montant dans la tour nord de la cathédrale. L’instant était critique : la charpente du beffroi, vers 21 heures, était touchée. Si les tours et les huit cloches s’effondraient, elles entraînaient tout le reste. Alors tous les moyens extérieurs et intérieurs se concentrèrent sur cet enjeu, avec succès. Vers 22 heures, le plus grand danger semblait écarté. Il faudra toutefois lutter jusqu’à 3h45 du matin pour maîtriser enfin le feu de la toiture. A l’extérieur, placés sur leur nacelle à un mètre des flammes, exposés à une chaleur de 100 à 200 degrés, les pompiers auront été relevés toutes les quarante minutes.
Un élan de solidarité impressionnant
Tous touchés : quelles images plus significatives en effet que celles de ces hommes et femmes sidérés par cet incendie ? Non seulement les Parisiens, mais aussi, car la nouvelle s’est répandue comme une traînée de poudre dans les médias nationaux et internationaux : les Français, les Européens, le monde entier. Dans la semaine qui suit le sinistre, près de 800 millions d’euros de promesses de dons sont enregistrées. Par la loi du 29 juillet 2019 (voir notre encadré), une souscription nationale est lancée. Ils seront finalement 340 000 donateurs en France et dans plus de 150 pays. Ces fonds financeront les travaux et la formation des professionnels à des savoir-faire parfois immémoriaux. La loi permet aussi de créer un établissement public dédié, placé sous la tutelle du ministère de la Culture. Générosité, budget et chantier uniques : le montant de la souscription nationale est évalué aujourd’hui à 830 millions d’euros.
La sécurisation : un sauvetage patrimonial hors norme
Pendant que l’incendie fait rage cette nuit-là, les agents du ministère de la Culture (DRAC Ile de France), le régisseur de la cathédrale et les pompiers engagent une course contre la montre pour évacuer et mettre en lieu sûr les biens les plus précieux : reliques, tapis de chœur, statues, peintures… Au matin, le chantier de sauvegarde du monument abîmé qui assurera aussi la sécurisation des femmes et des hommes qui y travaillent, peut commencer. Il faut très vite instrumenter la cathédrale (poser des capteurs et des alarmes, pour surveiller l’évolution de la structure de l’édifice). Les gravats constituent une manne d’informations scientifiques : ils sont triés et inventoriés.
Une grande grue « à tour » (80 mètres), trois grues mobiles et trois nacelles plus tard, deux grandes opérations spectaculaires commencent : le cintrage des arcs-boutants (jusqu’en novembre 2019) et le démontage de l’échafaudage sinistré, découpé par des cordistes eux-mêmes sécurisés par un second système de poutres et de rails (jusqu’en novembre 2020). A leur tour, les architectes en chef des monuments historiques, maçons et tailleurs de pierre, qui ont reçu une formation express au « cordage », examinent, déblayent, diagnostiquent, renforcent les voûtes (jusqu’en mi-2021). Le grand orgue, couvert de poussières de plomb, est démonté (décembre 2020).
Les étapes clefs de la restauration
Ce chantier digne des Pharaons peut alors commencer. Après les dépoussiérages approfondis des intérieurs, le dessalement des voûtes, le curage des réseaux techniques, mais aussi, en forêt, l’abattage des chênes et le sciage des grumes pour les charpentes et pour la flèche, la sélection des carrières et le sciage des pierres (2nd semestre 2021 jusqu’à mi-2022), les équipes s’attaquent à l’intérieur de l’édifice (été 2022) : les décors peints des chapelles, le chœur, le mobilier resté sur place. La crasse accumulée depuis des siècles se retire et laisse paraître les couleurs des décors, la blondeur des pierres.
Puis c’est le tour de la voûte de la croisée du transept et celui de la flèche de Viollet-le-Duc : celle-ci est un chef-d’œuvre de charpente en chêne massif, couverte et ornée d’une dentelle de plomb. Enfin, les voûtes, la charpente (la fameuse « forêt » médiévale), la couverture du chœur et de la nef, et le beffroi nord. Les entreprises ont répondu nombreuses aux appels d’offres, elles ont uni leurs moyens. Les meilleurs artisans de la restauration du patrimoine sont là : une ruche où travailleront jusqu’à plus de 500 compagnons.
La fin de l’année 2022 et l’année 2023 sont très stimulantes. Les échafaudages intérieurs se démontent. La cathédrale commence à reparaître. Dehors, le chantier se montre désormais au grand jour. Les Parisiens voient la flèche reprendre sa place dans le ciel de Paris. Le 16 décembre 2023, le coq est posé sur sa pointe. La cathédrale a retrouvé sa silhouette bien connue. En janvier 2024, on pose le bouquet des charpentiers (l’acte symbolique traditionnel qui marque la fin des travaux) sur la charpente du chœur. En avril, on accorde et repose un par un les 8 000 tuyaux d’orgue. Les 24 chapelles du chœur montrent leur décor restauré : ce sera un sujet d’émerveillement pour le public.
Vers la réouverture : une valorisation lancée dès les premiers moments, nourrie d’expositions réelles, virtuelles, mobiles…
Le mot d’ordre : permettre à tous les publics de France et du monde entier de s’approprier le chantier de Notre-Dame. Les expositions vont s’enchaîner pendant ces cinq années, depuis la toute première, qui habille les palissades du chantier avec les photos magnifiques de Patrick Zachmann, photographe de l’agence Magnum (Notre-Dame de Paris, les premiers mois d’une renaissance), jusqu’à celles du Louvre (Le Trésor de Notre-Dame de Paris, des origines à Viollet-le-Duc) et du Mobilier national (Les grands décors restaurés de Notre-Dame), en passant notamment par cette étonnante exposition interactive montrée à Dubaï (Pavillon de France de l’Exposition universelle, 2021), qui touche alors 150 000 visiteurs puis parcourt le monde entier, ou celle de la Cité de l’architecture et du patrimoine (février 2023) qui montre les liens du chantier du XXIe siècle avec l’histoire de la cathédrale.
Le parvis de Notre-Dame est sollicité : les éditions 2020, 21, 22, 23 et 24 des Journées européennes du patrimoine ne vont cesser de prendre de l’ampleur d’une année sur l’autre, dans un véritable village du chantier. Sous le parvis, un nouvel Espace Notre-Dame est aménagé pour la Maison du chantier et des métiers (qui ouvre en mars 2023) : vidéos, maquettes, œuvres, vestiges. Signalons aussi les programmes d’éducation artistique et culturelle avec les collégiens d’Ile de France, qui aboutiront en janvier 2024 à une mallette pédagogique sur le chantier de Notre-Dame, distribuée gratuitement dans les établissements scolaires et de formation professionnelle partout en France.
Bientôt, il ne restera plus qu’à retenir notre respiration et entrer dans le monument et le sanctuaire admirables, et à savourer nos impressions devant un édifice des XIIIe et XIXe siècles remis à neuf. Un rendez-vous unique.
Prochain épisode, lundi 4 novembre 2024 : le témoignage de Patrick Zachmann, photoreporter chez Magnum.
Souscription nationale et Etablissement public : deux éléments fondateurs de la reconstruction de Notre Dame de Paris
Accompagner l’élan de la mobilisation par une souscription nationale et répondre au défi que constitue la restauration dans les cinq ans de l’édifice et de ses collections, au moyen d’un établissement public dédié : tel était le double objectif de la loi du 29 juillet 2019, adoptée trois mois après l’incendie. Les fonds furent recueillis à l’initiative du ministère de la Culture, des fondations (Fondation du patrimoine, Fondation Notre-Dame, Fondation de France) et du Centre des monuments nationaux.
Créé par décret du 28 novembre 2019, l’établissement public, initialement dirigé par le général Georgelin puis par Philippe Jost, réunit les parties prenantes du projet : l’Etat, le diocèse de Paris et la ville de Paris. A son conseil d’administration siègent également certaines personnalités qualifiées indépendantes, choisies en raison de leur expérience dans les domaines de compétences de l’établissement.
Pour la gouvernance de cet EP exceptionnel, on a ajouté à son conseil d’administration un comité des donateurs (les fondations et les grands mécènes), lieu d’échange et de dialogue qui a informé leurs représentants de l’avancement des travaux et de l’utilisation des dons – une instance sans équivalent dans les établissements publics ordinaires. Aussi un conseil scientifique qui a été consulté sur les études et les opérations de conservation et de restauration de la cathédrale (quatorze membres nommés par le ministre de la Culture sur proposition du président de l’EP). Enfin, un comité d’audit et des investissements, qui a présenté chaque année une analyse de la situation économique et financière de l’établissement, a donné ses avis, en même temps qu’il suivait le financement et l’exécution des dépenses voulues par le chantier.
Partager la page