Il fait bon recevoir ce signe évident du dynamisme de la création littéraire pour la jeunesse en France, et d’entendre Marion Brunet, au rebours de ce qu’assurent les enquêtes, dire combien les jeunes lecteurs qu’elle rencontre dans les établissements scolaires (ou ailleurs) aiment lire. Si ces derniers plébiscitent ses livres, c’est sans doute aussi que la romancière sait à merveille les enlever dans le monde des mots.
Marion Brunet, après Jean-Claude Mourlevat en 2021, obtient cette année la récompense suprême dans ce domaine de la littérature jeunesse, le prix Astrid-Lindgren, dont on dit qu’il en est « le Nobel ».
Rappelons qu’Astrid Lindgren fut la créatrice en 1945 de Fifi Brindacier, le personnage d’une petite fille libre et indépendante, qui remettait en question les relations entre filles et garçons, parents et enfants. Son prix, créé par le gouvernement suédois, existe depuis 2002. L’institution suédoise a couronné l’écrivaine marseillaise à Stockholm le 9 juin dernier. Focus sur l’œuvre de la lauréate.
« Moderne et intemporelle »
« … à la fois moderne dans le choix des thèmes qu’elle explore et intemporelle dans les liens qu’elle tisse avec les contes et les mythes », telle est l’une des caractéristiques marquantes de l’œuvre pour la jeunesse de Marion Brunet, d’après les termes choisis du communiqué du jury. Modernité des thèmes en effet : par exemple l’homophobie rencontrée par deux enfants nés par procréation médicale assistée et élevés par un couple de mères (Frangine en 2013), la violence des mondes post-coloniaux (La Gueule du loup, 2014), la révolte et la solidarité des jeunes confrontés aux violences policières (Dans le Désordre, 2016), la valorisation d’héroïnes féminines aventureuses (par exemple dans Sans foi ni loi, 2019) …
Les délices de la dystopie
Ces thèmes si actuels ne doivent pas laisser penser que Marion Brunet ait pour autant des leçons à donner (« si j’avais des messages à délivrer, dit-elle avec humour (entretien à écouter sur France Culture), j’écrirais des pancartes ») : ses intrigues et situations se tissent de complexité et de nuances, flirtant avec la puissance du mythe.
Tel est le cas dans son dernier ouvrage, une trilogie intitulée Ilos (deux tomes parus). La ville de Marseille s’y trouve, en 2052, rattrapée par la crise écologique et les catastrophes naturelles, engloutie par les eaux. De jeunes plongeurs et plongeuses y gagnent leur vie en allant chercher, en apnée, les biens précieux qui peuvent encore s’y trouver. A la surface ils sont confrontés à une mafia sans états d’âme. « J’ai voulu juste pousser un peu loin la situation qui se dessine actuellement, explique-t-elle dans le même entretien : disparition des services publics et notamment de l’enseignement et de l’hôpital, avec des conséquences graves comme la résurgence de l’analphabétisme… ».
De nouvelles possibilités d’identifications romanesques
Les romans de Marion Brunet sont aussi des romans d’amour. Dans Ilos, elle revient notamment, d’une manière très originale, sur le thème de l’homosexualité féminine, en narrant la relation de deux jeunes filles dans un contexte que la dystopie lui permet d’explorer : la normalité. En ce temps futur somme toute assez proche, le genre des partenaires amoureux ne fait plus question, et encore moins scandale. La romancière, qui confie s’être nourrie aux Lettres dès l’enfance en dévorant Les Aventures de Tom Sawyer, Moby Dick, L’Île au trésor… et avoir pris lentement conscience qu’elle manquait de figures héroïques féminines auxquelles s’identifier, montre ici une grande sensibilité et une grande acuité quant aux émotions et aux intuitions collectives qui constituent le tissu spirituel et imaginaire de notre époque.
Marion Brunet en quelques dates…
Née en 1976 à Carpentras (Vaucluse), Marion Brunet vit à Marseille. Elle étudie les Lettres à l’université, puis se tourne vers l’éducation spécialisée, activité qu’elle exerce plusieurs années en foyer d’accueil pour enfants et en hôpital de jour pour adolescents.
Elle mène depuis 2013 une carrière d’autrice de littérature pour la jeunesse, et de polar pour adultes. En 2018 elle remporte le grand prix de littérature policière pour L’Eté circulaire, un roman noir et social. En 2019 la Pépite d’or du salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil avec Sans foi ni loi.
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