Le succès remarqué de Brûler d’envies, spectacle de fin d’étude de la 36e promotion des élèves du Centre national des arts du cirque de Châlons-en-Champagne (CNAC) ne peut que réjouir tout le monde circassien. Ce succès critique et public vient encourager, en effet, des élèves dont la scolarité fut, pour cause de crise sanitaire, souvent chaotique, voire particulièrement difficile. Un succès qui se prolonge, puisque trois festivals organisés par des pôles nationaux du cirque vont recevoir le spectacle en tournée.
L’occasion était belle de braquer ici le projecteur sur l’univers d’une offre culturelle désormais solidement implantée, tournée vers le nomadisme et les publics des espaces urbains comme des espaces ruraux, dont les étendards sont souvent ces festivals autour desquels s’organisent aussi des rencontres professionnelles. Les artistes de cirque ne cessent de réinventer leur art, soutenus par une politique volontariste, depuis quarante ans.
Des 14 pôles nationaux actuels, en voici trois avec leurs festivals : Multi-Pistes au Sirque de Nexon, SPRING à la Brèche de Cherbourg et au Cirque-Théâtre d’Elbeuf, et utoPiste à la Cité internationale des arts du cirque de Lyon. Tous trois vont recevoir Brûler d’envies. Un spectacle qui a enthousiasmé le public de la Villette en janvier et février 2025, après celui de Gênes le 31 décembre 2024.
Multipistes : un public rural familier de l’avant-garde circassienne
Ce n’est pas étonnant qu’il ait changé de nom plus d’une fois, ce festival Multi-pistes, lui qui fut créé en 1992 à Nexon, où Annie Fratellini donnait ses stages d’été depuis 1987. « Notre public, explique Martin Palisse, directeur du Sirque, a suivi pendant quarante ans la profonde transformation du cirque contemporain. Il est doué d’une vraie culture à cet égard. D’où l’importance de notre événement, pourtant perdu en pleine campagne, pour qui veut se mettre au fait de la création contemporaine. »
Pour les 2700 habitants de Nexon, « le festival est une fête estivale et familiale. Le public, venu de loin pour cinq jours dans le parc du château, apporte la différence, le métissage, l’étranger : une sensation de voyage sans voyager. C’est très important pour donner vie et valeur à ce territoire rural. » Martin Palisse a ajouté une dimension musicale. « Le lien de notre art à la musique est originaire. Le cirque contemporain esthétise beaucoup les corps. J’aime approfondir cette voie par la rencontre des corps avec la musique électronique et répétitive. » Chaque journée du festival commence et se termine par un concert.
Mais il n’y a pas que le festival, à Nexon. « Notre offre est pensée sur la durée, pour tous les mois de l’année, dans le village et aux alentours : spectacles, résidences, médiation culturelle. Le public local aime venir ici. C’est chez lui. Nous allons aussi sur d’autres territoires, par exemple sur le plateau de Millevaches, et dans tout le Limousin. Depuis quatre ans, l’orchestre de l’Opéra de Limoges vient en concert. Nos collaborations avec le Centre dramatique national et l’Opéra de la ville favorisent la mobilité dans les deux sens. »
SPRING : les pays et publics normands accueillent créations et forums professionnels
« Qu’on vive en Normandie ou qu’on y vienne séjourner, on trouvera, du 5 mars au 16 avril 2025, un spectacle de SPRING près de chez soi, gage Hélène Debrix, directrice par interim du Cirque-théâtre d’Elbeuf : dans les théâtres et les scènes conventionnées, mais aussi dans les gymnases et les salles communales, depuis Rouen et son agglomération jusqu’à Cherbourg, Granville ou Dieppe, en passant par Caen, Le Havre, Bernay, Conches en Ouche, Flers… » Un festival très familial et accessible, à n’en pas douter, qui s’appuie sur 60 partenaires normands, mais aussi, pour ainsi dire, un salon itinérant où se tiennent des rencontres professionnelles autour du dernier cri de la création.
Création, diffusion finement maillée, forum professionnel, tel est donc le trio gagnant de SPRING. Le festival est né à Cherbourg en 2009, à la Brèche – un vrai laboratoire de recherches et d’incubations pour les artistes de cirque – des mains de sa directrice Yveline Rapeau. L’idée était d’irriguer le territoire bas-normand des créations de la Brèche, et d’organiser des rencontres professionnelles. De l’autre côté de la Normandie, le vieux cirque d’hiver d’Elbeuf, quant à lui, avait déjà une longue histoire, renouvelée par l’essor du nouveau cirque, dont il était un acteur pionnier (il programmait Plume et Archaos…). L’idée vînt, en 2015, de réunir les deux pôles nationaux sous l’unique direction d’Yveline Rapeau. SPRING s’étendit alors sur toute la Normandie, dans tous types de salles, faisant écho aux créations de la Brèche et poussant la notoriété d’Elbeuf bien au-delà de l’agglomération rouennaise.
Le programme des rencontres professionnelles, où s’impliquent notamment le réseau Territoires de cirque, et Artcéna (présentations de projets, auteurs en tandem…), est au cœur de mille possibilités de rencontres à nouer autour des nombreux spectacles et de leurs publics, une ambiance qui nourrit l’enthousiasme et l’émulation.
utoPistes : instantané d’un pôle national en pleine éclosion
Tout a commencé en 2011 avec « une carte blanche » donnée par le théâtre des Célestins à Mathurin Bolze et sa compagnie MPTA (Les Mains, les Pieds et la Tête Aussi). Carte blanche renouvelée, vu le succès de la formule, deux ans plus tard, puis, en 2016, élargie à d’autres partenaires que les Célestins, pour multiplier les spectacles et les soutiens à la création. « Aujourd’hui, seize lieux co-accueillent, co-réalisent, et coopèrent aux spectacles d’utoPistes, nous explique Mathurin Bolze. Seize lieux de l’agglomération lyonnaise et au moins deux au-delà (Bourg en Bresse, Villefontaine). »
Avec l’école de cirque de Lyon, utoPistes se prolonge du désir de réunir toute l’année les amateurs, les étudiants, les artistes, les professionnels, les publics et les habitants autour d’une activité régulière : UTOPISTES – Cité Internationale des Arts du Cirque. Ce Pôle National Cirque en préfiguration « forme avec utoPistes la seconde face d’une même pièce : festival et projet d’établissement nous permettent, avec nos partenaires de la métropole, de faire de la production, de la diffusion, de l’accompagnement d’artistes émergents, des résidences de création, une programmation de spectacles, avec aussi beaucoup d’éducation artistique et culturelle. »
Un concours lancé par la métropole de Lyon devrait, d’ici la fin de l’année, y ajouter un projet d’architecture, situé à Vénissieux sur le site de Parilly. Une maison conçue spécifiquement : une école, un lieu de créations, des équipements ouverts aux artistes en tournée, et surtout la possibilité d’accueillir tous les formats qu’expérimente le cirque. « Le CNAC, notre partenaire de longue date, nous prête son chapiteau pour que nous puissions, pendant quatre mois, disposer d’un lieu où identifier la future cité internationale, à la sortie du métro Parilly. Par ailleurs, nous recevrons au festival Brûler d’envies, mais aussi le spectacle de la promotion suivante du CNAC, la 37e : Echappées 2025. »
Les brûlures d’une jeunesse des années 20
« Brûler d’envies est un spectacle où la dépense est extrême, explique Martin Palisse, qui en a conçu la mise en scène. Sur le plateau, l’esthétique est celle du clair-obscur des peintres flamands, où chaque rayon de lumière surligne le corps de l’artiste. Avec les répétitions induites par la musique, l’usure du mouvement fait que le geste se déforme et se transforme. Se raconte ainsi, de manière originale, l’art chorégraphique circassien : à ces élèves qui ont eu une scolarité décousue (le CNAC a fermé ses portes en 2020 pour cause de crise sanitaire), je voulais tenter d’offrir le spectacle cette fois bien cousu de leur discipline portée à son apogée, comme un chef-d’œuvre de compagnon. Parce que le corps a la puissance de réchauffer les âmes, et de produire l’accord des esprits. »
Brûler d’envie, les 28 et 29 mars au cirque-théâtre d’Elbeuf (festival SPRING), 3 et 4 mai à Equinoxe, scène nationale de Châteauroux, 20 et 21 juin à la Cité internationale des arts du cirque de Lyon (festival utoPistes) et du 12 au 16 août au Sirque de Nexon. Le spectacle a été en résidence à la Brèche du 2 au 13 septembre 2024.
Les étudiants de la 36e promotion : Jaouad Boukhliq (Équilibres), Heather Colahan-Losh (Corde lisse), Antonin Cucinotta (Mât chinois), Uma Pastor (Mât chinois), Marine Robquin (Acrobatie au sol), Mano Vos (Roue Cyr).
Partager la page