Des savoir-faire artisanaux aux musiques et danses, en passant par les fêtes et carnavals, de la gastronomie ou encore les jeux et sports traditionnels... Le patrimoine culturel immatériel, qui recouvre tout un ensemble de pratiques sociales et culturelles, constitue un patrimoine vivant encore peu exploré.
Certaines de ces pratiques sont inscrites à l’UNESCO mais un grand nombre – plus de 540 – sont répertoriées au niveau national à l'Inventaire national du patrimoine culturel immatériel. Lancé en mars 2008, ce dispositif participatif de connaissance, de reconnaissance et de sauvegarde du patrimoine vivant met en lumière des pratiques culturelles parfois méconnues. Sa mise en œuvre a été confiée au ministère de la Culture. Les propositions sont examinées par le Comité national du patrimoine culturel immatériel, qui émet un avis sur la base duquel est pris la décision d’inclusion.
Toutes ces traditions sont mises en lumière ce 25 novembre, à l’occasion de la première cérémonie nationale d’inscription à l’Inventaire national du patrimoine culturel immatériel, organisée pour les éléments retenus en 2023 et 2024. Zoom sur deux d’entre elles, qui illustrent à la fois des pratiques ancrées dans des territoires ruraux et d’autres, festives et urbaines : l’irrigation traditionnelle gravitaire par canaux et le Carnaval de Nantes.
L’irrigation gravitaire par canaux, une pratique agricole ancestrale à transmettre
Elle date de l’Antiquité et a traversé les siècles pour perdurer encore aujourd’hui. L'irrigation traditionnelle gravitaire par canaux a fait son entrée en juin dernier à l'Inventaire national du Patrimoine culturel immatériel. Jusqu’à présent, cette pratique était déjà identifiée dans l’Inventaire à travers ses déclinaisons locales en Lozère et dans le Briançonnais. Désormais, elle se structure et comprend des traditions de quinze départements français. « Il fallait que la communauté soit organisée et mieux représentée et accompagner les praticiens à l'échelle française et non pas à celle d’un territoire spécifique », explique Francesca Cominelli, économiste du patrimoine à l’IREST, l'Institut de recherche et d'études supérieures du tourisme de l’université Paris 1. Avec Aurélie Condevaux, anthropologue également à l’IREST, elles ont piloté, avec 300 acteurs locaux, l’inclusion à l’Inventaire national. Ce réseau se formalise ce mois de novembre à travers la création de l’association Asaig - eau en langue provençale.
Cette pratique, ancrée en plaine ou dans des territoires montagneux ayant souvent des bassins versants en Méditerranée, embrasse un large périmètre allant de la Savoie aux Pyrénées-Orientales. Il s’agit d’un système constitué d’un réseau de canaux avec des prises d’eau depuis des rivières jusqu'à des parcelles qui se retrouvent irriguées par gravité sans forcément avoir besoin d’une forte pente. Ces canaux sont généralement creusés dans la terre, à ciel ouvert, mais sont aujourd’hui de plus en plus renforcés par du béton, de la tôle ou du PVC. L’irrigation par canaux a été formalisée par une législation spécifique au XIXe siècle. « Elle a mis en place des associations syndicales de propriétaires, ce qui entraîne une gestion commune et collective de l'eau. La pratique permet donc le renforcement des liens sociaux », décrit Aurélie Condevaux.
Mais cette pratique multiséculaire est aujourd’hui menacée par un manque de moyens humains, financiers et techniques. « Le changement de l'économie de montagne vers le tourisme et les sports d’hiver ont mené au développement de nouvelles techniques d'agriculture. Les changements sociaux pèsent aussi avec beaucoup plus de maisons secondaires dans ces zones et des propriétaires qui ont plus de mal à s'associer à cette démarche. Il y a enfin des menaces d’un point de vue environnemental avec le manque d’eau qui a imposé des règles d'accès à l'eau qui pèsent sur les gestionnaires », résume Francesca Cominelli.
En 2023, l’irrigation gravitaire par canaux a été inscrite sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’UNESCO par sept pays, dont ne fait pas partie la France, qui veut faire aujourd’hui une demande d’extension. L’inclusion à l’Inventaire national est la première étape indispensable à cette démarche. Mais cette demande est avant tout guidée par un besoin de préserver ce savoir-faire qui repose essentiellement sur la transmission orale. « Au cours d'entretiens, nous avons remarqué que les gens sont habitués à expliquer oralement les techniques qu'ils utilisent et que celle-ci n’est quasiment pas enseignée en école, hormis sur quelques chantiers-école. Il y a peu de formalisation de la transmission », souligne Aurélie Condevaux. Le groupe de travail est actuellement en contact avec d’autres pays intéressés par la demande d’extension de la candidature comme l’Espagne, le Portugal, la Grèce ou Andorre et vise un dépôt de la demande à l’UNESCO d’ici mars 2026.
Le Carnaval de Nantes, un savoir-faire bénévole précieux
Chaque année au mois de mars, il accueille pendant plus d’une semaine plusieurs dizaines de milliers de personnes pendant ses trois défilés diurne, nocturne et réservé aux enfants. Le Carnaval de Nantes est apparu en 1880 avant de prendre véritablement son essor après la Deuxième Guerre mondiale sous forme de Comité des fêtes. Il est aujourd’hui organisé par l’association Nantes Évènements Musiques Organisation (NEMO) depuis 2011 et est totalement gratuit et public puisque financé par la métropole de Nantes.
Cet événement annuel est préparé pendant sept mois par les seize associations de carnavaliers fédérées par NEMO. Soit près de 550 bénévoles qui s’affairent pour fabriquer les costumes, concevoir les animations et surtout : monter les chars allégoriques de dix mètres de hauteur et les grosses têtes, les deux marques de fabrique du carnaval. « Ces grosses têtes sont un savoir-faire spécifique à Nantes, plus aucun carnaval ne propose ça en France. Un char allégorique représente entre 2 000 et 4 000 heures de travail bénévole. Nous avons voulu inscrire ce festival autour de ces deux éléments », résume Paul Billaudeau, président de l’association NEMO.
La demande d’inclusion a débuté en 2021 avec pour leitmotiv de se repencher sur le passé pour mieux préparer l’avenir. Pour rédiger sa fiche d’inventaire, l’association a pris son temps et a mis en place un travail très précis de collecte de documents des habitants, avec l’aide des archives de Nantes. « Nous en avons profité pour faire des entretiens vidéo pour recueillir des témoignages. Ce travail avait une double finalité : donner une reconnaissance de l’histoire des carnavaliers, de ces personnes qui ont donné des millions d’heures de bénévolat, et rappeler l’importance de cet événement », insiste Paul Billaudeau. Il sert également à assurer la transmission de certains savoir-faire, un travail déjà entamé dans les écoles de la ville à travers des ateliers de fabrication de masques. « Nous avons l’espoir de générer des vocations », espère Paul Billaudeau. En 2023, Nantes a été nommée capitale européenne des carnavals, ce qui lui a permis d’être reconnue au niveau continental et de nouer des liens de proximité avec d’autres villes aux mêmes pratiques festives. Une manière supplémentaire de souligner la richesse des savoir-faire impliqués dans cet événement.
Une cérémonie pour rendre visible le patrimoine culturel immatériel français
C’est l’un des axes forts du plan Culture et ruralité engagé en juillet dernier : valoriser la culture et les initiatives locales qui font la fierté de nos territoires. Afin de concrétiser cette ambition, l’une des 23 mesures de ce plan, qui fait suite au Printemps de la ruralité lancé en janvier, prévoit de rendre visible au niveau national et local le patrimoine culturel immatériel français.
Une première étape est franchie avec l’organisation de cette cérémonie nationale d’inscription à l’Inventaire national du patrimoine culturel immatériel pour les éléments retenus en 2023 et 2024. 27 pratiques sont mises à l’honneur à cette occasion. Outre cet événement, un agenda national du patrimoine vivant va être créé afin de donner une visibilité à l’ensemble des activités et événements mettant en valeur des pratiques reconnues à l’Inventaire national du patrimoine culturel immatériel.
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