C’est un pays avec une scène culturelle en plein développement. Le Maroc possède un secteur des « Industries culturelles et créatives (ICC) » en pleine structuration dans les domaines du cinéma, de la musique, de l’édition, de la mode et du design, ainsi que pour des projets de formation et d’ingénierie culturelle. Le numérique joue un rôle croissant, notamment avec l’émergence de studios et de plateformes locales, élargissant les opportunités dans les technologies immersives ou le jeu vidéo.
En février dernier, la ministre de la Culture était en visite au Maroc pour renforcer le partenariat entre les deux pays dans le secteur des ICC, notamment dans le domaine des jeux vidéo avec la participation du Maroc à un programme de résidences francophones. Neuf accords ont été signés entre les opérateurs culturels français et leurs homologues marocains, dont certains dans les domaines des ICC, particulièrement l’audiovisuel et cinéma, une des priorités de cette relation culturelle entre les deux pays, déjà marquée par la force des co-productions et les liens étroits entre le CNC et le CCM (Centre cinématographique marocain).
En décembre 2024, une délégation de dix entreprises françaises initiée par le ministère de la Culture, en lien avec l’Institut français du Maroc avait fait le déplacement à Rabat à l’occasion de la deuxième édition du Forum marocain des industries culturelles et créatives grâce à la Fondation Hiba, qui œuvre pour le développement et la promotion de l’art sous toutes ses formes. En retour, sept chefs d’entreprise étaient présents lors du Forum national Entreprendre pour la Culture organisé à Paris du 1er au 3 juillet dernier. Ils ont présenté leurs projets lors d’une session de pitchs. Zoom sur ces sept initiatives représentatives de la vitalité et de la diversité du secteur culturel et artistique marocain.
Patrimoine et savoir-faire marocains sauvegardés
À Fès, cité impériale fondée au VIIIe siècle, le patrimoine est omniprésent. L’agence d’architecture Mala-Studio, créée l’an dernier, s’appuie sur la sécularité des techniques utilisées pour bâtir la ville et les savoir-faire. « Tout est parti d’un paradoxe fondateur : pendant mes études, on n’a cessé de me répéter qu’un bâtiment est construit pour durer 50 à 100 ans et qu’il nous revient de trouver des concepts et techniques pour allonger cette durée. Or il me suffisait de regarder par la fenêtre pour réaliser que j’étais dans une cité impériale qui a plus de 1 200 ans, avec ses cas d’école, ses techniques et ses concepts qu’il nous suffisait d’apprendre », explique Mohammed Amine Loukili, le fondateur de Mala-Studio. Ici, la pratique tourne autour d’une conviction : faire le lien entre passé et futur, à la croisée de la mémoire et de l’innovation. L’agence travaille notamment sur le projet Rihab pour transformer des ruines en tiers-lieu a ciel ouvert. Avec un engagement : construire pour faire durer au-delà de cent ans.
Valoriser le patrimoine vivant local, tel est le pari d’Hamza Cherif D’Ouezzan qui, il y a six ans, quittait la France pour le Maroc pour y créer la coopérative Anou. Objectif : mettre en place une plateforme où les produits artisanaux marocains peuvent être vendus sans intermédiaire, directement du producteur au consommateur. « Quand on achète par exemple un tapis marocain, seuls 4 % du prix reviennent à l’artisan, qui sont pour 70 % des femmes habitant en milieux ruraux. » Aujourd’hui, près de six cents artisans dans 90 coopératives, associations et ateliers ont adhéré à cette plateforme. Anou est d’ailleurs totalement géré par ces artisans, qui récupèrent ainsi le juste prix de leur travail. La structure propose également de réserver des ateliers et des résidences pour apprendre les techniques de tissage. Enfin un travail est mené sur la laine, aujourd’hui massivement importée de l’étranger, et sur son traitement. Anou a ainsi créé la première ferme solaire du pays pour produire une laine locale, avec des détergents biodégradables.
Cinéma, animation, podcasts… : le son et l’image ont le vent en poupe
Ces histoires pourraient inspirer Les Bonnes Ondes, studio de podcast créé en 2020 à Casablanca qui met en avant des récits engagés sur des thématiques sociales, culturelles et environnementales portant la voix de communautés souvent sous-représentées. « Le Maroc est un terreau fertile pour le podcast, confie Yasmine Mahjoubi, réalisatrice sonore. Le pays compte 33 millions d’internautes et 21 millions de personnes sur les réseaux sociaux. » En 2024, le studio a créé 95 podcasts, diffusés sur toutes les plateformes, pour 1,3 million d’écoutes cumulées. Il a aussi créé le festival Amwaj qui accompagne des porteurs de projets. « Nous sommes la seule entreprise à faire à la fois de la production, de la diffusion et de la formation à cette échelle », conclut Yasmine Mahjoubi.
La productrice Lamia Chraibi accompagne, elle, depuis 25 ans les réalisateurs. En 2019, elle a néanmoins voulu aller plus loin en créant, avec quatre autres professionnelles du milieu, la Fondation Tamayouz Cinéma qui aide plus particulièrement les femmes. « Au Maroc, elles ne représentent que 26 % des productrices et 19,5 % des réalisatrices. La Fondation est là pour rééquilibrer cette situation. » Au cœur de ce projet, les Tamayouz Atelier Pro (ou TAP). Ils s’adressent à des productrices et réalisatrices (ou binômes avec au moins une femme) qui veulent développer artistiquement et financièrement leur film, de l’idée initiale à l’écriture du scénario, en passant par le plan de financement. La deuxième édition a été lancée avec une vingtaine de bénéficiaires qui vont, par leurs projets de film ou de documentaire, renouveler la scène cinématographique marocaine.
Le septième art marocain est également en plein renouveau avec Ali Rguigue, fondateur des studios Artcoustic, qui a décidé de lancer la première école d’animation du pays : la Flow Motion School. « Avec Artcoustic, nous avons beaucoup travaillé notre storytelling sur l’animation, si bien que très vite, les chaînes nationales ont passé leurs premières commandes publiques. Nous nous sommes retrouvés à devoir produire beaucoup alors que la filière de l’animation n’existait pas. » C’est donc pour enrichir le vivier que l’école a vu le jour. Cette formation en huit mois totalement gratuite a accueilli déjà près de 90 élèves en deux promotions et permet de s’insérer rapidement dans le marché du travail. Aujourd’hui, le travail des premiers élèves porte ses fruits : Malik, œuvre produite par l’école, a été présentée au marché du film du Festival de Cannes.
Le Maroc à l’heure de l’IA
En 2023, Casablanca rejoignait le réseau des Villes créatives de l’Unesco en arts numériques. C’est cette même année que l’American Arts Center a organisé l’exposition AIAE : Artificial Intelligence Arts Exhibition, avec une dizaine d’artistes contemporains. À l’origine de cet événement : Hamid Lakhdar, ingénieur de formation, qui a créé Ofoto qui produit des expositions de photographies pour les galeries, musées et collectionneurs. « J’ai eu l’idée de créer cette exposition mais pour cela, il fallait avoir des artistes spécialisés dans l’IA et en 2023, il y en avait peu au Maroc. » Il réussit à attirer le collectif Obvious, pionnier de l’art génératif via l’intelligence artificielle, avec ses œuvres représentant les sept Merveilles du monde réalisées grâce aux écrits compilés sur le sujet. Une deuxième édition de cette exposition est sur les rails et Ofoto voudrait développer les œuvres avec la génération d’images de lieux et événements historiques.
En arabe, Mobdie signifie « innovant ». Un adjectif qui sied parfaitement à l’entreprise qu’a créée Mohammed Slaoui en 2022 à Fès, qui proposait au départ des ateliers en présentiel sur la robotique ou l’intelligence artificielle. « Mais cela ne nous satisfaisait pas, car nous ne pouvions pas partager notre offre partout dans le monde. » Il a ainsi eu l’idée de lancer une box qui permet à la fois de faire découvrir les monuments historiques marocains tout en s’initiant aux nouvelles technologies. Ainsi, petits et grands peuvent assembler la célèbre mosquée Hassan II à Casablanca en recevant chaque mois une nouvelle box. Mobdie propose également ses « robots marcheurs » personnalisables. L’entreprise, qui cible toutes les générations, espère aujourd’hui s’insérer sur le marché français.
Partager la page