Le 15 octobre 1924, André Breton publie le Manifeste du Surréalisme. « Je crois à la résolution future de ces deux états, en apparence si contradictoires, que sont le rêve et la réalité, y écrit-il, en une sorte de réalité absolue, de surréalité, si l’on peut dire. C’est à sa conquête que je vais, certain de n’y pas parvenir mais trop insoucieux de ma mort pour ne pas supporter un peu les joies d’une telle possession. »
Le manuscrit, l’un des fleurons de la Bibliothèque nationale de France, est aujourd’hui au cœur d’une exposition du Centre Georges Pompidou. Et cette exposition, il faut le dire, se trouve elle-même à l’épicentre d’une célébration unanime des galeries d’art parisiennes. L’onde de choc va plus loin encore : elle se propage au-delà de nos frontières, dans les musées et les centres d’art d’Europe, des Etats-Unis et d’Amérique latine…
Au-delà de toutes les indignations que les œuvres des poètes et des artistes surréalistes provoquent chez les bien-pensants de toutes les chapelles, leurs gestes ouvrent, positivement, des champs qu’on peut appeler (suivant le titre du premier recueil de poèmes automatiques de Breton et Soupault) magnétiques. Ils se voulaient dignes de Rimbaud et de Lautréamont. Par là ils influencent encore la création artistique aujourd’hui.
Trois raisons de lire ou relire ce texte centenaire et de visiter l’exposition la plus proche de chez vous !
1. « Il n’y a que le merveilleux qui soit beau »
Un Trésor national , le manuscrit du Manifeste du Surréalisme ? A tout point de vue, on ne pouvait pas trouver meilleure désignation pour qualifier le manuscrit du texte fondateur du mouvement d’avant-garde. Trésor national, il l’est devenu en 2021 quand le ministère de la Culture a classé le manuscrit, ce qui lui a permis d’entrer, à l’issue d’une importante campagne de mécénat, dans les collections de la Bibliothèque nationale de France. Il rejoint en somme cet autre manifeste conservé au Musée d’art moderne du Centre Pompidou, où il est entré par dation en 2003 : le Mur de l’atelier d’André Breton. Trésor national, le Manifeste l’est aussi parce qu’il marque une date importante, 1924, dans l’histoire de ce mouvement artistique, et que son message fascinant a eu et continue d’avoir des échos dans le monde entier.
En 1924, le Surréalisme est un collectif d’artistes né à la fin de la guerre, autour d’André Breton, Philippe Soupault, Louis Aragon, Paul Eluard. Ces jeunes gens ont pris au sérieux cette question énoncée dans le Manifeste : « Le rêve ne peut-il être appliqué à la résolution des questions fondamentales de la vie ? »
Le rêve, en effet, est pour eux un univers omniprésent, la seconde vie dont parlait déjà Nerval. Être indifférent au rêve, c’est se priver, quant à sa propre existence, de la maîtrise d’un ensemble de données fondamentales sur soi-même. C’est se priver aussi du bonheur d’y accomplir librement ses désirs les plus fous, et « si l’éveil de l’homme est plus dur, s’il rompt trop bien le charme, c’est qu’on l’a amené à se faire une pauvre idée de l’expiation. » – phrase sublime et terrible.
2. Un mouvement de libération sans concession
Idéaliste ou révolutionnaire ? Le Surréalisme, avouons-le, nous intimide : il accuse la raison froidement réaliste et utilitaire, cette idéologie qui dévoie les Lumières, et dont ces artistes éprouvaient, dans leurs chairs, qu’elle les avait conduits aux désastres des empires coloniaux et des guerres mondiales (« … l’attitude réaliste, inspirée du positivisme, de saint Thomas à Anatole France, (…) est faite de médiocrité, de haine et de plate suffisance. »). Ils ont voulu rendre à l’imagination toute sa puissance de viser un mieux que l’humain. (« Ce n’est pas la crainte de la folie qui nous forcera à laisser en berne le drapeau de l’imagination. »)
Ils ont vu toute la puissance de l’imaginaire à faire un monde et à déjouer les faux sens (les morales figées, les idéologies barbares, ce qu’André Breton appelle avec dédain « la clarté confinant à la sottise, la vie des chiens »). « Il ne tient qu’à [l’homme] de s’appartenir tout entier, c’est-à-dire de maintenir à l’état anarchique la bande chaque jour plus redoutable de ses désirs. La poésie le lui enseigne. » écrit-il dans le Manifeste.
3. Une programmation à ne pas manquer
Comme ils voulaient changer le monde, les Surréalistes avaient le sens de l’événement. A leur Manifeste de 1924, ils ajoutèrent le scandale (un texte ravageur contre Anatole France auquel on rendait un hommage unanime et des funérailles nationales), une adresse boulevard de Grenelle (le Bureau de recherches surréalistes, entrée libre) et une revue (La Révolution surréaliste). Mais ce qui est remarquable, c’est l’essor et l’essaimage des expositions surréalistes de dimension internationale, depuis Paris, dès 1925, jusque dans le monde entier aujourd’hui (parmi les plus marquantes, du vivant d’André Breton : Londres et New York en 1936, Tokyo en 1937, Paris en 1938, Paris à nouveau en 1947 chez Maeght).
Pour fêter le centenaire du Manifeste, les commissaires d’exposition n’ont donc pas voulu être en reste ! A Paris, rare sont les galeries à ne pas prendre part à la fête. Toutefois, l’exposition phare est évidemment celle du Centre Georges Pompidou, auquel la Bibliothèque nationale de France a prêté le manuscrit original du Manifeste, et qui organise un parcours thématique d’une richesse inouïe, autour de l’imaginaire surréaliste, de 1924 à la fin des années 60. On ne manquera pas, ne serait-ce que pour préparer cette visite, de regarder le documentaire en deux parties, excellent, que diffuse la chaîne Arte, d'écouter la série d'émissions de France Culture, ou cet autre documentaire important, diffusé en 2019 sur Arte, sur le Surréalisme au féminin . Signalons aussi Jacques Prévert au musée de Montmartre et une expérience immersive dans l’univers de Salvador Dali à la Villette. Sans oublier, si l’on séjourne à Hyères, un détour par la villa de Noailles, qui fut un rendez-vous de l’avant-garde artistique, où Luis Buñuel, notamment, rédigea le scénario de son film L’Âge d’or.
Par ailleurs, la revue surréalismus, qui publie son onzième numéro début octobre, répertorie et tient à jour les expositions consacrées aux surréalistes dans le monde. Heureux qui pourrait en faire le tour exhaustif ! Notamment en Belgique (Paul Delvaux, Magritte), à Madrid, à Tenerife (ou Breton et Péret furent inviter à monter une exposition en 1935), à Berlin et dans toute l’Allemagne (Max Ernst, Dada), à Buenos Aires (l’Amérique latine comptait pour Breton : Frida Kahlo et Diego Rivera l’avaient présenté à Trotsky, au Mexique), à Sidney (Magritte), à Boston, New York, Philadelphie, San Francisco, Milan (Leonor Fini), Venise, Stockholm…
Enfin, bien entendu, on ne saurait bouder les librairies à cette occasion : livres d’art sur le Surréalisme et ses artistes, rééditions diverses, œuvres de Breton, Aragon, Eluard, Desnos et bien d’autres en livres de poche… Sans oublier de consulter le manuscrit du Manifeste sur le site de la Bibliothèque nationale de France !
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