À la manière d’une série télévisée, EMIsphère s’organise chaque année autour d’une nouvelle saison, faite de rendez-vous ponctuels et de résonances multiples. Dans les deux rôles-titres, on trouve au générique la médiathèque Le Phénix de Colombelles (Calvados, Normandie) et « L’avenir des pixels », projet fondé par Timothy Duquesne.
Ces deux structures se sont associées il y a trois ans, à la sortie du confinement, pour créer « EMIsphère – Pixels citoyens, Sagesse numérique », un programme d’éducation au numérique, aux médias et à l’image, qui a reçu le prix EMI des Assises de journalisme de Tours dans la catégorie Bibliothèque & Médiathèque parrainée par le ministère de la Culture. « En 2021, nous avons fêté les dix ans de la médiathèque. À cette occasion, nous avons réécrit le projet d'établissement avec deux axes forts : l'ouverture sur le monde culturel et la volonté de faire une fabrique de citoyens », lance Sophie Macé, responsable du Phénix de Colombelles, qui participe à la première édition de Biblis en folie, les 28 et 29 septembre avec la diffusion d'un podcast.
Un océan infini de pixels
Derrière cette ambition, il y a une réalité : celle de Colombelles, ville de 7 000 habitants en périphérie de Caen, dont le centre-ville était encore au début de l’année classé Quartier prioritaire de la ville. « Le taux de chômage y assez élevé et le niveau d'étude assez bas, d’où une implication particulière en direction de ces visiteurs. La mixité des publics est une réalité de notre médiathèque, où l’on peut croiser beaucoup d'enfants qui viennent à la médiathèque sans leurs parents et des visiteurs qui se déplacent pour notre fonds de bandes dessinées assez complet. »
Pour ce public hétérogène, il s’agit, avec EMIsphère, d’utiliser « avec sagesse » les « super-pouvoirs » que confère le numérique, d’après Timothy Duquesne, fondateur de « L'avenir des pixels ». « De fait, nous sommes immergés dans un océan de pixels, les possibilités offertes par l’univers numérique sont infinies, notamment en termes de transmission des savoirs. Il s’agit de choisir en conscience les outils que l'on va utiliser dans ce monde numérique », souligne-t-il.
Après un livre, écrit il y a quelques années, « L’avenir des pixels » est devenu un dispositif performant. Le premier volet vise à sensibiliser aux enjeux liés au numérique, aux médias et à l'information. Le second, plus engagé, veut « construire un avenir souhaitable pour permettre à tous les citoyens de bien comprendre ce monde numérique dans une logique d'émancipation », toujours selon Timothy Duquesne, qui cite le concept de « permaculture de pixels » dans lequel chaque personne contribue, à son échelle, au monde numérique dans un océan de pixels pollué par la désinformation. « L'idée, c'est de faire émerger ce que j'appelle des pépites numériques, montrer aussi des choses belles et utiles pour la société. »
Projections, débats, rencontres et ateliers
Cette approche a séduit la médiathèque normande, qui cherchait à mettre en place en son sein des actions d’éducation aux médias et à l’information à l’issue de la crise sanitaire, qui a vu émerger une recrudescence des thèses complotistes. « Nous voulions permettre au public d'avoir les clés face à une profusion d'informations et d'élargir leurs sources d'information pour qu’ils puissent créer eux-mêmes leur opinion, explique Sophie Macé. L’autre idée était de favoriser les ateliers pour que les gens apprennent en faisant par eux-mêmes. »
Chaque saison du dispositif est donc constituée de rendez-vous ponctuels qui touchent tous les publics. On trouve tout d’abord des projections de films, en présence du réalisateur ou de la réalisatrice, qui ouvrent la porte à un débat. « L'idée est de décortiquer l'information avec des sujets variés qui peuvent faire écho à l'actualité », souligne Sophie Macé qui cite en exemple cette année le masculinisme, le travail dans les abattoirs et les ZAD. Ensuite, on entre dans la « fabrique de l’information » avec des ateliers d’écriture, de création cinématographique ou de podcast. « Ils permettent à chacun de faire entendre sa voix. Nous avons par exemple mené un atelier d'écriture de micro-dystopies de 280 caractères. Deux adolescents, qui ne se sentaient pas légitimes, ont fait preuve de créativité. On a même pu constater que, dans les semaines qui ont suivi, ils se sont recroisés à la médiathèque, ils avaient continué à écrire des textes chacun de leur côté et se les faisaient lire. Il peut donc y avoir un impact à long terme », se souvient Timothy Duquesne. Enfin des rencontres avec des auteurs complète la programmation. En juin, Simon Louvet et Guy Birenbaum sont venus par exemple parler de leurs ouvrages autour de la Seconde Guerre mondiale.
Chacun de ces rendez-vous est documenté et les ressources produites sont disponibles en libre accès, destinées au public de la médiathèque ou à n'importe quel citoyen, partout dans le monde. « On trouve tout ce qui a été produit mais aussi les œuvres des personnes qui sont invitées afin de comprendre l'ensemble de leur travail, poursuit Timothy Duquesne qui continue de filer la métaphore de la nature. Je fais du « jardinage numérique », c’est-à-dire que je mets à jour les pages avec des ressources complémentaires éclairantes sur certains enjeux qui ont été abordés pour qu’elles infusent à leur rythme dans la société. »
Des actions récompensées
Tous ces rendez-vous attirent un public varié, très intergénérationnel ; c’était l’un des objectifs du Phénix. « Nous en sommes à la troisième saison, donc EMIsphère est mieux repéré, plus attendu, remarque Sophie Macé. Des ateliers attirent à la fois des seniors et des ados tandis que les rencontres avec les réalisateurs produisent plutôt de la mixité sociale, avec du public à la fois de Colombelles et des alentours. » Un projet qui a trouvé parfaitement sa place au sein de la programmation de la médiathèque. « Il ne tombe pas comme un cheveu sur la soupe, l’éducation aux médias fait partie intégrante de notre programmation. Cela donne du sens et permet aussi au public de participer plus largement à ce que l'on propose. »
Cette émulation a été récompensée en mars dernier par le Prix EMI des Assises de journalisme de Tours dans la catégorie Bibliothèque & Médiathèque. « Cette récompense me permet d'être sûre de la qualité de ce qu'on propose. C’est une manière de faire connaître davantage ce que l'on fait à Colombelles. » Et de mettre en valeur le rôle quotidien que jouent ces types d’établissements dans l’éducation aux médias et à l’information. « J'ai un attachement énorme au monde des médiathèques et bibliothèques et aux personnes qui exercent dans ces lieux, souligne Timothy Duquesne. On y voit tous les questionnements qui traversent la société. Elles permettent, selon moi, à la société de rester debout. » Et d’épurer, petit à petit, notre infini océan de pixels.
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