C’est un métier méconnu et pourtant essentiel pour l’inclusion culturelle. L’audiodescription permet aux personnes en situation de handicap visuel d’accéder aux œuvres du cinéma, de l’audiovisuel et du spectacle vivant grâce à des descriptions sonores qui permettent une pleine immersion dans l'œuvre. Malgré l’essor de ce dispositif ces dernières années et la qualité croissante des audiodescriptions, leur accès reste limité. Un frein que vient lever, en partie, le Portail de l’audiodescription, lancé en février dernier par la ministre de la Culture Rachida Dati.
Au quotidien, des auteurs et autrices s’emploient à mettre en mots les images des œuvres et transmettre les émotions d'un film, d’une série ou d’un documentaire. Méryl Guyard est l’une d’entre eux. Cette passionnée de lecture, de série et de cinéma a décidé d’allier toutes ces passions pour faire de l’audiodescription. Un métier qu’elle a découvert par « un heureux hasard », par l’intermédiaire d’une amie autrice. « J'ai eu un véritable coup de foudre pour cette pratique, pour la gymnastique et la mécanique qu'on doit mettre en place pour trouver les bons mots et qu’ils rentrent au bon endroit pour un rendu cohérent. » Elle a ensuite suivi une formation à l’INA avant de commencer à travailler il y a six ans sur des projets comme La plus précieuse des marchandises, le film d’animation de Michel Hazanavicius, les séries D'argent et de sang et De Grâce ou le documentaire Oligarques, le gang de Poutine. Elle travaille également sur le film L'Affaire de l'esclave Furcy d’Abd al Malik, dont la sortie est prévue cette année et La femme la plus riche du monde avec Isabelle Huppert.
Le travail de Méryl Guyard a été récompensé le 25 février dernier par le Marius de l’audiodescription 2025 au Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), pour Le Comte de Monte-Cristo de Matthieu Delaporte et Alexandre de La Patellière. Si elle a écrit l’audiodescription, confiée par le laboratoire de post-production Transperfect, elle a travaillé avec trois autres personnes sur ce projet : Ouiza Ouyed pour la relecture, Nathalie Spitzer pour la narration, et Sébastien Ayub pour le son. Ce prix est remis tous les ans par un jury composé essentiellement de personnes déficientes visuelles. « C'est pour elles que l’on fait ce travail donc ce prix montre que mon écriture a réussi à les emporter dans l'histoire et dans le film », réagit l’autrice, qui explique comment elle a travaillé pour mettre au point cette audiodescription.
« Écouter » le film, séquence par séquence
Première étape : visionner le film. Méryl Guyard le regarde d’abord en entier puis une deuxième fois juste en l’écoutant pour diviser l’œuvre en séquences. « Cette méthode me permet de faire le tri entre ce qui est important et ce qui l'est moins. Si je regarde l'image, j’ai envie de tout dire, comme les détails ou les couleurs, ce qui va empêcher le spectateur de s'immerger vraiment dans le film puisque le cerveau n’aura pas le temps de se créer des images mentales. »
Puis l’autrice commence à rédiger la description en suivant une consigne absolue : ne pas parler pendant les dialogues du film. « De toutes les règles, c’est celle dont on ne s’affranchit jamais. Je fais également attention à des bruits comme des portes qui claquent ou la musique. » Principale difficulté donc : glisser la description dans les temps morts, quitte à devoir faire des choix de narration. Méryl Guyard s’efforce aussi de coller le style de son texte au film. Pour l’adaptation de l’œuvre d’Alexandre Dumas, elle a donc employé des termes comme « souliers » pour désigner des chaussures. « Il y a aussi des termes techniques. Si on veut vraiment les employer, on essaie de les expliquer. Enfin j'essaye de d'avoir des constructions de phrases simples pour rendre l'audiodescription fluide de sorte à ce que le spectateur l’oublie. Si elle les sort du film, c'est loupé. »
Écriture puis relecture
Le Comte de Monte-Cristo est une œuvre dense de presque trois heures. Pourtant, Méryl Guyard n’a pas eu de mal à entrer dans l’histoire. « J’ai aimé le film et les personnages donc j’aimais ouvrir mon ordinateur et me retrouver dans cette atmosphère avec eux. C'est une audiodescription qui m'a demandé du travail, mais qui a été assez fluide au niveau de l'écriture. Et puis j'avais du temps – un mois, ce qui est énorme. » Le film est également riche en dialogues et en musiques. « Il y a un peu de tout : du dialogue, de l'action, de très beaux paysages. Le plus compliqué reste les scènes d'action parce qu'il y a beaucoup de bruit et beaucoup de choses qui se passent en très peu de temps donc techniquement parlant, on ne peut pas raconter tout ce qui se passe. Il faut vraiment faire un tri incroyable et surtout bien écouter sans regarder, pour se caler sur les sons qu'on entend le plus. »
Une fois le texte écrit, Méryl Guyard travaille avec Ouiza Ouyed sur la relecture. Son rôle est d’indiquer si l’ensemble est compréhensible, de proposer si besoin un autre mot ou une autre construction de phrase. « Son oreille est toute neuve, ce qui est précieux lorsque j’ai le nez dans l'écriture. » Ensemble, le binôme relit l’ensemble de l’œuvre, un travail qui a nécessité une journée pour Le Comte de Monte-Cristo.
Dernières finitions avec l’ingénieur du son
Dernière étape, la lecture du texte et l’enregistrement. Pour le film de Matthieu Delaporte et Alexandre de La Patellière, c’est la comédienne Nathalie Spitzer qui a prêté sa voix. Elle reçoit un texte avec un « time code » pour indiquer quand lire la description et des annotations pour dire la phrase plus ou moins rapidement en fonction du temps disponible. « C'est également le talent du comédien ou de la comédienne qui lui permet de savoir aussi s'adapter à la scène : si elle est dynamique, elle accélère un peu son débit. »
L’enregistrement passe enfin entre les mains expertes de Sébastien Ayub, l’ingénieur du son. « Il peut déplacer une phrase qui vient mordiller sur le début du dialogue qui arrive derrière, nettoyer aussi les bruits de bouche et régler le son de l'audiodescription pour qu’elle ne vienne pas empiéter sur le film tout en restant audible. » L’audiodescription est ensuite mise à disposition des salles de cinéma pour que les spectateurs qui en font la demande puissent accéder à l’œuvre. Elle sert également pour le DVD et les plateformes de diffusion en ligne (VOD et SVOD).
Un portail pour valoriser l’audiodescription
À l’occasion de la remise du Marius de l’audiodescription 2025, le 25 février dernier, la ministre de la Culture Rachida Dati a annoncé le lancement du « Portail de l’audiodescription » pour centraliser les œuvres cinématographiques audiodécrites à destination des publics déficients visuels, souvent dispersées et difficiles d’accès, et valoriser cette pratique essentielle à l’inclusion culturelle. Cette plateforme est le fruit du travail conjoint du ministère de la Culture, du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) et des associations d'usagers déficients visuels ainsi que des organisations professionnelles des métiers de l'audiodescription (Retour d’image, Les Yeux Dits…) et des diffuseurs partenaires. Il représente ainsi une étape majeure dans la mise en œuvre de la mesure adoptée lors de la Conférence nationale du handicap d’avril 2023 relative à l’accessibilité des œuvres.
Cette plateforme se présente sous la forme d’un catalogue éditorialisé de plus de 2 500 films en version audiodécrite et indique aux usagers les différentes solutions de visionnage comme les plateformes de diffusion en ligne (VOD et SVOD). Ce catalogue est consultable par recherche ou via des entrées thématiques et est amené à s’enrichir tout au long de l'année. Enfin la plateforme propose un centre de ressources informatives pour sensibiliser le grand public et les professionnels à l’importance de l’audiodescription. Une version beta est en ligne, co-construite avec des usagers déficients visuels afin d'en garantir la pertinence des fonctionnalités et la totale accessibilité. Cette première version est amenée à s’améliorer grâce aux retours des utilisateurs.
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