Découvrir la littérature dramatique jeunesse

La littérature jeunesse connaît, depuis plusieurs années, une vitalité sans précédent. Ce secteur clé du monde de l’édition va prochainement se confronter à son public à l’occasion de la nouvelle édition du Salon du livre et de la presse jeunesse, qui va se tenir à Montreuil du 27 novembre au 2 décembre. Nous aurons l’occasion d’y revenir. Cette vitalité, on la retrouve également dans le secteur de la littérature dramatique jeunesse, un domaine plein d’allant, qui suscite des textes originaux et surprenants, dont la singularité oscille entre la diversité des approches, la variété des thèmes et la plasticité des formes.

Le Grand prix de littérature dramatique – une initiative d’un opérateur du ministère de la Culture, ArtCena, Centre national des arts du cirque, de la rue et du théâtre – ne pouvait pas ne pas saluer ce dynamisme. En 2015, il lance un volet « jeunesse », qui va rapidement devenir un élément incontournable d’une offre jeunesse toujours plus imposante, sur scène autant que dans les livres. Cette année, deux textes jeunesse étaient proposés aux délibérations du jury : Oiseau (Guide de survie) de Marie-Christine Lê-Huu (Lansman éditeur) et Glovie de Julie Ménard (L’école des loisirs).

Lors de la désignation des lauréats, organisée le 4 novembre au Conservatoire national supérieur d’art dramatique, si le premier a eu la préférence du jury présidé par la comédienne et metteuse en scène Ludmilla Dabo, le second s’est vu attribuer le coup de cœur de l’association « Des jeunes et des lettres » ainsi que celui de dix jeunes issus des books clubs et scène club du pass Culture. Un bel équilibre en phase avec la vitalité des écritures théâtrales pour la jeunesse. Interview à chaud de la lauréate, Marie-Christine Lê-Huu.

Depuis près de trente ans, vous vous intéressez aux fractures intergénérationnelles et identitaires. Avec Oiseau (guide de survie), vous racontez l’histoire d’un enfant différent, qui s’absente et voudrait parfois disparaître. Quelle est l’origine de votre ouvrage ?

Dans mon travail d’écriture, j’explore inlassablement le thème de la marge. J’ai une fascination pour ce qu’elle peut nous apprendre mais aussi pour la violence avec laquelle on la repousse. Quand j’ai commencé à écrire Oiseau (Guide de survie), j’avais en tête des images de corps et un souvenir m’est revenu. Adolescente, j’étais passionnée de danse, mais, à l’issue d’une expérience étrange, cette passion a complètement disparu. C’était lors d’une représentation du ballet du Bolchoï qui était venu se produire dans la ville où j’étais en vacances avec ma famille. A la moitié du spectacle, je me souviens m’être dit que ce qui faisait la singularité des danseuses du ballet, à savoir leurs pieds parfaitement alignés, allait disparaître. Dans mon esprit, c'est un souvenir très violent. De même, Oiseau (Guide de survie) est une pièce sur un enfant différent qu’on voudrait faire entrer dans la norme. Si on y songe bien, on nous demande constamment de nous fondre dans la norme. C’est une violence qu’on s’impose collectivement au prix de gommer ces aspérités qui, selon moi, constituent des qualités.

Comment avez-vous traduit cette différence dans la langue ?

Mon héros parle concrètement de choses qu’il ressent. Simplement, il ne les ressent pas comme tout le monde. J’essaye de faire apparaître cette différence dans la forme. Le texte est déconstruit, il y a des espaces vides, des listes, des parties dialoguées de façon assez conventionnelle, puis un retour à la narration. Par ailleurs, la réflexion sur l’espace est aujourd’hui très présente dans les écritures contemporaines, et cela, sans doute, infuse dans mon écriture.

Comment résumeriez-vous la pièce ?

Ce n’est pas sans une forme de réticence que je me prête à cet exercice. Ce n’est pas tant en raison de quelque difficulté, d’ailleurs, mais plutôt parce que ce qui m’intéresse, ce n’est pas tant l’anecdote que, encore une fois, la forme, les vides, l’espace où le spectateur peut s’engouffrer et ce que cette rythmique agite. Du reste, si Oiseau (Guide de survie) est tout à fait approprié pour un public jeunesse, il me semble que le grand public pourrait aussi bien l’endosser. Pour en revenir à l’histoire, je proposerai le résumé suivant : il s’agit d’un personnage qui, en lui-même, serait relativement heureux mais qui ressent la pression exercée par la norme et le poids qu’il fait peser sur ceux qu’il aime du fait de sa différence.

Et qui va même jusqu’à disparaître...

D’où la boucle avec ce souvenir des danseuses entraînées à disparaître.

Parlez-nous de votre maison d’édition, Lansman Editeur.

Le catalogue de la maison Lansman éditeur, située en Belgique, est ouvert à des auteurs francophones. La maison occupe une place de premier plan dans le monde de l’édition théâtrale. J’y ai publié un premier texte en 2006. Oiseau (Guide de survie) est le second. Nous entretenons donc une relation de long terme.

La pièce a-t-elle déjà été jouée sur une scène ?

Pas encore. Avec Elise Vigier, metteuse en scène française, nous souhaitions le présenter dans le cadre d’une coproduction mais le projet n’a pas abouti. Je suis donc en train de repenser à d’autres façons de monter la pièce au Québec. Elise aussi réfléchit à des possibilités de son côté. En tout cas, j’ai très envie que la pièce trouve un public des deux côtés de l’Atlantique. En raison de sa forme, c’est un texte qui laisse toute latitude au metteur en scène pour s’infiltrer dans les espaces. Le résultat pourrait être surprenant.

Comment vivez-vous cette récompense ?

Avec joie et étonnement ! Je suis très reconnaissante au Conseil des arts et des lettres du Québec de m’avoir permis de venir à Paris pour recevoir ce prix, mais force est de reconnaître que la situation est difficile aujourd’hui au Québec en termes de financement des arts. De plus en plus de pièces écrites par des auteurs de grand talent ne voient jamais le jour. La situation est vraiment préoccupante. Dans ce contexte, que l’on prenne le texte pour ce qu’il est et lui donne l’opportunité de trouver des oreilles, est un véritable cadeau.

C’est aussi une récompense qui célèbre la vitalité des écritures théâtrales pour la jeunesse dans l’ensemble de l’espace francophone…

Absolument, la souplesse des critères d’éligibilité offre une magnifique opportunité aux auteurs en langue française. C’est formidable que l’écriture théâtrale soit reconnue comme une littérature à part entière, mais quand on écrit une pièce, même si la scène n’est pas la vérification absolue de la valeur d’un texte, elle reste tout de même pour son auteur la destination principale. La visibilité donnée par le prix favorise ce passage à la scène.