C’était dans le cadre de la dixième édition du Forum Entreprendre dans la Culture, organisé par le ministère de la Culture à l’Ecole nationale supérieure d’architecture Paris-Belleville du 11 au 13 juin dernier. Au cœur de cette édition anniversaire de rencontres et d’échanges entre différents acteurs culturels, la remise du prix IFCIC - Entreprendre dans la culture, attribué par l’Institut pour le financement du cinéma et industries culturelles (IFCIC) et le ministère.
Cette année, le comité de sélection a reçu 98 candidatures. Cinq projets ont été choisis pour leur caractère innovant qui répondent à un enjeu de transition énergétique comme la scène et le studio d’enregistrement mobile fonctionnant à l’énergie solaire de Carpanorama ou le Lab et l’écothèque des Augures, outil d’échange de bonnes pratiques pour les institutions. Le prix a aussi choisi de récompenser des initiatives inclusives comme Rafe Productions et son concours Rappeuses en liberté pour permettre à des artistes féminines de percer, ou encore Sound Exploration Technologies et sa solution permettant de faire ressentir la musique pour la communauté sourde. Enfin Unframed Collection met la culture à portée de tous avec un catalogue d’offres immersives à disposition des institutions culturelles. Zoom sur ces cinq initiatives novatrices au service de la culture.
Unframed collection, un catalogue d’expériences immersives
Lancé en février dernier, Unframed collection promet de nouvelles narrations autour de l’art et la culture. Cette plateforme de distribution d'expériences immersives en réalité virtuelle et augmentée propose un catalogue d'œuvres, de services et d’outils à destination des institutions culturelles qui voudraient développer leur offre digitale. Elle est à l’initiative de la maison de production Lucid Realities, spécialisée dans les industries créatives numériques.
Particularité de ces œuvres, elles ont été créées en coproduction avec les institutions culturelles qui participent à la conception de ces immersions en échange des droits de diffusion. Avec cette stratégie, les œuvres bénéficient ainsi de toute l’expertise des professionnels du secteur culturel qui viennent « labelliser le contenu, vérifier le propos et donner de la légitimité à notre projet », selon Alexandre Roux, directeur du développement de la stratégie. Ces contenus sont ensuite mis à disposition sur la plateforme pour pouvoir être diffusés dans une institution culturelle inscrite et qui en fait la demande.
Une cinquantaine d’expériences sont aujourd’hui référencées sous des formats – du documentaire au film d’animation – et thématiques très variés. Unframed collection veut s’adresser aux institutions culturelles de toutes tailles, y compris les réseaux locaux de bibliothèques pour une dimension éducative. « Nous avons la volonté de faire de la pédagogie autour de l’histoire et de thèmes de société comme l’environnement, souligne Chloé Jarry, directrice de Unframed Collection et de Lucid Realities. Ces technologies immersives ont cette capacité de maximiser l’impact des messages. »
Les Augures : un Lab et ses outils pour la transition écologique
En 2020, le collectif Les Augures créé par quatre professionnelles du secteur culturel (Laurence Perillat, Camille Pène, Marguerite Courtel, et Sylvie Bétard), entendait accompagner des structures dans leur transition écologique. Un an plus tard le collectif créait l’association du même nom, à l’origine de l’Augures Lab Scénogrrrraphie, autre lauréat du prix IFCIC. « Créer une association destinée à être un lieu d'expérimentation était notre idée de base, explique Sylvie Bétard, cofondatrice des Augures et codirectrice de l'Augure Lab Scénogrrrraphie. Au même moment, Annabelle Vergne et Quentin Rioual, respectivement scénographe et metteur en scène, montaient des groupes de travail informels qui réunissaient une quarantaine d'acteurs et d'actrices du secteur pour travailler sur les freins à la transition et sur des outils. Nous avons eu envie de structurer ces groupes. »
Ce Lab accueille aujourd’hui environ 70 membres, structures ou indépendants, qui travaillent sur un thème choisi : celui de la scénographie. « Toutes les personnes qui travaillent à la production et à la technique, dans les musées ou dans le spectacle vivant, constatent des bennes remplies d'éléments de scénographie ou des décors entiers qui sont stockés et dont ils ne savent plus quoi faire aujourd'hui. Il y a donc des questions d'impact environnemental mais aussi d'espaces de stockage et de valorisation de ces déchets », poursuit Caroline Géral, coordinatrice du Lab, véritable lieu de mise en relation avec des réunions mensuelles pour échanger autour de projets inspirants.
Des groupes de recherche-action, qui se concentrent plutôt sur des freins particuliers, ont aussi travaillé pendant plusieurs mois pour produire un résultat final qui va ensuite être partagé sur l’écothèque, autre initiative des Augures lancée en mars dernier, véritable outil collaboratif qui propose tout un travail de mise en commun des connaissances. « Cette recherche est faite par des professionnels pour d'autres professionnels. Elle est donc vraiment ancrée dans le réel et donne des outils très pratiques pour changer concrètement les pratiques dans notre secteur », conclut Caroline Géral.
Sound X repousse les frontières de la perception auditive pour les personnes sourdes
Avec Sound X, les subtilités de la musique et des différents instruments sont désormais à la portée de la communauté des personnes sourdes. Le concept tient en deux accessoires : d’un côté une application mobile chargée de capter les sons, de l’autre un sac à dos chargé de retranscrire les émotions de la musique en vibrations. Pour relier les deux, une intelligence artificielle qui capte et traite le signal sonore.
Sound X est né il y a une dizaine d’années de l’esprit de Damien Quintard, ingénieur du son, qui a créé Sound Exploration Technologies. Particularité de ce dispositif très innovant : là où les installations existantes traitaient surtout des basses, Sound X exploite, lui, un spectre auditif bien plus large et peut ainsi retranscrire l’émotion suscitée par un violon ou un piano. « Pour transmettre une émotion, il faut connecter plein de détails notamment la mélodie, les hautes fréquences, la voix… bref plein de nuances que peut porter la musique et qui permet de s’immerger », explique Daniela Garcia, directrice générale de Sound X.
Cette technologie peut s’appliquer à la vie quotidienne avec les bruits de la rue ou même une conversation. « En fonction du signal sonore, l’IA va appliquer des réglages spécifiques qui permettent de donner le maximum d'informations au niveau vibrationnel et qui apportent une meilleure compréhension. C’est un outil complémentaire qui permet de guider la personne autrement », poursuit Daniela Garcia. Le tout tient dans un sac à dos le plus léger possible, qui peut être porté par des enfants dès 4 ans, résistant à toutes les conditions climatiques et avec une attention toute particulière portée au design. « Nous voulions que la personne se sente à l'aise et “fière” de le porter. »
Dès son élaboration en 2019, le prototype a été testé en collaboration avec l'Institut national des jeunes sourds de Paris. Il est aujourd’hui déployé dans plusieurs salles de concert comme la Philharmonie de Paris et lors de plusieurs festivals comme We Love Green. Sound Exploration Technologies a fait aussi un pari : équiper les écoles. L’entreprise essaie, à chaque implantation dans un établissement scolaire, d’équiper un lieu culturel dans la même ville pour créer des passerelles entre le monde de l'éducation et de l’art.
Carpanorama, une scène autonome et itinérante
C’est un drôle de camion de 12 mètres de long sur 6 de haut qui, lorsqu’il se déploie, dévoile une scène sur son toit et un studio d’enregistrement à l’intérieur. Cette idée folle vient d’Axel Legrout et de David Garnier, membres du groupe normand For the Hackers. « Nous sommes sortis de maison de disque en 2014 et nous nous sommes alors posés la question de la suite : comment continuer à être programmés et écoutés ? », se souvient Axel Legrout. La solution ? Construire leur propre scène et studio et les amener directement dans les villes.
Ainsi, en 2017, ils récupèrent à Marseille un bus de collection datant de 1984 et commencent à le retaper. « Il a servi pour du transport scolaire et du cinéma ambulant et est très prisé des camping caristes avec sa tête à l’ancienne un peu ronde », décrit le chanteur de For the Hackers. Cinq ans de travaux auront été nécessaires pour aboutir à une scène ambulante qui a la particularité d’être totalement autonome – sauf pour la conduite – grâce à une petite centrale qui fonctionne à l’énergie solaire. Ce fonctionnement était inscrit dès le début dans le cahier des charges du groupe. « Nous avions le désir de fournir une solution clé en main pour les concerts et de réduire au maximum les contraintes, que les organisateurs n’aient pas besoin de gérer autre chose que le stationnement du camion. » La performance est telle qu’il n’a pas besoin d’être branché de mi-mars à mi-octobre et qu’il a pu assurer une tournée estivale en Angleterre des jours durant.
Le Carpanorama, qui était au départ destiné au groupe, devient aujourd’hui une solution à disposition des autres formations et de villes souhaitant organiser des concerts. « Notre expérience du terrain a totalement encouragé cette initiative. Nous venons d’une zone rurale et nous n’avons pas vu beaucoup de concerts. Nous voulions donc amener des spectacles et plus globalement la culture, dans ces territoires. » Le car est notamment visible cette année aux festivals Le murmure du son et au Summer Blues festival, tous deux en Seine-Maritime. Le prix IFCIC va permettre d’augmenter la puissance des batteries solaires du Carpanorama. Pour faire résonner la musique toujours plus longtemps en toute autonomie.
Rafe Productions veut faire éclore la scène rap féminine
Elles sont environ trois cents mais l’exemple le plus cité reste Diam’s, pourtant retirée des scènes depuis une dizaine d’années. Les rappeuses françaises ont aujourd’hui du mal à briser le fameux « plafond de verre » et émerger sur une scène encore majoritairement masculine. Pour combler ce fossé, Aymeric Pichevin, directeur général de Rafe Productions, société de productions spécialisée dans des événements et programmes audiovisuels originaux au service d’enjeux sociétaux, a créé Rappeuses en liberté, dernier lauréat du prix IFCIC – Entreprendre dans la culture.
Rappeuses en liberté est un dispositif d’accompagnement professionnel à destination d’artistes féminines qui veulent évoluer dans le monde du rap. Chaque année, une sélection sur vidéo est opérée pour sélectionner dix finalistes qui bénéficient d’une formation artistique et de masterclasses. Elles enregistrent ensemble un titre et un clip communs et se produisent aux concerts finaux du MaMA Music & Convention et du festival Grand 8 organisé par l’Université Paris 8 Saint-Denis. Puis, parmi ces dix artistes, trois lauréates remportent un prix de 2 000 €, l’opportunité de participer à des résidences créatives et scéniques et une programmation au festival de hip-hop Les Ardentes en Belgique. Rappeuses en liberté est enfin une série digitale imaginée par Rafe Productions et diffusée sur le média en ligne Brut.
Trois ans après la création du concours, Rappeuses en liberté a permis de faire éclore des artistes comme Maey, Nanor, Juste Chani ou encore Eesah Yasuke, qui s’est produite l’an dernier lors de la Fête de la musique au Domaine national du Palais-Royal.
Le prix IFCIC – Entreprendre dans la culture
Remis chaque année à l’occasion du Forum Entreprendre dans la Culture, le prix de l’IFCIC récompense des entreprises ou associations ayant développé un projet, un modèle économique ou une forme d’organisation innovante, originale, responsable et durable dans le secteur culturel. Il permet, à travers une dotation totale de 30 000 euros, de soutenir et d’amplifier ces démarches entrepreneuriales créatives puisque les lauréats bénéficient d’un suivi personnalisé de l’IFCIC sur les questions de financement et d’ingénierie financière et de l’expertise et du réseau du ministère.
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