Pour faire face à l’évolution et la numérisation des usages et aux défis des marchands de la presse (baisse du nombre de points de vente, concurrence de nouveaux moyens d’information…), le ministère de la Culture a lancé en décembre 2022 un appel à candidatures pour repenser l’enseigne historique, à savoir la « plume » rouge sur fond jaune. Objectif : créer un signe distinctif plus contemporain, tout en préservant son héritage et sa reconnaissance visuelle.
Parmi près de quarante propositions, une équipe pluridisciplinaire a été sélectionnée, celle composée de Julie Soudanne (jli Type Studio), dessinatrice de caractère, Studio Double (Agathe Joubert & Pauline Vialatte de Pémille), designers graphiques et Jacques Averna, designer objet.
Ils ont été sélectionnés en novembre 2023 et le design a été finalisé l’an dernier avant d’être révélé mercredi 5 mars. Cette équipe avait déjà multiplié les associations mais travaille pour la première fois en quatuor. Ensemble, ils ont imaginé un design plus doux et accessible alliant modernité et tradition, qui s’intègre facilement avec d’autres enseignes commerciales et construit dans des matériaux plus durables et écologiques. Explications.
Vous avez été choisis pour imaginer cette nouvelle plume des marchands de presse. Que représente pour chacun d'entre vous cet objet aussi grand public, universel et ancré dans le paysage quotidien ?
Jacques Averna : Nous avons eu beaucoup de plaisir à travailler sur cette enseigne qui est en effet un patrimoine populaire : tout le monde y a accès, tout le monde la voit, elle est ancrée dans l'imaginaire collectif. Pour moi c'est aussi un repère depuis l'enfance puisque c’est là qu'on pouvait acheter son Picsou magazine par exemple. C’est donc un symbole assez joyeux et divertissant.
Julie Soudanne : Il y avait en effet un petit côté émotionnel dans le fait de pouvoir travailler sur ce symbole connoté à notre enfance, ce lieu où nos parents nous emmenaient. On y va peut-être un peu moins fréquemment aujourd’hui, mais le fait de pouvoir travailler sur ce projet était important pour nous car nous sommes tous les quatre très attachés à la presse papier et à l'impression.
Pauline Vialatte de Pémille : Ce fut en effet galvanisant de travailler sur un objet qui dépasse toute frontière sociale et géographique. C'était un vrai challenge de design de se mettre à la place de tout un chacun…
Agathe Joubert : …D’autant plus que l’enseigne peut être à la fois seule ou entourée de plein d'autres comme celle des bureaux de tabac ou de la Française des Jeux.
Aviez-vous justement des contraintes à respecter en termes de dimensions, de couleurs, de forme ou d'intégration dans le paysage ou avec d'autres enseignes ?
A.J. : Le cahier des charges stipulait qu'il y ait encore le jaune, une plume et l’inscription presse. Il était donc assez précis tout en nous laissant carte blanche sur la forme. Nous avons décidé de rester sur une hauteur de 90 centimètres, similaire à l’enseigne existante. Pour l'impact visuel, il était important qu'elle garde les mêmes proportions. Il était également demandé que le coût total de l’enseigne soit dans le même budget que la précédente. Ce qui nous a amené à concevoir un objet épuré et astucieux, reproductible par n’importe quelle tôlerie en France.
Vous l’avez dit, le jaune était un prérequis pour cette enseigne et vous avez choisi de l’associer au gris. Comment vous êtes-vous arrêtés sur ce choix de nuances ?
J.S. : Au départ nous étions partis sur un jaune un peu plus acidulé mais en installant un prototype dans la rue, nous nous sommes rendu compte que le jaune dit « signalétique » rend cette enseigne très distinctive des autres et qu’il était important de le garder. Sur le gris, il y avait un vrai enjeu avec la lumière et le contraste avec le jaune, de jour comme de nuit. Nous avons essayé des dizaines d'options, plus ou moins colorées, sombres, claires, brillantes, mates pour arriver finalement à un gris assez neutre. Nous n’avons pas gardé le rouge, d’une part pour dissocier l’enseigne des bureaux de tabac que la presse côtoie la majorité du temps et d’autre part pour des raisons économiques, nous souhaitions concevoir un objet avec uniquement deux plaques pliées, chacune étant associée à une couleur.
Vous proposez une forme différente de celle que l’on connaissait jusqu’à présent avec la fin du losange « historique ». Comment en êtes-vous venus à cette petite révolution ?
P.V-d-P. : Nous avons volontairement choisi de nous extraire de cette forme, d'abord parce que nous avons voulu éviter qu'elle prenne trop de place dans la rue et qu'elle soit sujette à la casse avec la manœuvre des camions, les marchands nous ayant reporté ce problème, aussi car on aimait bien cet écho très vertical à la fois à la carotte (des bureaux de tabac ndlr), tout en créant une lecture plus originale.
J.A : Nous nous sommes fixés nous-mêmes des contraintes qui ont amené à ce choix. Nous voulions sortir de la « boîte lumineuse » actuelle : aujourd’hui, l'enseigne est une coque en PVC alors que nous voulions une enseigne qui ne soit pas rétro-éclairée et qui n’ait pas besoin d’être allumée en journée, mais uniquement à l’aube et au crépuscule, si besoin. La solution la plus intéressante était donc de sortir de cette forme qui faisait utiliser trop de matière et d’usinage pour une fabrication compliquée et coûteuse.
Un travail a été mené sur la plume, désormais plus douce et plus arrondie…
P.V-d-P. : La première version de la plume, dans les années 70, était très illustrative. Nous voulions nous en éloigner, rendre ce dessin plus pictographique et du coup plus universel, qu’elle soit un peu plus chaleureuse avec des formes plus douces qui font écho avec les lettres que Julie a dessinées, dans cette volonté de contraster avec l'aspect assez froid que l'aluminium peut donner. La forme globale de l'objet devait être intelligible, éviter trop de découpes et de précision ; nous avons donc essayé de l'essentialiser.
A.J. : Notre volonté était aussi que la plume se découvre dans le ciel, que ce ne soit pas juste une impression sur une forme. Nous avons fait beaucoup de tests et de dessins et une vraie recherche pour qu’elle soit la plus pure possible. Pauline l’a dit, la première plume était illustrative, tandis que la seconde était à l'inverse très pictographique et piquante en soi. Nous avons voulu amener quelque chose d'un peu plus accueillant et que le dessin de la plume se fasse aussi avec la découpe de la courbe de la plaque jaune qui elle, est un vrai arrondi. Les deux sont en harmonie.
La typographie est un domaine très lié au monde de la presse. Comment cela vous a-t-il inspiré pour les lettres de cette enseigne ?
J.S. : Nous avons fait des recherches sur l'univers de la presse écrite et avons constaté, dans un premier temps, une grande majorité de logos de style typographique mécane (une famille de caractères qui se distingue par ses empattements rectangulaires et massifs ndlr). L’enseigne des années 70 utilise la Cooper Black, une typo très ronde, amusante qui a été dessinée dans les années 20 pour être en rupture avec les caractères de l'époque. Elle a été utilisée très rapidement dans beaucoup de journaux de cette époque et avait donc vraiment un lien avec la presse. La seconde, dans les années 2000, était la Frutiger, typographie de signalétique par excellence à cette époque et beaucoup utilisée dans les enseignes. Nous avons donc voulu ramener du lien avec l'univers de la presse.
Il y avait aussi l'enjeu de la découpe. Il fallait que la typographie soit à stencils, c’est-à-dire avec des accroches sur les lettres pour que les contre-formes ne tombent pas. Il y a donc des petites encoches dans le P et le R qui permettent de tenir dans la matière. Il y a ensuite ce jeu de distorsion des lettres, d’une part pour amener une subtile référence aux origines de la presse imprimée, mais aussi pour recréer une connexion entre le mot presse et la plume qui étaient décorrélés dans l’enseigne précédente. Enfin, il y a aussi eu la volonté de faire écho aux lettres distendues présentes sur la carotte de tabac (malgré le fait que l’inscription du tabac soit dorénavant interdite, le clin d’œil est là).
Cette enseigne est réalisée en aluminium. Pourquoi ce choix de matériau ?
J.A. : Il était important pour nous de trouver un matériau durable et l'aluminium est très intéressant en cela puisqu’il est recyclable, se refond et peut être réutilisé une fois l'objet terminé. Il est imputrescible et a une très bonne résistance à la corrosion. L'enseigne actuelle était imprimée sur PVC. Sur la nôtre, il n’y a aucune impression mais du thermolaquage qui fixe la couleur sur l'aluminium par la projection d'une poudre ensuite chauffée à 180°, ce qui va la solidifier. Cette technique rend l’enseigne résistante aux intempéries et aux UV et fait qu’elle ne se décolore pas dans le temps. Nous voulions éviter la décoloration du PVC, comme on a pu constater sur beaucoup d’enseignes précédentes où la plume avait disparu sous les effets des rayons du soleil. Elle est également légère, ce qui diminue les coûts de transport.
Aucun matériau n’est 100 % propre et ce qui est important pour voir son impact écologique, c'est surtout de regarder son domaine d'usage. L'enseigne est faite pour durer une quinzaine d'années dans la rue donc l’aluminium semblait le plus adapté.
Cet objectif de durabilité est également présent dans votre travail sur la lumière et l’éclairage nocturne de l’enseigne…
J.S. : Sur ce sujet, nous avons travaillé avec Loris Trétout du studio Nuit Double. Nous avons intégré deux bandeaux LED qui suivent la courbe de la plume et qui permettent d'éclairer les lettres dans la boîte et de diffuser la lumière le long de la plume pour la dessiner.
P.V-d-P. : Nous voulions sortir de l’enseigne lumineuse classique pour réduire l’impact écologique et aller dans le sens de l'évolution des Plans locaux d'urbanisme qui limitent au maximum l’éclairage des vitrines et enseignes de jour comme de nuit. Les enseignes précédentes sont en PVC donc une boîte fermée, sans aucune fuite de lumière, et rétro éclairées. Dans la nouvelle enseigne, avec ce jeu de plaques en métal qui s'imbriquent les unes aux autres avec de multiples percées, il y avait un vrai travail pour éviter d'éclairer la rue plutôt que l'intérieur de l'enseigne.
L'enseigne a vraiment deux versions : une non-lumineuse et une lumineuse que les marchands de presse peuvent allumer quand ils le souhaitent. L'idée, c'est qu'elle soit lisible et visible parfaitement de jour sans lumière et parfaitement de nuit, lorsque les commerces sont encore ouverts, ou avec lumière grâce à des matériaux, des finitions mats, brillantes et des couleurs.
A.J. : Ces deux versions ne rendent pas du tout la même chose, donnent deux effets différents. De jour, le jaune accroche beaucoup le regard et les lettres paraissent sombres grâce à l’ombre de la plaque et la teinte du gris de la plume. Et de nuit, il y a nécessairement un effet de contre-jour qui fait que le mot presse devient entièrement lumineux (on a volontairement choisi une lumière assez chaleureuse plus proche du jaune) et que la plume se dessine et se détache dans le ciel.
Cette nouvelle enseigne répond à un besoin de modernisation du secteur, en pleine mutation numérique. Comment avez-vous pris en compte cet enjeu dans votre proposition ?
J.A : Le choix du format vertical rappelle un format qui est aujourd'hui dans nos mains, celui du téléphone. Mais nous ne voulions pas non plus céder au tout-technologique et faire une enseigne par exemple avec un écran intégré. L'enseigne est moderne sans pour autant utiliser de la technologie. Nous sommes conscients que l’on propose un signe assez qui correspond à l'envie aussi des marchands de presse se renouveler pour se démarquer. En fait, nous avons essayé de le rattacher à l'histoire de la presse tout en étant ancrés dans des problématiques actuelles.
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