Découvrir l'art du dessin de presse à travers le travail de Charb, l’un des maîtres du genre, assassiné le 7 janvier 2015 lors de l'attaque contre Charlie Hebdo, c'est ce que propose une exposition inédite qui va se tenir du 9 au 23 mars dans les espaces de l'Hôtel-de-Ville de Villeurbanne. Parallèlement, les « Rencontres internationales du dessin de presse », vont réunir, du 10 au 13 mars, dans l’agglomération lyonnaise, des intervenants de tous horizons qui vont débattre de l’état du dessin de presse à travers le monde.
Un événement résolument tourné vers la jeunesse, qui s’inscrit dans le droit fil de l’esprit de la programmation de la capitale française de la culture : « place aux jeunes ! » « Les jeunes générations prennent le chaos du monde en pleine figure, et c’est d’une violence terrible », souligne Marika Bret, la directrice des ressources humaines de Charlie Hebdo, qui a conçu et réalisé l’exposition avec l’association Çapresse et les Rencontres internationales du dessin de presse. « C’est pourquoi il est urgent de donner aux jeunes gens des clefs pour comprendre. En ce sens, le rôle des programmes d’éducation aux médias et à l’information est fondamental. La lecture d’un dessin de presse n’est pas une compétence innée. Cela s’apprend au même titre qu’on apprend à lire un texte de Montaigne. »
Charb et la jeunesse, une longue histoire
« L’exposition est centrée sur la relation de Charb avec la jeunesse, reprend-elle. Lui-même allait souvent en visite dans les écoles. Passionné de dessin mais aussi d’histoire, très intéressé, dès le plus jeune âge, par l’actualité, il ignorait l’existence du métier de dessinateur de presse. Lors de ses visites, la première chose qu'il voulait prouver aux élèves, c'est qu’une passion peut devenir un métier. Et ça se terminait toujours par des dessins et des éclats de rire.
« Dans l'exposition, nous montrons d'abord quelques-uns de ses premiers dessins, pour observer l’évolution de son trait, depuis l’âge de 14 ans jusqu’à Charlie. Mais c’est surtout la maturité de sa réflexion qui étonne, comme, par exemple, ce dessin assez incroyable sur la guerre (« Les balles se mirent à siffler un air d’opéra connu… »), qui réfère à Lully. Très tôt, pour la rencontre de l’humour et de la réflexion politique, l’un de ses mentors a été Cabu, celui d’A bas toutes les armées.
Apprendre à lire un dessin de presse
« Charb était un esprit ouvert et curieux, et ce qu’il voulait partager avec la jeunesse, c’est ce désir : ouvrir les yeux sur le monde. Nous avons également voulu montrer, à travers ses dessins, combien les thèmes qui lui étaient chers sont variés et nombreux. Considérer que Charb était obsédé par la religion est absurde. Un dessin réagit à l'actualité et s'inscrit dans un contexte particulier. D’où, par ailleurs, l’importance fondamentale de ce contexte. Si on ne le connaît pas, il est facile de détourner le sens d'un dessin.
« Un dessin de presse réussi fait mouche. Le lecteur rit et dit : « C’est exactement ça ». Et c’est pourquoi c’est un art si difficile. Charb avait le sens de la répartie, ce qui lui permettait – je l’ai observé bien souvent – de désamorcer les tensions d’une situation conflictuelle et de revenir au dialogue. En ce sens, le dessin a d’abord un effet immédiat, sans doute, mais il propose aussi une lecture et une réflexion à plusieurs niveaux. Prenons un exemple : le dessin « L’invention de l’humour », que nous avons choisi pour l’affiche de l’exposition. Le contexte était tendu, car certains responsables politiques avaient déclaré que les dessins de Charlie Hebdo, sur les questions religieuses, notamment la représentation du prophète, « jetaient de l’huile sur le feu ». Pour Charb, c’était une accusation sans fondement. Ce dessin pose une question très forte : où est le problème ? Est-ce l’huile ou le feu ? J’aime à penser que les jeunes gens qui viendront voir l’exposition réfléchiront là-dessus. »
Dire et nommer les choses
Dans l’exposition, qui présentera une quarantaine de planches réunies par thèmes (racisme, antisémitisme…), la question de la médiation est essentielle. « On organise des parcours d’exposition pour raconter tout cela aux élèves. Il n’était pas question d’afficher les dessins et de laisser le public se débrouiller seul pour les comprendre. Je sais combien l’échange avec le public est important à cet égard. Je l’expérimente moi-même en accompagnant depuis six ans dans les lycées la lecture-spectacle que fait le théâtre K autour du livre posthume de Charb, Lettre aux escrocs de l’islamophobie qui font le jeu des racistes. Ce dialogue est à la fois nécessaire et passionnant.
« Enfin, il ne faudrait pas oublier que la lecture des dessins de Charb n’est pas seulement une invitation à la réflexion. C’est aussi une invitation à l’action. Pour Charb il était très important d’inviter les jeunes gens à participer, chacun à son niveau, avec ses compétences, au débat public. Dire et nommer les choses, c’est bien le sens du dessin de presse. Mais ce dernier communique aussi la volonté de les dire et de les nommer dans le débat public. Si Charb avait quelque chose à dire aux jeunes gens c’est bien ça : votre parole doit se faire entendre. »
Mémoire et humour
Que l’esprit, l’intelligence, la sensibilité et le talent, qui sont les composantes essentielles de l’humour, puissent attirer la haine et le meurtre, voilà ce qu’on ne voudrait pas devoir envisager. Les attentats de janvier 2015 nous ont tous remis cruellement devant cette réalité. « Charb (qui dirigeait Charlie Hebdo depuis neuf ans) est mort pour nos libertés à l’âge de 47 ans. Nous, son frère, ses parents, sa famille et moi-même, nous n’y étions absolument pas préparés », précise Marika Bret.
Comment concilier une tâche mémorielle d’une telle gravité sans perdre le ton juste ? « Charb était un homme profondément drôle. Transmettre sa mémoire, c’est avant tout faire connaître ses dessins. Certes, quand on les regarde, on ne peut pas oublier la barbarie des 7, 8 et 9 janvier 2015. Mais on décèle aussi, dans ces dessins, combien Charb savait traiter ces sujets politiques graves, comme le racisme, l’antisémitisme et toute forme de haine, avec humour. Un humour propre à ouvrir ses lecteurs sur le monde et à donner à chacun la force d’un engagement citoyen. »
Charb, la caricature, l'enseignement et la République
« Cette exposition prolonge notre travail d'éducation aux médias et à l'information. En 2013, nous raconte Serge Barbet, à l'occasion des 30 ans du CLEMI (le Centre pour l'éducation aux médias et à l'information, dont il est le directeur délégué), nos équipes avaient interrogé Charb sur ses années collège. Il avait évoqué ses premiers dessins, sa participation au journal « Cause toujours » du lycée de Pontoise, la réalité d'un média scolaire, ses premiers rapports avec la censure, la frontière ténue entre rire et provocation... Sans cette expérience dès l'école, Charb ne serait sans doute pas devenu le grand caricaturiste que nous connaissons. »
Le dessin de presse occupe une place centrale auprès des acteurs du CLEMI. « Il interroge les notions-clefs, autour de la liberté d'expression. Le dessin satirique et la caricature relèvent d'une tradition républicaine très ancrée, que protège la loi sur la liberté de la presse de 1881. A l'ère numérique, apprendre à lire ce genre très codé est devenu nécessaire, car les dessins peuvent être facilement sortis de leur contexte et manipulés à des fins partisanes, comme ce fut le cas en 2015 autour des caricatures du prophète, ce qui entraîna la tragédie de l'attentat de Charlie Hebdo. »
En relation avec le CLEMI, qui est l'opérateur de référence au sein du système éducatif, les enseignants peuvent compter sur des associations comme « Cartooning for Peace » ou « Dessinez Créez Liberté » pour organiser visites d'auteurs et ateliers avec les élèves. Ils ont accès à des ressources mises à leur disposition sur l'histoire du dessin de presse et de la caricature.
Le CLEMI forme les enseignants des Premier et Second degré à l'EMI, il produit, diffuse et valorise des ressources pédagogiques, et il organise notamment la Semaine de la presse et des médias dans l’École, à laquelle participeront, du 21 au 26 mars prochain, plus de 4,5 millions d'élèves et 260 000 enseignants.
Serge Barbet rencontrera Marika Bret le 12 mars à 17h00 à l'Hôtel de Ville de Villeurbanne pour une table ronde qui promet d'être passionnante.
Partager la page