« Nous sommes tous confrontés quotidiennement à la typographie, pourtant la plupart d’entre nous n’ont pas conscience de l’importance que revêt cet outil dans la création graphique », observe d’emblée Véronique Marrier, cheffe du service design graphique du Centre national des art plastiques. La collection du Cnap de design et aux arts décoratifs se place, avec ses 9500 pièces, aux premiers rangs des collections européennes de design contemporain. La création typographique y occupe désormais une place de choix : depuis 2012, le Cnap fait l’acquisition chaque année d’un à deux caractères typographiques dont ceux de Jean-Baptiste Levée, Malou Verlomme, Émilie Rigaud, Roxane Gataud, Thomas Huot-Marchand, Natalia Chuvatin, Jonathan Perez, Kristyan Sarkis et Irène Vlachou.
Des créateurs typographiques dont la ministre de la Culture, Françoise Nyssen, a récemment souligné le « grand talent » tout en évoquant « l’importance que revêt la typographie dans la transmission des textes et des mots ». « On n’imagine pas la précision, la rigueur et le temps que cela représente », confirme Véronique Marrier. « Un set de caractères contient beaucoup plus que les 26 lettres de l’alphabet : il y a les minuscules mais aussi les capitales, les caractères accentués, les signes de ponctuation, les chiffres… Ce sont autant d’éléments à dessiner et à retoucher. L’œil et la main font l’essentiel, les logiciels sont un outil qui accompagne la création. »
Création typographique et nouvelles technologies
Le développement des technologies numériques a été un facteur d’évolution dans la création et la diffusion des caractères typographiques. « On a assisté, au cours de ces dix dernières années, à l’émergence d’une jeune génération de créateurs maniant avec brio ces nouveaux outils », explique Véronique Marrier. Ce renouveau a cependant donné lieu à un constat sans équivoque : celui de la dématérialisation de la typographie. « Installer un nouveau caractère sur son ordinateur c’est acheter une licence, cliquer, puis télécharger un fichier. Dès lors, comment conserver des traces de cette création contemporaine ? »
L’objectif du Cnap est double : préserver ce patrimoine et faire connaître le travail qui le sous-tend. Il s’attache à acquérir, en plus des caractères typographiques eux-mêmes, tous les documents relatifs à leur élaboration – dessins, croquis, travaux de recherches, planches d’impressions comprenant les annotations des créateurs... Ce fonds, ouvert aux chercheurs et aux professionnels, est également rendu accessible au grand public par le biais d’expositions. Les pièces relatives au caractère Minuscule, créé par Thomas Huot-Marchand, ont ainsi été prêtées en 2017 au Musée de l’Imprimerie et de la communication graphique de Lyon dans le cadre de l’exposition « Typo&,;:! ».
Élargir le public du design graphique
Désireux d’aller plus loin dans ce processus de valorisation, le Cnap a franchi en 2014 un nouveau cap, en commandant directement un nouveau caractère typographique, l’Infini,à une jeune créatrice, Sandrine Nugue. « Il nous a semblé que l’une des meilleures manières de faire connaître ce travail auprès d’un vaste public consistait à commander un caractère typographique qui serait mis à disposition de tous », explique Véronique Marrier. « Nous accompagnons ces commandes, nous payons les auteurs en prenant en compte le fait que nous diffusons leur typographie gratuitement, dans une perspective de transmission large et dans un but pédagogique. »
Pari réussi : l’Infini, téléchargé à de multiples reprises, a été utilisé par de nombreux graphistes partout dans le monde et a obtenu, en 2016, le prestigieux prix new-yorkais du Type Directors Club. Désireux d’inscrire ce processus de valorisation dans le temps long en renouvelant l’expérience, le Cnap a commandé, en 2017, un nouveau caractère typographique, le Faune à Alice Savoie. Officiellement lancée au ministère de la Culture le 30 janvier dernier, cette fonte est désormais téléchargeable sur le site du Cnap. « La proposition d’Alice Savoie est extrêmement créative, son italique notamment va attirer l’attention », estime Véronique Marrier. Le Faune rejoint lui aussi la collection du Cnap, qui n’a pas fini de s’enrichir. « Nous allons suivre toutes les utilisations de ce caractère en France et à l’étranger – que ce soit pour des ouvrages, des affiches, des plaquettes ou encore des sites internet – afin de garder une trace de la manière dont ce caractère est utilisé dans des projets graphiques.»
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