On croyait tout savoir de Jean Dubuffet (1901-1985), l’un des rares artistes français de la seconde moitié du XXe siècle à avoir atteint durablement les sommets d’une renommée internationale : la découverte de l’art brut, qui bouleversera ses créations, l’Hourloupe, les éblouissantes séries des « Psycho-sites », « Mires » et « Non-lieux », pour ne citer que quelques repères d’un parcours intransigeant et radical. Pourtant, les liens entre l’artiste prolifique et l’Auvergne, qui sont loin d’être anecdotiques, n’avaient, jusqu’à présent, jamais été mis en avant.
A partir du 8 juillet, ce sera chose faite, grâce à l’exposition labellisée d’intérêt national que lui consacre le musée d'art Roger-Quilliot, à Clermont-Ferrand : « Sur les pas de Jean Dubuffet en Auvergne ». Cet événement, qui s’annonce passionnant, entreprend de documenter un pan entier de la vie et de l’œuvre de Dubuffet sur la terre des volcans. Pauline Goutain, commissaire de l’exposition et directrice adjointe du musée d'art Roger-Quilliot, à Clermont-Ferrand, revient sur l’importance pour un musée en région du label « exposition d’intérêt national » décerné par le ministère de la Culture.
Les liens entre Dubuffet et l'Auvergne n’avaient, jusqu’à présent, jamais été mis en avant
Comment est né ce projet d’exposition autour de Jean Dubuffet ?
Si Jean Dubuffet est un artiste reconnu, son lien avec l’Auvergne n’avait jusqu’à présent jamais été mis en avant. Il y avait en quelque sorte une coïncidence entre l’objectif du label « exposition d’intérêt national », qui est de montrer des initiatives singulières lancées dans les territoires, et notre rôle en tant que musée de région qui est aussi de mettre en avant le patrimoine de la région. Notre projet scientifique et culturel est centré sur cet axe, nos collections, qui mettent en avant les artistes qui sont passés par la région, en sont le reflet.
Pour cette raison, nous avons sollicité le label, même si le musée Bargoin, un des musées métropolitains de Clermont-Ferrand, l’avait obtenu l’an passé avec une exposition célébrant une archéologue. Le rapprochement des dates ne nous a pas effrayés, au contraire. Autre fait important, la ville de Clermont-Ferrand s’est engagée depuis plusieurs années dans démarche pour devenir capitale européenne de la Culture. Dans ce cadre, il nous a semblé que la mise en avant des liens entre le territoire et un artiste de stature internationale comme Dubuffet pouvait être particulièrement significative.
Quelles sont les actions en direction des publics qui accompagnent l’exposition ?
Une exposition Jean Dubuffet a eu lieu au MUCEM à Marseille en 2019. Dans ce contexte, des modules de médiation dédiés aux 6-12 ans, appelés « la petite fabrique », ont été réalisés. Ils sont en location, transportables, et ont eu leur propre vie après l’exposition. Nous les avons fait venir à Clermont-Ferrand. C’est un peu une exposition dans l’exposition. À la différence de ce qui se passe habituellement, cet espace de médiation se trouve en amont de l’exposition. Cet espace invite les enfants à appréhender par le jeu les œuvres et le contenu scientifique de l’exposition. Dans les ateliers de médiation que nous organisons autour de l’art brut, nous avons aussi un partenariat avec une association qui travaille avec des personnes qui ont des problèmes de santé mentale. Toutes ces actions ont pu être financées grâce à l’appui du ministère de la Culture.
Que pourra-t-on voir dans l’exposition ?
Pour présenter le lien entre Dubuffet et l’Auvergne, nous avons conçu quatre sections. Les trois premières mettent en avant les œuvres que le territoire a pu lui inspirer et les amitiés qu’il y a tissées, la quatrième est spécifiquement consacrée au lien entre l’art brut et la région. L’exposition commence en 1945 avec un des premiers séjours de Dubuffet en Auvergne. Il s’arrête à Saint-Gènes-la-Tourette, près d’Issoire, où Jean Paulhan, qui ne dirigeait pas encore la NRF, et son galeriste, passent leurs étés. Dubuffet y fait deux escales et rencontre Henri Pourrat, proche de Paulhan. Des recherches à la bibliothèque du patrimoine de Clermont-Ferrand nous ont appris qu’ils avaient échangé des correspondances jusqu’à la mort d’Henri Pourrat en 1959. Il rencontre également Philippe Kaeppelin, graveur et sculpteur, qui avait l’habitude d’illustrer les ouvrages d’Henri Pourrat et d’Alexandre Vialatte. De nouveau, il s’agit d’une amitié qui n’avait pas été mise en valeur. Par le biais des ayants droits, nous avons pu retrouver de nouvelles lettres. Autre date clé : 1947, quand il rencontre Alexandre Vialatte. Cette amitié est illustrée dans la troisième section autour des fameuses chroniques que l’écrivain donnait à La Montagne. Alexandre Vialatte est en effet embauché au journal en 1952 et va très vite parler de Dubuffet dans ses chroniques.
A côté de ces amitiés, il y a aussi une importante activité créatrice…
La deuxième section est consacrée au séjour que Dubuffet fait en Auvergne en 1954-1955, à Durtol précisément, à la périphérie de Clermont-Ferrand, où sa femme se faisait soigner pour des problèmes pulmonaires. Il fait alors une série sur les vaches, sujet déjà présent dans son œuvre à l’époque, mais les vaches de 1954 sont une série importante. C’est aussi à cette époque qu’il va collecter de la poudre de lave, des scories venant des volcans, des matériaux qu’il intègre aux Petites statues de la vie précaire. La dernière section est consacrée aux œuvres d’art brut que Dubuffet a collectionnées dès 1945, parmi lesquelles les fameux Barbus Müller. Jusqu’à 2017, on ne savait pas à qui les attribuer. Un chercheur indépendant, Bruno Montpied, a pu localiser ces œuvres à Chambon-sur-Lac, un petit village dans la montagne à quarante minutes de Clermont-Ferrand. Depuis, le village ne cesse de mettre à l’honneur Jean Dubuffet. L’exposition montre un ensemble significatif d’œuvres et relaye ces initiatives.
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