Conrad Meit, grand sculpteur allemand, réalise entre 1527 et 1531 une monumentale Pietà en albâtre. C’est l’aumônier de Marguerite d’Autriche et abbé de saint-Vincent de Besançon, Antoine de Montcut, qui la commande à l’artiste. Réalisée à Brou, cette Pietà est présente à Besançon depuis sa réalisation au XVIe siècle.
Après une importante restauration, ce chef-d’œuvre du « Michel-Ange allemand » et de son atelier revient pour la première fois sur le lieu de sa création, près de cinq siècles plus tard ! Un prêt exceptionnel qui offre une occasion unique de découvrir cette Pietà aux côtés des tombeaux de Brou, réalisés par le même artiste.

La Pietà de Conrad Meit

Pietà de Conrad Meit au monastère royal de Brou

La Pietà, exposée aujourd’hui au monastère royal de Brou, a été sculptée entre 1527 et 1531 par Conrad Meit. L’artiste, qui travaillait alors au monastère de Brou, a réalisé cette œuvre monumentale (175 cm de haut et 139 cm de large) destinée à l’église abbatiale Saint-Vincent à Besançon. Elle est classée au titre des monuments historiques depuis 1875.

Une œuvre réalisée sur le chantier du monastère royal de Brou

La Pietà est mentionnée pour la première fois dans le testament de l’aumônier de Marguerite d’Autriche, Antoine de Montcut. Il le fait rédiger sur le chantier de Brou en juin 1532, avant sa mort et son inhumation dans sa chapelle à Brou. Dans ce document, on apprend que l’œuvre doit rejoindre l’église de Saint-Vincent de Besançon, dont Antoine de Montcut est abbé. Elle se trouvait donc à Brou en 1532. Toutefois, il n’est pas possible de dater précisément la réalisation de l’œuvre.
Sculptant l’albâtre pour le décor de Brou à partir d’avril 1526 avec ses assistants, Meit attend ensuite l’arrivée du marbre pour les gisants des tombeaux de Marguerite d’Autriche et Philibert de Savoie. Il arrive en août 1528, soit deux ans plus tard. Est-ce en attendant le précieux matériau qu’il aurait trouvé le temps d’œuvrer à la commande d’Antoine de Montcut ? À moins qu’il ne l’ait commencée après l’achèvement des tombeaux de Brou en août 1531, avant de partir pour Lons-le-Saunier ?

Une œuvre de son temps

Le thème des Douleurs de la Vierge se développe en Europe du Nord à la fin du Moyen Âge. La Vierge de pitié, ou Pietà, représentant Marie pleurant son fils mort, évoque un deuil aussi intemporel qu’universel. À Saint-Pierre de Rome au début du XVIe siècle, Michel-Ange donne ses lettres de noblesse au sujet, qui se diffuse dès lors en Italie. S’appuyant sur des sources italiennes, Conrad Meit en donne sa sublime version.
Exprimant le chagrin du deuil à une échelle monumentale, la Vierge de pitié montre la douleur de Marie. Pleurant sur le corps de son fils mort, elle le soutient avec peine pour en dévoiler le corps souffrant. À ses côtés, un ange mélancolique agenouillé, au physique juvénile et idéalisé, porte la main droite du Christ marquée par la croix.
Cette composition pathétique s’inspire d’une peinture perdue d’Andrea del Sarto. Le sculpteur a pu la connaître par l’intermédiaire d’une gravure d’Agostino Veneziano, publiée en 1516, ou d’une copie peinte.
L’œuvre présente plusieurs zones probablement inachevées : socle en pierre, chevelures. On ignore toutefois pour quelle raison Meit aurait laissé sa sculpture inachevée.

Une œuvre en albâtre

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La Pietà et les statues de Brou réalisées par Conrad Meit sont en albâtre de la carrière de Saint-Lothain. Très blanc et parcouru de quelques veines d’argile grise, cet albâtre évoque le corps et la peau humaine. Attendri par l’humidité durant la taille, il rend possible les ciselures très fines des architectures flamboyantes que l’on retrouve dans l’église de Brou.
Le choix de l'albâtre de Saint-Lothain se fonde sur sa propre caractéristique : sa blancheur. Mais il est aussi choisi pour sa valeur symbolique. Utilisé par les illustres ancêtres de Marguerite d’Autriche, les ducs de Bourgogne, ce choix lui permet une fois de plus de revendiquer son héritage bourguignon. Il présente aussi l'avantage de se trouver en Franche-Comté, dont la princesse est souveraine, et à seulement deux jours de transport du chantier de Brou. Toute la petite statuaire, l’architecture des tombeaux et le parement mural de la chapelle de Marguerite à Brou sont ainsi réalisés dans ce matériau précieux entre 1512 et 1531. Une fois la carrière remise en service grâce au chantier de Brou, d’autres commanditaires comtois recourent à leur tour à l’albâtre jurassien.

Conrad Meit, « Michel-Ange allemand »

Originaire de Worms, Conrad Meit est de 1514 à 1530 le sculpteur attitré de Marguerite d’Autriche, alors régente des Pays-Bas. Il avait précédemment travaillé à la cour de Frédéric III le Sage à Wittenberg, auprès du peintre Lucas Cranach l’Ancien. Renouvelant les sujets, il crée des statuettes d’une grande finesse et développe un intérêt pour le nu, caractéristique de la Renaissance. Mais il répond aussi à des commandes monumentales. Vers 1520, l’artiste sculpte pour Marguerite d’Autriche une Vierge de Pitié destinée au couvent brugeois des Annonciades, aujourd’hui disparue. La princesse lui confie cinq ans plus tard la réalisation des gisants et putti (figure d'enfant joufflu, potelé et ailé inspiré de l'Antiquité) de Brou. Il les façonne entre 1526 et 1531 avec son frère Thomas et deux assistants italiens.
Après la fin du chantier du monastère en 1532, Meit œuvre pour l’épouse du gouverneur du comté de Bourgogne, Philiberte de Luxembourg. Aux côtés de Mariotto, compatriote florentin de Michel-Ange, il exécute deux tombeaux dans l’église des Cordeliers de Lons-le-Saunier, hélas non conservés. Meit s’installe ensuite à Anvers, où il finit sa carrière en 1550 ou 1551.

Retour sur une restauration d’envergure

Détail de la restauration de la Pietà de Conrad Meit

Afin de mieux connaître l’objet et de traiter ses altérations importantes de surface et de structure, la DRAC de Bourgogne-Franche-Comté a engagé à partir de 2019 un ambitieux programme d’étude et de diagnostic (2020-2021) puis de restauration (2022). La restauration a été menée jusqu’au début de l’année 2023 dans l’atelier de Jennifer Vatelot à Lyon, par un groupement de six restaurateurs dirigé par Fanny Grué. Après étude, les interventions ont consisté en un nettoyage délicat, des comblements et un important travail structurel, qui a permis de retrouver la position d’origine du groupe, en particulier la position de l’ange par rapport à la Vierge et au Christ, qui avait été modifiée.

Pour mener cette restauration, la DRAC de Bourgogne-Franche-Comté s’est appuyée en amont sur l’expertise d’un comité scientifique international. Il réunit les musées de Besançon, du Louvre et de Munich, les Universités de Franche-Comté et d’Heidelberg, le laboratoire de recherche des monuments historiques (LRMH) et le Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMH).

Ce comité s’est appuyé sur un programme de recherches interdisciplinaire mené depuis 2012 sur les albâtres. Il associe le département des Sculptures du musée Louvre, le Laboratoire de recherche des Monuments historiques, le Bureau des recherches géologiques et minières et le Centre interdisciplinaire de conservation et de restauration du Patrimoine. Les recherches ont permis de prélever des échantillons dans les carrières ou anciennes carrières et sur les œuvres, et de confronter leur analyse géochimique aux sources historiques. C’est ainsi que trois approvisionnements ont pu être identifiés pour Brou : lesquels ? Seul le dernier type d’albâtre, correspondant à la phase d’intervention de Conrad Meit, se retrouve ailleurs qu’à Brou.

Le projet s’est enrichi d’une étude d’archéologie du bâti dans la chapelle primitive du groupe sculpté, située dans l’ancienne abbaye bénédictine Saint-Vincent de Besançon. Malheureusement l’emplacement originel de l’œuvre n’a pas pu être identifié.

Ouvrage sur la Pietà de Conrad Meit

Un ouvrage de 104 pages richement illustré est publié par la DRAC de Bourgogne-Franche-Comté et les éditions Snoeck, sous la direction de Matthieu Fantoni. Prix public : 15 euros.
Il comprend 10 essais retraçant l’ensemble des recherches menées dans le cadre de cette restauration.

Une présentation inédite au monastère royal de Brou

Avant son retour à la cathédrale de Besançon, la Pietà restaurée est exposée au monastère royal de Brou, du 18 mars au 15 octobre 2023. C’est une occasion unique de réunir la Pietà avec ses cousines les sculptures des tombeaux de Brou, réalisées par le même artiste.
L’œuvre est présentée dans l’abside du chœur de l’église, au plus près des tombeaux. Pour accompagner les visiteurs dans leur découverte de l’histoire et de la restauration du groupe sculpté, une vidéo et des supports pédagogiques seront installés dans la chapelle d’Antoine de Montcut, commanditaire de la Pietà et située au début du parcours de visite de l’église de Brou. Les récents travaux de recherches pluridisciplinaires conduits sur l’albâtre de Saint-Lothain (Jura) évoqueront, grâce à une vitrine d’échantillons, l’importance de ce matériau prestigieux et le rayonnement du chantier de Brou en Franche-Comté.
L’œuvre sera valorisée lors des visites guidées de l’église de Brou qui ont lieu chaque jour. Une visite-conférence sur la Pietà et sur l’œuvre de Conrad Meit sera proposée le vendredi 6 octobre 2023, à l'occasion de la célébration du jumelage de Bad-Kreuznach.