Entreprendre un dessin animé, c’est entamer une démarche au long cours. Le cycle complet d’un film d’animation, de l’idée initiale jusqu’à sa diffusion, demande généralement cinq à sept ans. Toutes les ressources qui sont mises en œuvre – et notamment les moyens humains, qui représentent une centaine de personnes au générique – ont un coût énergétique et un impact carbone conséquents, pendant toute la période.
Le studio Ooolala (voir encadré), qui actuellement produit, entre autres, une série sur les romans de Jean-Claude Mourlevat (La Rivière à l’envers), est l’un des pionniers de la profession en matière d’éco-responsabilité. Grâce à Alternatives vertes, il a publié en 2023 le tout premier bilan carbone complet d’un studio d’animation. Un ensemble de chiffres dont la profession a un besoin criant pour éclairer ses arbitrages.
Il s’avère cependant que l’impact des déplacements et des repas des salariés, pour une société dont les équipements avaient, dès le départ, été réfléchis dans une optique éco-responsable, sont au moins aussi importants à considérer. Ce qui signifie l’engagement tout entier de l’équipe du studio sur le respect des bonnes pratiques et, plus encore, un effort de communication interne de l’entreprise pour expliquer et faire agréer à chacun son projet.
« Le projet écooo, c’est définir une manière de produire des dessins animés qui soit la plus éco-responsable possible, et, concrètement, dont l’impact carbone soit le plus bas possible, puisque c’est là le mode de calcul qui est devenu aujourd’hui universel. Ce projet a aussi pour objectif d’aider toute la filière, qui est en retard sur ce plan-là, à définir ce que l’éco-responsabilité doit signifier pour elle », nous explique Jean-Baptiste Wery, son directeur.
Comprendre ce qui se passe dans les ordinateurs
Le projet écooo, c’est d’abord l’installation de « sondes » dans toutes les installations du studio. « Physiquement, cela ressemble à des multiprises immenses, qu’on appelle des PDU (Unités de distribution d’énergie). Grâce à elles, on mesure, avec une précision très fine, toutes les cinq secondes, ce que chaque logiciel va chercher comme ressources énergétiques. On rassemble ensuite toutes ces données et on en dégage les tendances qui constituent nos informations de base. On arrive à savoir quel type d’ordinateur consomme plus qu’un autre, quel logiciel, à quels moments. L’idée c’est d’obtenir un coût carbone précis pour chaque plan d’un dessin animé produit par le studio.
« Il faut savoir qu’il y a trois ou quatre ans, poursuit Jean-Baptiste Wery, on ne disposait d’absolument aucune donnée. Or, le préalable indispensable est de comprendre ce qui se passe dans nos ordinateurs ! Nous n’avons publié le tout premier bilan carbone d’un studio d’animation qu’en ce début d’année 2023 (il n’y en avait eu aucun jusqu’ici, où que ce soit dans le monde) ! On a donc là les tout premiers chiffres. Tout le monde en cherche, à vrai dire, car comment mettre sur pieds le moindre guide des bonnes pratiques sans chiffres ? La profession entière est en pleine période de défrichage – et c’est passionnant. »
Une bonne nouvelle cependant : Ooolala produit de l’animation 2D, genre plus vertueux du côté de l’impact carbone, les chiffres le confirment. « On a cette chance. L’animation 3D, en revanche, c’est plus de puissance, plus de climatisation, de ressources informatiques, de temps de moteurs qui doivent tourner et c’est des ordinateurs plus fournis en métaux rares. » De plus, la société avait déjà pris soin de se doter des ordinateurs parmi les moins gourmands du marché, dans leur fabrication comme dans leur consommation (et de prévoir leur destin auprès d’une ressourcerie verte).
Comprendre les effets de nos usages au quotidien
Quand les informations sont fiables, on peut entrer dans le détail des pratiques professionnelles, pour les repenser et placer les efforts de chacun au bon endroit, en connaissance de cause. La masse des données permet de monter des scénarios alternatifs, et surtout de les simuler avant de décider de les mettre ou non en œuvre. « Par exemple, nous savons désormais que malgré tous les efforts du monde, la plupart de nos ordinateurs restent allumés le week-end et qu’ils consomment environ 50% de la consommation journalière en semaine. Nous pouvons donc faire le scénario et étudier les effets d’un nouvel outil qui éteindrait automatiquement les machines le week-end. »
Mais le plus étonnant, au fond, c’est que le bilan montre que les marges de progrès, pour faire baisser l’impact carbone du studio, ne sont pas tout à fait où l’on pouvait les attendre. « En réalité, nous explique Jean-Baptiste Wery, nos équipements et nos bâtiments s’avèrent relativement bien optimisés. Mais là où notre impact carbone est massif, c’est du côté… de nos salariés ! » Ceux-ci en effet représentent 68% des émissions du studio, que se partagent par moitié le transport et le mode d’alimentation (car les repas font partie du calcul).
Donner envie aux salariés de s’engager
« Au sein d’Ooolala, on a tous envie d’agir. Les enseignements récents vont donc nous conduire cette année à orienter notre approche un peu plus vers la RSE (Responsabilité sociale des entreprises) : encourager la mobilité durable, et pas seulement par des mesures économiques, mais aussi, là encore, organiser une collecte d’informations plus précise et sensibiliser beaucoup plus les membres de nos équipes à cet engagement. »
Le sujet est vraiment complexe, très technique, souvent abstrait. Pour s’engager, il faut saisir le sens de son effort. Consentir à se plier à certaines contraintes exige de savoir pourquoi et d’en percevoir les effets positifs. D’où le rapprochement d’Ooolala avec l’association la Cartouch’Verte, située elle aussi à Valence, dans le même bâtiment, pour des actions mutualisées, dont notamment, à paraître prochainement, un guide des bonnes pratiques qui devrait intéresser, à plus d’un titre, l’ensemble de la filière de l’animation.
« Il faut comprendre aussi qu’il y a toute chance pour que l’impact carbone, d’ici quatre à cinq ans, devienne aussi un argument commercial non-négligeable. Comme il y aura un taux de CO2 inscrit sur les étiquettes des biens de consommation, on vendra des prestations de dessins animés plus ou moins écologiques… »
Ooolala, une société de production qui a fait de la vigilance son maître-mot
« Ooolala » est une société de production et de distribution de dessins animés domiciliée à Paris. Son logo fait comprendre ces trois « o » : ils représentent des yeux en éveil, « car on s’adresse à la jeunesse et qu’on est très vigilant à ce qu’on transmet aux enfants, conscient de la part que nous prenons à leur éducation à l’image et notamment l’image animée », précise Jean-Baptiste Wery.
Le « cœur du réacteur » d’Ooolala est un studio d’animation à Valence, installé dans la Cartoucherie, une ancienne usine et désormais un Pôle de l’image animée, qui regroupe une dizaine d’écoles et de studios d’animation. C’est là qu’Ooolala met en œuvre son projet, baptisé du triple o, bien sûr : « écooo », soutenu par « Alternatives vertes ».
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