1874 – Première exposition
La première exposition du groupe a lieu du 15 avril au 15 mai 1874, 35 boulevard des Capucines, dans les anciens ateliers du photographe Nadar.
Les anciens ateliers Nadar
La première exposition du groupe a lieu du 15 avril au 15 mai 1874, 35 boulevard des Capucines, dans les anciens ateliers du photographe Nadar. Le montant de la location des anciens ateliers Nadar s’élève à 2 020 francs (état financier de la Société, 27 mai 1874).
Les participants
Duret, qui a été témoin de l’aventure, énonce le principe pragmatique qui préside à l’organisation de la première exposition : « C’était une tentative hardie que celle de tenir une exposition particulière, elle entraînait des frais relativement considérables, qu’ils désiraient faire partager. Pour attirer un nombre suffisant de visiteurs et avoir plus de chances d’obtenir l’attention de la presse, ils sentaient bien qu’il fallait élargir le cercle et s’unir à des artistes déjà plus ou moins connus, ayant, comme point de ressemblance avec eux, l’indépendance d’esprit et la liberté de l’esthétique » (Duret, « Histoire des peintres impressionnistes », 1919, p. 13-14).
Le groupe d’exposants résulte des différents réseaux relationnels. Degas espère jusqu’au dernier moment la participation de Manet. Celui-ci se récuse : « le Salon est le vrai terrain de lutte. C’est là qu’il faut se mesurer » (A. Proust, p. 43).
Ces participants sont : Zacharie Astruc, Antoine-Ferdinand Attendu, Edouard Béliard, Eugène Boudin, Félix Bracquemond, Edouard Brandon, Pierre-Isidore Bureau, Adolphe Félix Cals, Paul Cezanne, Gustave Colin, Louis Debras, Edgar Degas, Armand Guillaumin, Louis Latouche, Ludovic-Napoléon Lepic, Stanislas Lépine, Jean-Baptiste Levert, Alfred Meyer, Auguste de Molins, Claude Monet, Berthe Morisot, Giuseppe de Nittis, Auguste Louis Marie Ottin, Léon Auguste Ottin, Camille Pissarro, Pierre Auguste Renoir, Stanislas Henri Rouart, Léopold Robert, Alfred Sisley, comtesse de Luchaire.
Une exposition soigneusement préparée
Le boulevard des Capucines est « un des points les plus passagers de Paris » (Philippe Burty, « La République française », 24 avril).
Les espaces sont constitués de « sept ou huit salles » (Ernest d’Hervilly, « Le Rappel », 17 avril 1874), en deux étages (Léon de Lora, « Le Gaulois », 18 avril 1874). Les lieux ont été « admirablement agencés pour une exhibition de ce genre » (« Le Gaulois »). les pièces sont « excellemment décorées et éclairées » (Ernest d’Hervilly, « Le Rappel », 17 avril 1874). Les murs sont « tendus de laine-brun rouge […] extrêmement favorables à la peinture » (Burty, « La République française », 24 avril 1874). Les frais d’éclairage s’élèveront à 983,70 francs et ceux de tapissiers à 3°341 francs. Alors qu’au Salon les œuvres sont entassées jusqu’au plafond et souvent difficilement visibles, ici, les ouvrages sont « exposés dans un excellent jour et placés seulement sur un ou deux rangs, ce qui facilite les appréciations des connaisseurs » (« Le Gaulois »). Un critique mentionne « des cadres ruisselants d’or » (« Le Soir », 15 avril 1874).
Une affiche annonce l’exposition et un catalogue est imprimé (coût 742 francs). Le catalogue est vendu 50 centimes. Sa vente rapportera 161 francs (soit 322 exemplaires vendus).
Les organisateurs font également appel à des sergents de ville, payés 141 francs, et dont la présence donne une dimension très officielle à l’événement.
Les œuvres
L’exposition présente 165 œuvres°: dix œuvres pour B. Morisot et Degas, neuf pour Monet, sept pour Renoir. Les exposants ont aussi la possibilité de présenter dessins, pastels, estampes. Grâce à Bracquemond, et dans une moindre mesure à Lepic, l’estampe occupe une place de choix dans cette exposition.
« C’est le sort qui décide du placement, les œuvres étant préalablement groupées par dimension » (Philippe Burty, « La République française », 24 avril 1874). Le catalogue annonce : « Une fois les ouvrages rangés par grandeur, le sort décidera de leur placement (Extrait du règlement d’exposition »). Néanmoins, l’accrochage est assuré par Renoir : « Renoir fit partie de la « Commission » chargée de placer les tableaux. C'était une besogne difficile et fatigante ; au bout de deux jours, il resta à peu près seul pour remplir cette tâche délicate. Inutile de dire que, malgré l'impartialité qu'il apporta dans la répartition de la cimaise entre les exposants, il ne réussit pas à contenter tout le monde. Pissarro, notamment, toujours imbu de ses théories égalitaires, eût voulu qu'on procédât par un tirage au sort ou par un vote pour déterminer la place de chaque toile ; c'était pour lui affaire de principe » (Rivière, « Renoir », p. 46).
Œuvres de l’exposition dans les collections publiques (d’après les travaux de Berson et Moffett)
Astruc : « Intérieur Parisien ».
Bracquemond (Félix) : « M. Robert » (Louis Robert, administrateur de la manufacture nationale de porcelaine de Sèvres), « Meyer Heine », « Hoschedé », « Edwards », « Aug. Comte » d’après Guichard, « Ch. Kean » [sic], « A. Legros », « Meryon », « Baudelaire », « Th. Gautier » d’après Nadar, « Th. Gautier (le Tombeau) », « Madame Granger » d’après Ingres, « La Locomotive » d’après Turner, « Le Lièvre » d’après Balleroy, « Le Divan » d’après Manet, « Le Tournoi » d’après Rubens, « La Source » d’après Ingres, « La Servante » d’après Ley, « Les Saules », « Les Arbres de la manufacture à Sèvres », « Les Bouleaux », « Le Mur », « Les Bachots », « Le Chemin du parc », « Frontispice pour les Fleurs du mal », « Margot la critique », « Bois de Boulogne », « La Mort de Matamore », « Portrait d’Erasme » d’après Holbein.
Bureau : « Bords de l’Oise (Isle-Adam), Clair de Lune ».
Cezanne : « La Maison du pendu, à Auvers-sur-Oise », « Une moderne Olympia », « Étude : Paysage à Auvers » (peut-être le tableau aujourd'hui conservé au Philadelphia Museum of Art ?).
Colin : « Entrée du port de Pasajes (Espagne) » (peut-être le tableau conservé au Palais des beaux-arts de Lille ?).
Degas : « Classe de danse », « Aux courses en province », « Répétition de ballet ».
Guillaumin : « Temps Pluvieux », « Soleil couchant à Ivry ».
Lepic : « César », « Jupiter ».
Monet : « Coquelicots », « Boulevard des Capucines », « Impression, soleil levant », « Le Déjeuner » (tableau dont Bazille avait exécuté un croquis).
Morisot : « Le Berceau », « La Lecture » (deux œuvres de ce titre, l’une à la National Gallery de Washington, l’autre au Cleveland Museum of Art), « Marine », « Sur la falaise », « Dans le bois ».
Pissarro : « Le Verger », « Gelée Blanche », « Jardin de la ville de Pontoise » et « Une Matinée du mois de juin ».
Renoir : « Danseuse », « La Loge », « Parisienne », « Fleurs ».
Sisley : « Ile de la Loge », « L’automne, bords de la Seine près de Bougival » (hors catalogue, mais assez précisément décrit par Mendès dans son article du 20 avril 1874 dans « Le Rappel »)
Concurrence
Les impressionnistes doivent faire face à la concurrence : « Sans compter la grande exposition des Champs-Élysées […] j’aurais pu vous conduire à l’exposition de la Société des Amis des Arts de Paris, une société récemment fondée, et à laquelle M. Durand-Ruel prête ses beaux salons de la rue Le Peletier ; à l’exposition de la Société anonyme des artistes peintres, sculpteurs et graveurs, qui vient de s’installer boulevard des Capucines ; à l’exposition des œuvres de Chintreuil, à l’École des Beaux-Arts ; à l’exposition des Alsaciens-Lorrains […] J’oubliais l’Hôtel des Ventes qui nous aurait offert, en prodigue qu’il est, trois ou quatre expositions à lui tout seul » (Gérôme, « L’Univers illustré », 9 mai 1874). À tel point que « L’Opinion nationale » du 2 mai annonce : « Ce sera dans quelques jours à Paris la fête générale de la peinture ».
Réception
Début mai, Pissarro écrit : « Notre exposition va bien, c’est un succès » (à Duret, 5 mai, Bailly-Herzberg, 1, p. 94). Le succès annoncé par Pissarro est, en réalité, mitigé. « Le nombre de visiteurs fut relativement considérable et la notoriété fort accrue qu’acquirent en particulier les peintres de la nouvelle peinture, dut les satisfaire. Mais d’ailleurs ce furent une notoriété et un renom désastreux. Le public ne vit en eux que des artistes dévoyés, ignorants, présomptueux, ne peignant que des choses informes » (Duret, 1919, p. 14). Le 26 avril, Latouche écrit au docteur Gachet : « Aujourd’hui dimanche, je suis de service à notre exposition. Je garde votre Cezanne. Je ne réponds pas de son existence ; je crains qu’il ne vous retourne crevé » (Rewald, 1, p. 371). Le Cezanne en question est « Une Moderne Olympia » qui catalyse la colère des visiteurs.
Selon Charles Darcours, les impressionnistes « essaient d’instituer ce qu’on pourrait appeler un dock de la peinture, où leurs œuvres seraient achetées directement par le public et sans passer par l’intermédiaire des marchands de tableaux » (« Le Journal illustré », 24 mai 1874). Lepelletier constate : « C’est uniquement la substitution de l’artiste lui-même à l’intermédiaire du marchand de tableaux, le peintre entrant en relations directes avec l’amateur, - le poète s’éditant lui-même » (« Le Patriote français », 19 avril 1874).
Dès le 5 mai 1874, Pissarro déplore : « La critique nous abîme et nous accuse de ne pas étudier, je retourne à mes études, cela vaut mieux que de lire, on n’apprend rien avec eux » (à Duret, Bailly-Herzberg, 1, p. 94). La teneur des articles de presse est variable. Si la majorité des critiques salue l’initiative des peintres, leurs tableaux ne sont globalement pas du tout appréciés. Un chroniqueur évoque un « mauvais plaisant qui s’est amusé à tremper ses pinceaux dans la couleur, à barbouiller par mal de mètres de toile et à les signer de noms différents » (« La Patrie », 12 avril 1874). Dans un article du journal satirique « Le Charivari », du 25 avril 1874, le médiocre graveur et critique Louis Leroy forge par dérision le mot impressionniste, à partir de titre d’un tableau de Monet, « Impression, soleil levant ».
Bilan
Ernest Chesneau annonce : « On nous dit qu’une nouvelle exposition, du même groupe, aura lieu à l’automne » (« Paris-Journal », 7 mai 1874). Il n’en sera rien. La première exposition impressionniste s’avère globalement déficitaire. Trente-cinq artistes ont payé ou se sont engagés à payer une cotisation de 61,25 francs (60 francs pour la souscription d’une action, et peut-être 1,25 franc pour l’entrée à l’exposition et le catalogue). De Nittis n’a payé que 60,25 francs. Beaume, Feyen-Perrin, Gilbert, Guyot, Mettling ont payé mais n’ont pas exposé. Grandhomme s’est engagé pour l’année suivante. Bracquemond, bien qu’il ait exposé, n’apparaît pas sur la liste. Boudin, Degas et B. Morisot n’ont rien vendu. Compte tenu des frais engagés, cet échec s’avère catastrophique pour un artiste dénué de fortune, tel que Boudin. Les membres de la Société nouvelle se réunissent en assemblée générale le 17 décembre. Béliard, Bureau, Cals, Colin, De Molins, Degas, Latouche, Monet, Ottin, Renoir, Robert, Rouart, Sisley, sont présents. Pissarro, en voyage, et Brandon, malade, sont excusés. Les membres décident la liquidation de la société, à l’unanimité.
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