Avec son exposition J'ai tué le papillon dans mon oreille, l’artiste Minia Biabiany déplace la préoccupation environnementale au-delà de l’Occident, dans le monde caribéen. Le cadre poétique et évanescent de son travail nous amène à prendre conscience d’un impensé de notre histoire coloniale française qui perdure dans une sourde et pernicieuse violence. Minia Biabiany développe un dialogue entre le lieu d’exposition et l’installation méticuleuse d’objets qu’elle dispose sur place. Elle réalise ses pièces à partir d'éléments pauvres ou issus de pratiques vernaculaires. Ici, elle invite le visiteur à une traversée sonore et physique vers un ailleurs qui nous concerne, celui de son archipel : la Caraïbe. Minia Biabiany est née en Guadeloupe en 1988. Elle vit et travaille à Mexico (Mexique) et à Saint-Claude (Guadeloupe).
Minia Biabiany, J'ai tué le papillon dans mon oreille
Minia Biabiany tisse des liens entre toutes ses installations. La fin de l’une est le début de l’autre tel un cadavre exquis. Sa dernière vidéo, Toli Toli (2018), s’achève sur cette phrase : « Les papillons provoquent la cécité quand ils soufflent dans vos oreilles ». J’ai tué le papillon dans mon oreille prend ensuite comme origine un état d’aveuglement. L’incapacité à voir ce qui est là glisse imperceptiblement vers le constat d’une connaissance perdue de sa propre terre, conséquence d’un contexte marqué par une politique d’assimilation dans la durée, par des forces en présence qui cultivent l’oubli dans le contexte d'une déconnexion avec l’environnement. L’exposition de Minia Biabiany amène à sentir et penser autrement, à percevoir de nouveau les souffles et à ranimer les récits enfouis. Pouvoir voir et penser. Penser et sentir.
Vue de l’exposition J’ai tué le papillon dans mon oreille de Minia Biabiany, vendredi 31 janvier 2020, au MAGASIN des
horizons. © Camille Olivieri.
Volontairement organiques, ses installations associent des paroles et des sons de ralliement de conques de lambis, dont la répétition nous entraîne tel un refrain. Portés par le vent, ces mots, images, sons deviennent la voix de récits en mouvement. Dans sa vidéo Pawol sé van, Minia Biabiany détourne l’expression créole “pawol sé van” - les mots n’ont pas de valeur - et en prend le contre-pied. Le récit entendu ici est à la première personne du singulier – je - dans une volonté de reconnecter l’humain à son environnement, à la terre.
L’artiste insinue consciencieusement l’impensé de notre histoire coloniale française dans chaque amoncellement de matériaux, des feuilles de bananiers aux brins de bambou, aux conques de lambis tranchées. Sans effectuer une dénonciation spectaculaire de l’héritage de l’esclavage, de la colonisation et de la pollution endémique de son territoire ultra-marin, Minia Biabiany tisse subtilement les liens coloniaux qui subsistent et continuent de tuer. Sentir et penser sont les deux actes d’une même méthode adoptée par l’artiste pour nous aider à prendre conscience que l’écologie ne peut évacuer la question de la décolonisation.
Reste à s’embarquer dans l’avenir de l’écologie-monde !
El Mar de El Mar de Cristóbal Colón Cristóbal Colón, une exposition d’Álvaro Barrios
Présentée en regard de l'exposition J'ai tué le papillon dans mon oreille de Minia Biabiany, l’exposition d’Álvaro Barrios ancre son propos dans une mer des Caraïbes défigurée.
L'artiste donne à ce territoire la dimension spatiale qui a été préalablement cartographiée et nivelée par l’homme occidental.
Exposition d'Álvaro Barrios, "El Mar de Cristóbal Colón" (La mer de Christophe Colomb), 30 janvier - 7 juin 2020, au MAGASIN des horizons. © Camille Olivier
Encrées avec du bleu au recto et du rouge vif au verso, les sérigraphies d’El Mar de Cristóbal Colón (la mer de Christophe Colon) amplifient les divisions qui quadrillent la carte marine caraïbe et évoquent le massacre des populations autochtones ainsi que l’exploitation des populations africaines réduites en esclavage. La grille du cartographe, conquérante et ordonnatrice, est explosée au plafond.
Álvaro Barrios est né en 1945 à Barranquille, en Colombie, où il vit et travaille. Il est considéré comme l’un des artistes colombiens les plus importants de sa génération.
Expositions du 2 juin au 26 juillet 2020. Le Magasin des Horizons, Centre National d’arts et de cultures, Site Bouchayer-Viallet, 8 esplanade Andry-Farcy - 38000 Grenoble. Tél. +33 (0)4 76 21 95 84 . Ouverture du mardi au vendredi de 13h à 19h, samedi et dimanche de 14h à 19h.
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