C’est une initiative pleine de promesses. Dans le droit fil de la politique du ministère de la Culture en direction des jeunes éloignés de l’offre culturelle, le chorégraphe Rachid Ouramdane, directeur de Chaillot théâtre national de la danse, revisite, sous le nom de « Chaillot colo », les colonies de vacances de notre enfance en proposant à des jeunes qui ne partent pas de s’initier à la danse lors des congés scolaires de la Toussaint. « Danser, c’est montrer la façon dont on aime et accepte de bouger devant le regard de l’autre », explique-t-il.
De fait, l’expérience de « Chaillot colo », dont la deuxième édition vient de débuter lors des congés de Toussaint 2022 dans le Val-d’Oise, en Martinique et à Angoulême, permet à des jeunes de découvrir une pratique artistique et de s’éprouver dans leur corps. C’est l’un de ses premiers objectifs. Cette opération permet également – c’est un troisième pilier « indispensable » aux yeux du chorégraphe – d’appréhender une autre dimension, celle de « la socialisation » dans un environnement singulier. Retour sur cette initiative avec Rachid Ouramdane, qui a reçu, jeudi 27 octobre à Mériel (Val d'Oise) la visite d'une invitée de choix : Rima Abdul Malak, ministre de la Culture.
Quel est le principe des Chaillot colos, quelle en est la philosophie ?
Ce dispositif, inspiré d’un projet similaire du Centre chorégraphique national de Grenoble, est une réponse au fait que certains enfants, pour des raisons économiques ou culturelles, ne partent pas en vacances. L’idée est de s’inscrire dans leur rythme de vie en leur proposant des ateliers autour du mouvement pendant les vacances. Danser, c’est montrer la façon dont on aime et accepte de bouger devant le regard de l’autre. Cela pose des questions importantes, surtout à cet âge. Essayer de permettre à ces jeunes d’aborder ce rapport à leur corps de façon épanouie est une chose que l’on pratique couramment en pédagogie de la danse. Ces colos sont une façon de se révéler à soi-même.
Autre enjeu, celui du groupe. Ces colos, ce sont de vrais espaces de socialisation. L’idée est d’éprouver encore plus la vie en communauté. Enfin, on emmène ces jeunes dans des environnements singuliers. Cette semaine, je suis dans le Val-d’Oise, à Mériel, dans un centre de loisirs prêté par la Seine-Saint-Denis. On est quasiment à la campagne, l’idée est aussi d’amener des pratiques qui vont sensibiliser les jeunes à l’écologie. Par le passé, j’ai fait des colos dans des milieux urbains, c’est alors un autre type d’attention, à l’architecture, au patrimoine, qui est sollicité.
En quoi ce projet fait-il sens à Chaillot ?
Il n’y a qu’un seul Théâtre national de la danse sur tout le territoire, c’est Chaillot. Le théâtre a la responsabilité de faire converger toutes les formes de danse, qu’elles soient professionnelles ou amateurs. Je vois tous les jours des gens danser sur le parvis du Trocadéro. La danse n’a jamais été aussi présente dans la vie des gens : 70% des contenus de TikTok sont des contenus chorégraphiques. Je pense aussi au cinéma, il n’est qu’à voir le succès remporté par Encore, le film de Cédric Klapisch sur le parcours d’une danseuse. Le théâtre national de Chaillot doit par tous les moyens partager la danse.
Par ailleurs, le théâtre national de Chaillot a des missions de service public. En tant que directeur, je me dois d’assurer que ces missions bénéficient au plus grand nombre. Quand le ministère de la Culture m’a fait l’honneur de me proposer la direction de ce lieu, ce qui était identifié dans mon parcours, c’était l’endroit de la création artistique adossé à un souci de la partager, de la mettre en lien dans des dispositifs interactifs qui fédèrent les publics dans le monde du soin, du tourisme, de l’éducation, du sport... « Chaillot Colo », à cet égard, fait partie d’une constellation de programmes dans lesquels il y a toujours à l’arrière-plan ce souci d’utiliser la danse pour rassembler des mondes et atteindre l’ensemble des publics et des populations.
Être là pour soutenir l’autre, l’empêcher de se faire mal, lui permettre de faire des choses qu’il ne pourrait pas faire seul, c’est tout l’esprit des Chaillot colo
Si vous deviez dresser un bilan de la première colo qui s’est déroulée l’été dernier et a réuni douze jeunes de Clichy-sous-Bois et Montfermeil, âgés de 8 à 14 ans, quel serait-il ?
Cette première colo a confirmé ce que nous savions malheureusement déjà, à savoir que des jeunes, en l’occurrence de banlieue parisienne, n’ont pas toujours la chance d’accéder à certains espaces culturels. C’est à nous d’inventer des passerelles. Quand des jeunes, qui habitent à 45 minutes du centre de Paris, voient pour la première fois la Tour Eiffel, cela doit nous interroger sur la façon dont on partage notre patrimoine. Une jeune fille a eu cette phrase à la fin de la semaine : « c’est beau et c’est aussi pour nous ». Cette formulation dit beaucoup de choses dans sa simplicité apparente. Il y a une prise de conscience d’une appropriation des choses.
Une des particularités des Chaillot colos est de s’appuyer sur les acteurs locaux.
En effet. À chaque fois, les Chaillot colo se co-construisent. Le travail se fait à échelle multiple, avec des directions régionales des affaires culturelles (Drac), des villes, des collectivités locales, et parfois aussi directement avec des lieux culturels. Notre modèle est ouvert. Ce qui compte, c’est d’avoir des partenaires qui ont le souci d’accompagner l’enfance, d’inscrire dans leurs parcours éducatifs des moments de découverte de soi et des autres.
Le camp de vacances où j’étais ce matin a été organisé en partenariat avec la Seine-Saint-Denis et la cité éducative de Seine-Saint-Denis. Un autre vient de débuter dans les outre-mer, en Martinique, en partenariat avec la direction des affaires culturelles, un troisième a lieu à Angoulême à la maison Maria Casarès, à Alloue, dans le cadre d’un partenariat avec le centre social culturel et sportif CAJ Grand Font. Ces colos se construisent à l’écoute des territoires et de leurs ressources.
Quelles sont les thématiques de ces trois colos d’automne ?
En Martinique, avec Aurélie Charron, une de nos artistes associées, c’est une colo autour du mouvement et du récit de soi avec également une danseuse et une réalisatrice. Comme j’ai beaucoup travaillé avec des sportifs de l’extrême, celle que je propose à Mériel, autour du dépassement de soi, réunit des sportifs et des artistes. A Angoulême, Jann Gallois, une autre de nos artistes associées, prend comme point de départ Pacamambo, la pièce de Wajdi Mouawad, elle parle des nouveaux départs dans la vie.
Encore une fois, Chaillot a des responsabilités vis-à-vis de l’ensemble du territoire national. C’est pour cela que lors des prochaines vacances, nous allons poursuivre cette initiative dans d'autres régions… Les projets, nombreux, sont en train de se mettre en place. Un des enjeux est de créer des mobilités. Il faut savoir amener l’art là où on ne l’attend pas, travailler dans les deux sens : faire venir la population dans les lieux culturels, et faire en sorte que les lieux culturels se rendent sur les territoires.
Quelles sont vos premières impressions sur la colo de cette semaine ?
Une visite de Chaillot a précédé la semaine à Mériel. Lorsqu’on vient pour la première fois à Chaillot, c’est toujours une découverte formidable. Les jeunes ont visité le palais, ils ont vu les artistes au travail, ils ont découvert les métiers de la technique, du costume…. et ils ont eu du temps pour faire une première chorégraphie dans le grand foyer de la danse avec vue plongeante sur la Tour Eiffel.
Et depuis ce matin donc, ils ont pris leurs quartiers dans le lieu où ils vont passer la semaine. Ils découvrent un groupe, des intervenants, des disciplines. Avec les artistes du collectif XY, nous avons commencé avec une pratique acrobatique, la pratique du « main à main », aussi exigeante pour soi qu’elle réclame d’attention à l’autre. Être là pour soutenir l’autre, l’empêcher de se faire mal, lui permettre de faire des choses qu’il ne pourrait pas faire seul, c’est ce qu’il y a en creux derrière ces figures qui leur permettent d’entrer dans cette semaine et, je l’espère, de commencer à se transformer.
Entretien de Rachid Ouramdane, Président directeur de Chaillot - théâtre national de la Danse
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