Monsieur le Président du jury,
Mesdames et Messieurs,
Chers ami(e)s,
Jafar Panahi « sera » à Cannes cette année. Il sera dans nos pensées, il
sera dans nos esprits, il sera dans nos coeurs. Il y « sera » aussi parce qu’il
a envoyé il y a 5 jours la copie de sa dernière oeuvre, Ceci n’est pas un
film - tourné avec la complicité du cinéaste Mojtaba Mirtahmasb, dans des
conditions semi-clandestines. Il a joint un mot personnel qui commence
ainsi : « Nos problèmes sont nos fortunes. La compréhension de ce
paradoxe prometteur nous invite à ne pas perdre l’espoir et à poursuivre
notre chemin ». Qu’ajouter à ces mots de courage et d’espérance ?
Lorsqu’on empêche un créateur de s’exprimer, lorsqu’un artiste ne peut
plus faire connaître ses oeuvres, il est de mon devoir, il est du devoir du
Ministre français de la Culture et de la Communication, de faire entendre la
voix de la Liberté, la voix de ceux qui n’abdiquent pas, la voix de ceux qui
ne cèdent pas. Jafar Panahi a été condamné arbitrairement dans son pays,
ce pays où il a voulu continuer à travailler, ce pays dans lequel sa
popularité est considérable, ce pays qu’il aime et dont il écrit
admirablement les pages de vie des femmes et des hommes.
Parce que l’image cinématographique est universelle, les droits de ceux
qui le font vivre et de ceux qui l’inventent le sont aussi. Jafar Panahi est
aujourd’hui surveillé, emprisonné, humilié, par le seul fait d’avoir voulu
réaliser des films dans son propre pays.
Le réalisateur du Ballon Blanc, celui de Sang et Or, tous les deux
récompensés, ici même à Cannes, le réalisateur qui a été primé dans de
nombreux festivals dans le monde, est aujourd’hui un symbole de la
Liberté et de l’esprit de résistance. Les mesures autoritaires qui l’accablent
actuellement ont fait qu’il n’a put se rendre à Berlin cet hiver pour présenter
son dernier film, Hors Jeu. Assigné à résidence, il ne peut qu’assister
impuissant aux conséquences absurdes d’un jugement inique. Figure de la
« Nouvelle vague » iranienne, héritier d’Abbias Kiarostami, Jafar Panahi
s’est abîmé sur les récifs de l’aveuglement et de l’intolérance.
Il y a un peu moins d’un an, au Festival de Cannes, j’ai lu la lettre qu’il était
parvenu à nous transmettre de sa cellule. Aujourd’hui, j’entends réaffirmer
mon soutien personnel à Jafar Panahi, à sa famille mais aussi aux équipes
artistiques qui ont travaillé à ses côtés. Je pense à un autre jeune
réalisateur, Mohammad Rasoulof, lui-aussi condamné à six ans de prison,
dont le film Bé Omid é Didar (Au revoir) est, sera montré dans la sélection
« Un certain Regard ». Cette double présence dit assez combien le
cinéma, combien le Festival de Cannes sont un miroir du monde et une
fenêtre d’espérance.
Comme une grande partie de la famille du cinéma, comme une large partie
des intellectuels, je considère que le traitement dont il est l’objet est une
atteinte inacceptable à la liberté de pensée et à la liberté de création. Il est
inconcevable que Jafar Panahi passe les prochaines années de sa vie
dans l’enfermement et la nuit du monde. Il est tout aussi inconcevable que
les Iraniens et nous, qui l’aimons et le soutenons, soyons privés de son
regard, de cet oeil qui écoute les vibrations de la société iranienne
d’aujourd’hui.
Je suis donc particulièrement heureux que la Quinzaine de réalisateurs
décerne à cet absent lumineux, à ce cinéaste de l’audace, à cet homme de
courage et d’honneur le Carrosse d’or qui lui revient.
Que son regard puisse continuer à s’exercer, qu’il puisse encore nous
émerveiller et faire vivre l’un des cinémas les plus remarquables de notre
temps. Le regard de Jafar Panahi, c’est d’abord son combat mais c’est
aussi et surtout le nôtre aujourd’hui.