Bénévoles ou salariées, militaires ou civiles, formées ou simplement dévouées au soin des blessés, les infirmières ont œuvré au service des victimes de la guerre, sans que l’on connaisse vraiment la réalité derrière les nombreux stéréotypes qui leur ont été associés pendant la Première Guerre mondiale.
la Grande Guerre : un tournant majeur pour cette profession
Photo, distribution de linge aux évacues du Nord © Musée de la Grande Guerre, Meaux
En effet, la Grande Guerre a été un tournant majeur pour cette profession : le conflit a permis d’avancer vers une reconnaissance de ce métier, qui allie connaissances médicales et savoirs du corps. C’est malheureusement le dévouement des infirmières si, même s’il fut réel, est resté dans les mémoires plus que leurs compétences, acquises au contact des blessés de guerre.
Panoplie d'infirmière pour petite fille, France, 1915-1918, Drap de laine, coton et métal © Musée de la Grande Guerre, Meaux – CE2022.4.2-9 / David Rase & Uniforme de l'infirmière Sidonie Pocquet France, ca 1915-1918 © Musée de la Grande Guerre, Meaux / Yannick Marques
Répartis sur 300 m², les objets et documents qui composent cette exposition sont majoritairement issus des collections du musée de la Grande Guerre. Des prêts accordés par des institutions partenaires de l’exposition ainsi que par des collectionneurs privés ont également permis d’enrichir le discours de l’exposition, qui s’articule autour de trois axes principaux :
Photo © Musée de la Grande Guerre, Meaux
- Les statuts des infirmières pendant la guerre, qui sont très multiples et dont dépend leur niveau de qualification et de rémunération ;
- Les pratiques soignantes des infirmières qui, aux côtés des médecins, apportent une contribution essentielle aux soins prodigués aux blessés, et qui contribuent de manière essentielle à leur rétablissement ;
- Les imageries et stéréotypes qui sont associés aux infirmières pendant le conflit, et qui sont restés dans les mémoires.
Édith Cavell, Élisabeth de Belgique, Sidonie Pocquet...
Tout au long du parcours de visite, huit portraits d’infirmières, pour certaines connues du grand public, et d’autres, restées anonymes, permettent au visiteur de donner des noms et d’associer des visages à toutes ces femmes qui ont contribué à l’effort de guerre. Édith Cavell et Élisabeth de Belgique sont ainsi présentées aux côtés de femmes moins connues comme Sidonie Pocquet, dont le musée conserve la tenue ainsi que des objets et documents lui ayant appartenus, comme son livret d’infirmière, sa carte d’identité ou encore son diplôme.
Photo - Au bloc opératoire France, ca 1915-1918, Photographie sur plaque de verre © Musée de la Grande Guerre, Meaux
Le conseil scientifique de l’exposition, composé de membres de l’équipe du musée, s’est aussi enrichi des contributions de Virginie Alauzet, responsable du pôle Systèmes de gestion des documents et des archives de la Croix-Rouge française, de Christophe Debout, IADE, cadre supérieur de santé, PhD, responsable pédagogique à l’institut de formation interhospitalier Théodore-Simon (Neuilly-sur-Marne), chaire Santé Sciences Po/IDM UMRS 1145, et de Frédéric Pineau, historien spécialiste de l’histoire de la femme au 20e siècle.
Infirmières soignant des blessés, Pierre-Albert Leroux (1890-1959) France, Huile sur toile © Musée de la Grande Guerre, Meaux / David Rase
L’exposition propose des dispositifs de médiation pour matérialiser le cadre de travail des infirmières pendant le conflit. Ils sont destinés à un public familial, à partir de 10 ans. Des facsimilés à manipuler sont ainsi présentés, accompagnés d’une audiodescription ; un livret présentant le journal fictif de Sidonie Pocquet est distribué gratuitement aux visiteurs à l’accueil du musée ; un petit questionnaire pour tester ses connaissances est présenté à la fin de l’exposition. D’autre part, des visites guidées et conférences seront proposées par le musée pendant toute la durée de l’exposition, afin que les visiteurs puissent approfondir la thématique. Toute la programmation est détaillée sur www.museedelagrandeguerre.com
La Diplômée, La bonne fille, L’ingénue Marthe Buhl (1887-1942) France, 1917 Carte postale dessinée à l’aquarelle © Musée de la Grande Guerre, Meaux – CE2021.13.7 ; CE2021.13.8 ; CE2021.13.9
Disponible à la boutique du musée ainsi qu’en librairie spécialisée, le catalogue de l’exposition est riche de contributions d’historiens ainsi que de spécialistes de la période et du monde de la santé. Ce catalogue présente ainsi l’histoire des infirmières pendant la Grande Guerre et raconte les destins bouleversés de plusieurs de ces femmes. L’ouvrage, qui a reçu le soutien de la Fondation La France mutualiste, dévoile comment les infirmières deviennent des figures incontournables des sociétés en guerre et est un véritable outil pour comprendre leurs souffrances, les difficultés auxquelles elles sont confrontées ainsi que l’évolution de leur métier.
Les blessés de la tuberculose, Alfred Roll (1846-1919) France, 1916 - Lithographie en couleurs sur papier © Musée de la Grande Guerre, Meaux – 2006.1.3571 / David Rase
Quelle a été votre réaction lorsque vous avez appris que l’exposition avait reçu le label "Exposition d’intérêt national" ?
Toute l’équipe a été très heureuse de cette nouvelle, qui est une belle marque de reconnaissance du travail mené par le musée depuis son ouverture en 2011. Nous étions d’autant plus surpris que notre précédente exposition, "Tranchées", a aussi reçu le label, nous ne nous attendions pas à le recevoir deux années de suite ! Ce label récompense le travail mené par le service de la conservation du musée, qui contribue à la valorisation et à la diffusion des collections du musée. Il met aussi en valeur les actions mises en place par notre service des publics, puisque la médiation est toujours au cœur de nos préoccupations pour permettre au plus grand nombre d’être sensibilisé à l’histoire de la Grande Guerre par le biais de l’objet.
Gestes d’infirmières, Croquis 1916-1917, Olga Bing, France, 1916-1917 Estampes © Musée de la Grande Guerre, Meaux – Don Verney
Pourquoi avoir choisi de présenter une exposition consacrée aux infirmières ?
C’est une thématique dont nous savions depuis longtemps que nous proposerions une exposition qui lui serait consacrée. En effet, le musée conserve de nombreux objets et documents permettant d’éclairer le rôle des infirmières dans la Grande Guerre, et nous souhaitions pouvoir les valoriser. La décision de présenter cette exposition en 2023 s’est imposée au sortir du confinement, alors qu’il était beaucoup question du rôle des soignants dans la lutte contre la Covid-19.
Mademoiselle De Gesse, infirmière major armée et décorée par ses maladesFrance, 1912-1918Papier, épreuves gélatino-argentiques © Musée de la Grande Guerre, Meaux – Don Barbez
Consacrer une exposition aux infirmières dans la Grande Guerre permettait de faire un parallèle entre l’actualité et le rôle de ces personnels soignants au cours d’une autre crise majeure de l’histoire contemporaine. Les élus de la Communauté d’agglomération du Pays de Meaux ont d’ailleurs voté un tarif réduit (5€ au lieu de 10€) spécifique pour les infirmières et infirmiers qui viendront visiter le musée pendant la durée de l’exposition.
Livret d’infirmière de l’Hôpital Heine-Fould de l’infirmière Sidonie Pocquet, France, 1er quart du 20e siècle, Papier © Musée de la Grande Guerre, Meaux
Quelles sont les typologies de collections qui sont présentées dans cette exposition ?
L’exposition montre de nombreux documents qui expliquent et éclairent le statut et le rôle des infirmières pendant la Grande Guerre, et qui mettront en lumières les stéréotypes qui leur étaient attachés. L’exposition fait également la part belle à des photographies éclairantes, qui montrent les infirmières en situation dans les activités du quotidien. Nous présentons également deux ensembles, l’un de lithographies et l’autre de croquis, réalisés par des femmes qui furent aussi infirmières. Les 24 lithographies sont l’œuvre de Louise Ibels, sœur du peintre nabi Henri-Gabriel Ibels, et racontent une journée à l’hôpital sur un ton humoristique et avec un grand sens de l’observation des gestes du quotidien. L’autre ensemble est une série de 25 croquis réalisés par Olga Bing intitulé "Gestes d’infirmières", qui montre les gestes techniques réalisés par les infirmières avec beaucoup de justesse et de réalisme.
Une journée à l’hôpital / Louise Ibels (1891-1965), France, 1916 - Lithographies en couleurs sur papier © Musée de la Grande Guerre, Meaux - CE2022.8.3-21
Nous présentons aussi plusieurs objets liés au quotidien des infirmières, notamment des instruments médicaux ou encore des médailles dont les infirmières furent décorées, mais aussi plusieurs tenues d’infirmières, dont l’uniforme de l’infirmière Sidonie Pocquet, la tenue de la congrégation des Filles de la Charité de Saint-Vincent-de-Paul (prêtée par le service des Archives de la Compagnie des Filles de la Charité), ou encore l’uniforme de l’infirmière Geneviève Hennet de Goutel, prêtée par la famille Bugner, ses descendants.
Louise Ibels est issue d’une famille d’artiste. Elle apprend les techniques picturales avec sa mère, son demi–frère est le peintre nabi Henri-Gabriel Ibels. Elle pratique la poésie, le dessin ou la gravure (sur bois, l’aquatinte et l’eau forte) et expose dans plusieurs salons. Pendant la guerre, Louise Ibels illustre les pages du journal La Baïonnette comme Élisabeth Branly ou Gerda Wegener, d’autres artistes féminines. Dans cette série de 20 estampes publiée dans un album titré "Une journée à l’hôpital", elle raconte avec un grand sens de l’observation et beaucoup d’humour, le quotidien des infirmières dans un hôpital auxiliaire.
Olga Bing. Ce que l’on sait d’Olga Bing nous est connu par la préface de l’album rédigée par le critique d’art Louis Vauxcelles : elle a été peintre avant d’être infirmière dans un hôpital parisien. Cela nous est confirmé par la précision dans la représentation des différents gestes techniques et soins réalisés par les infirmières présentés dans les 25 croquis de l’album "Gestes d’infirmières". Soins, pansements, pose de ventouses, piqûres ou prélèvements, toilettes sont montrés avec une volonté de réalisme loin de l’iconographie conventionnelle. Publié en mars 1917, cet album était vendu au profit de la Fraternité des Artistes.
Les blessés de la tuberculose. La tuberculose est une maladie tenue pour honteuse car sa diffusion, au même titre que les maladies vénériennes ou l’alcoolisme, est considérée comme favorisée par les conditions sociales (pauvreté, logements insalubres, promiscuité, etc.). La mortalité tuberculeuse augmente dans les armées pendant la guerre et fin 1915, il est avéré que la présence de tuberculeux comporte un risque majeur d’affaiblissement des effectifs. Dès lors, les autorités sanitaires se mobilisent pour mettre en place un véritable armement antituberculeux. Des stations sanitaires pour tuberculeux sont créées pour accueillir et isoler les malades. Le personnel est composé d’infirmières spécialisées, souvent moins bien considérées que celles soignant les blessés. Le titre de l’affiche, Les blessés de la tuberculose, rappelle que les tuberculeux sont eux aussi des victimes du conflit.
Pierre-Albert Leroux. L’infirmière ne cesse d’inspirer les illustrateurs, les artistes et les auteurs qui la mettent en scène ou la célèbrent dans de nombreuses œuvres iconographiques ou littéraires, dans la presse ou sur les cartes postales. Le peintre Pierre-Albert Leroux reprend dans cette œuvre l’image classique de l’infirmière comme un "ange blanc", dévoué et compétente dont la silhouette pure, auréolée du voile et penchée sur le blessé qui lave, panse, assiste ceux qui souffre, voire accompagne les derniers instants de celui qui meurt de ses blessures.
Panoplie d'infirmière pour petite fille. Dans les discours de mobilisation patriotique forgés à destination des petites filles, l’infirmière est présentée comme un exemple à suivre et celles-ci doivent se montrer dignes de leurs aînées qui sont dans les hôpitaux. Le discours est relayé sur de nombreux supports du monde de l’enfance : les livres et les périodiques, les jeux et les jouets ou des petites panoplies qui prennent modèle sur celui de l’infirmière de la Croix-Rouge. Ainsi, les petites filles sont incitées à soigner les blessés par l’intermédiaire de leur poupée infirmière ou en se déguisant avec leur panoplie. Ce déguisement vendu au Bon Marché comprend tablier, blouse et la cape bleue complétée d’un Légion d’Honneur en réduction.
Sidonie Pocquet, née en 1888 à Beaumont-en-Artois (Pas-de-Calais), est séparée de sa famille, restée dans le Nord de la France occupé par l’ennemi. En 1915, elle s’engage comme bénévole à l’Hôpital Mixte d’Issoudun où son frère est soigné pour blessures de guerre. Puis elle s’inscrit en 1916 à l’Hôpital-école Heine-Fould de Paris afin de devenir infirmière professionnelle. Sa tenue se compose d’une blouse blanche en coton très serré portée par-dessus une jupe bleue. Elle est complétée d’un tablier blanc portant l’insigne de la Croix-Rouge brodé sur la poitrine. Par-dessus, est portée une longue cape confectionnée dans un drap bleu foncé. Sur le pan gauche de la cape, est appliqué un écusson blanc brodé des lettres S.B.M. surmontant une croix rouge. Les trois boutons en tombac sont estampillés d’une croix bordée de l’inscription Croix-Rouge Française.
Livret d’infirmière de l’Hôpital Heine-Fould de l’infirmière Sidonie Pocquet. À l’issue de leur formation, les infirmières reçoivent un livret individuel comportant leurs photographie et numéro de matricule. Semblable au livret militaire du soldat, le livret d’infirmière indique les services accomplis en temps de paix comme en temps de guerre, les exercices annuels réalisés dans un dispensaire-école, les stages effectués dans les services hospitaliers et les appréciations des médecins qui les encadrent. Sur la photographie de son livret d’infirmière,Sidonie porte sa cape maintenue par deux bandes de drap de la même teinte et qui croisent sur la poitrine. Le système très pratique permet de maintenir la cape sur l'arrière des épaules tout en offrant une plus grande liberté de mouvement. Elle poste une coiffe et d’un voile blanc brodé de l’insigne de la Croix-Rouge qui descend après les épaules. Habituellement, le voile des infirmières est bleu foncé bordé de blanc pour la ville et blanc.
Mademoiselle De Gesse. Cette photographie est issue d’un album constitué par le colonel Vignal en souvenir d’un de ses hommes, le sous-lieutenant Pierre Clerissy, mort en août 1917. Il retrace en photographies le parcours dans la guerre de Clerissy qui a été soigné à l’hôpital Gauthier à Marseille de fin 1916 à mars 1917. À Marseille, Clerissy côtoie l’infirmière-major Mademoiselle de Gesse dont on découvre ici la photographie, armée et arborant fièrement les décorations prêtées par les blessés de l’hôpital.
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