Nous les avions découverts à l'occasion de « Création en cours », un programme immersif d'éducation artistique et culturelle lancé par le ministère de la Culture, ou lors d'une enquête sur les étudiants de l'enseignement supérieur culture pendant le confinement.
A l'issue de leurs premières expériences, ces trois jeunes artistes – l’une est costumière, l’autre architecte, le troisième, photographe et professeur des écoles – ont suivi chacun leur propre chemin, sinueux parfois, complexe souvent, enthousiasmant toujours, sur la voie de la professionnalisation. Avec, en filigrane, un mot qui pourrait servir de dénominateur commun à leurs parcours respectifs : engagement.
Nawelle Aïnèche : « J'ai besoin d’œuvres qui soient sincères »
Exposition de ses tissages au Grand Palais, workshops en Chine, performance à Moscou… depuis sa participation en 2017 à « Création en cours » le programme de résidences d’artistes à l’école initié par le ministère de la Culture et piloté par les Ateliers Médicis, les projets s’enchainent pour Nawelle Aïnèche, diplômée en 2015 de l’école supérieure d’arts appliqués La Martinière Diderot à Lyon, section costume et textile. Les derniers en date, des résidences à Lyon et à la Villa Médicis, ont permis à la jeune artiste, de son propre aveu, de « franchir un cap ». « À Lyon, j’ai pu rencontrer l’ensemble des acteurs de l’écosystème local, et pendant la semaine passée à la Villa Médicis à l’occasion d’une résidence co-organisée avec la Fondation Culture et Diversité qui avait pour objectif d’aider à la professionnalisation des jeunes artistes, des rendez-vous ont été organisés avec des responsables de Frac, de centres d’art, de fondations privées et des commissaires d’exposition ».
Une connaissance des acteurs et de leurs attentes qui nourrit aujourd’hui les réponses de la jeune artiste aux appels à candidature. Ceci, toujours, dans une fidélité absolue à son geste artistique : « J’ai postulé récemment avec un projet qui m’est cher autour d’une notion japonaise, le « Ma », le travail sur l’espace vide. Plaire pour plaire ne m’intéresse pas. Mais c’est un vrai travail de ne pas sombrer dans la mode ».
Elle parle du temps comme d’un médium, lui fait-on remarquer, dans la vidéo de présentation de sa première exposition personnelle en octobre dernier à la galerie Françoise Besson à Lyon, Récolter l’instant de nos évidences. « Dans un monde de l’art contemporain où on nous demande de produire beaucoup, d’être rentable, travailler signifie souvent travailler vite. Ma pratique va à rebours de cela, la lenteur est centrale. Elle m’amène à avoir une autre réflexion sur ce que je fais. Je vais travailler pendant quatre mois sur un seul costume mais celui-ci en vérité a vécu pendant trois ans, il est allé à Moscou, dans des musées… Un artiste ne crée pas beaucoup dans sa vie, disait Christian Boltanski. J’aime cette idée. J’ai besoin d’œuvres qui soient sincères. Ne pas créer beaucoup en outre est en résonance avec l’état de la planète ».
Si elle devait définir son geste artistique en quelques mots, quels seraient-ils ? « Il est patient et obsessionnel », répond immédiatement celle qui n’aime rien tant, aussi, que travailler avec des matériaux auxquels on ne songerait pas spontanément, bandes magnétiques hier, épingles à couture aujourd’hui. Ces dernières sont en ce moment au cœur de son travail : « La création de ce costume que j’évoquais plus tôt se fait épingle par épingle. Il sera présenté à Lyon, aux Subsistances, en juin. C’est une activation de sculptures, un costume qui devient sculpture ». Autre actualité en 2022, une exposition L’art du détournement, qui réunit en ce moment à la galerie L’écu de France à Viroflay des artistes qui ont détourné des matériaux recyclés, et une résidence en avril à la Villa Noailles à Hyères.
Garance Paillasson : « L’engagement social une valeur cardinale de ma pratique de l’architecture »
Diplômée de l’école nationale supérieure d’architecture de Grenoble en 2020, Garance Paillasson n’a pas chômé l’an passé : elle a obtenu son habilitation à la maîtrise d’œuvre en son nom propre (HMONP), donné des cours dans l’école dont elle est diplômée, et mené à bien le projet de documentaire Devenir architecte (questionnements sur les pratiques architecturales émergentes) qu’elle évoquait dans le portrait que nous lui avions consacré. « Ce documentaire, commencé pendant mes études, porte sur les pratiques de l’architecture en lien avec les habitants et questionne le rapport avec la maîtrise d’ouvrage donc avec le client », rappelle la jeune architecte ravie d’accompagner aujourd’hui sa diffusion dans des écoles d’architecture et des maisons de l’architecture. D’autant que le film, qui donne la parole aussi bien à ceux qui « travaillent en agence, un mode d’exercice protégé, qu’au sein de collectifs ou d’associations », a joué un rôle d’aiguillon pour la jeune femme qui fait de l’engagement social une valeur cardinale de sa pratique.
« Je voulais savoir s’il était possible de maintenir cet engagement en agence, dit-elle. Le fait que j’ai passé « l’habilitation à la maîtrise d’œuvre en son nom propre », laquelle permet d’ouvrir une agence, a valeur de réponse. Une chose est certaine : j’ai envie d’exercer mon métier de façon engagée au sein de la profession, pas à côté. C’est aussi un peu cela qui me questionnait : le risque, quand on travaille dans un statut différent de celui inscrit dans l’ordre des architectes, c’est une forme de marginalisation ».
Garance Paillasson se donne du temps. Si son objectif à terme est bien d’ouvrir une structure, elle ne compte pas le faire seule. Elle estime par ailleurs qu’il lui manque encore de l’expérience. Cela tombe bien : elle s’apprête à rejoindre l’atelier PNG pour une mission. « L’agence travaille sur des projets à taille humaine, et, c'est aussi ce qui me plaît, résolument tournés vers les habitants à travers cette question centrale : comment réussit-on aujourd’hui à avoir une architecture qui réponde aux futurs usagers ? » En parallèle, elle compte bien continuer à répondre à des concours, en particulier « les concours d’idées » comme elle les appelle joliment. En ligne de mire : concilier pratique de conception et pratique de recherche. « A mes yeux, ces deux approches se nourrissent l’une l’autre ».
Edwin Fauthoux-Kresser : « Trouver un équilibre entre mon activité de création et mon activité de transmission »
Sa participation en 2017, à l’instar de Nawelle Ainèche, au programme « Création en cours », serait-elle pour le photographe Edwin Fauthoux-Kresser, diplômé en 2013 de l’école nationale supérieure de la photographie d’Arles, à l’origine d’une autre vocation ? Celui-ci, en effet, est « dans sa première année en tant que professeur des écoles » ! Dans une école de Marseille en l’occurrence, avec trente élèves en grande section de maternelle, on croit comprendre que ça déménage. « C’est très prenant », reconnaît-il.
Depuis sa résidence en Ardèche dans le cadre de « Création en cours », le jeune photographe a multiplié les expériences : « J’ai travaillé pendant un an comme accompagnateur socio-professionnel des artistes allocataires du RSA, une mission qui portait à la fois sur leurs projets professionnels et artistiques, confie-t-il, cette dimension d’engagement vis-à-vis de ce métier me tenait à cœur ». Il a continué d’animer des ateliers auprès de différents publics. Et il a poursuivi un projet commencé en 2015 autour de la ville de Vienne en Autriche.
« C’est un projet au long cours, encore en construction, qui a pris une forme complexe avec, comme dans mes travaux précédents, du récit écrit, des images d’archives, des images que j’ai produites, et en plus, cette fois ci, du dessin. Il a eu un premier aboutissement dans son aspect documentaire à travers une publication dans la revue Panthère Première. J’en ai par ailleurs présenté des extraits à la gare de la Blancarde ». Un lieu familier pour le photographe qui, jusqu’à récemment, y disposait d’un atelier : « Le premier étage de la gare a été réaménagé en atelier partagé dans un projet qui s’appelle Les Ateliers Blancarde auquel j’ai participé. J’ai quitté l’atelier qui m’avait été attribué l’été dernier au moment où j’ai dû me consacrer pleinement à mon nouveau métier ».
L’enjeu aujourd’hui, reconnaît-il, est de trouver « un équilibre entre cette activité de transmission qui prend la forme de l’enseignement et mon activité de création ». Il est confiant : « Mes projets artistiques sont suffisamment construits et solides pour que je puisse les reprendre un peu plus tard. En outre, la générosité que je cherche dans le travail artistique trouve un espace d’expression dans le métier que j’exerce aujourd’hui. C’est un choix dont je suis content ».
Quel regard jette-t-il sur ces premiers mois avec les enfants de maternelle ? « Je connaissais très peu ce public, il y a des enjeux passionnants avec les grandes sections, ils sont en train d’aborder des choses qui sont intégrées pour nous. Par exemple, en ce moment, ils sont en train de conquérir le langage écrit. Les choses se construisent sous nos yeux à tous, les leurs, les miens, on voit des conquêtes en train de se faire, Il y a plein de premières fois ». A-t-il envie de leur faire essayer la photo ? « Pour l’instant, j’utilise plutôt l’appareil pour garder une trace de leur production, mais c’est quelque chose que j’ai envie de faire d’ici la fin de l’année ».
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