Je suis particulièrement heureux d’être parmi vous cet après-midi dans le
cadre de ces rencontres nationales de la librairie.
L’organisation de ce temps de réflexion collective est une initiative
particulièrement heureuse, que je tiens à saluer. Il me semble en effet
nécessaire et urgent de replacer la librairie au centre des débats sur
l’avenir de la filière du livre.
Le rôle irremplaçable joué par les libraires dans notre vie culturelle et
intellectuelle n’est à mon sens pas assez reconnu et valorisé.
Sachez l’attention, sachez la reconnaissance, que je porte aux libraires de
ce réseau unique au monde, qui contribue à promouvoir le livre dans toute
sa diversité, et participe de la manière la plus essentielle à la vitalité de nos
territoires et de notre démocratie.
Je sais combien le métier qui est le vôtre est difficile. Je sais qu’il ne peut
être exercé que par des hommes et des femmes de passion, militants
discrets mais ô combien précieux du livre, de la lecture et de la
transmission. Je sais aussi combien les motifs d’inquiétude sont
aujourd’hui nombreux.
L'étude sur la situation économique et financière des librairies
indépendantes, dont la synthèse a été présentée le matin, dresse un
tableau très sombre et doit constituer un signal d'alarme tant ses
perspectives sont préoccupantes.
Cette étude, qui mériterait d’être reconduite à intervalle régulier, met en
avant trois tendances profondes affectant la librairie indépendante : le
chiffre d'affaires est en recul, les charges s'alourdissent et la rentabilité
s'effrite. Bien sûr, il ne s'agit là que des tendances moyennes et l'étude
montre que certains commerces connaissent des évolutions plus
favorables : les librairies les plus importantes ainsi que celles qui
investissent dans un travail qualitatif marqué, notamment les librairies
labellisées.
Cependant, il faut se rendre à l'évidence : un grand nombre de librairies en
France sont aujourd'hui dans une situation économique et financière très
précaire, qui conduit les auteurs de l’étude à pronostiquer une accélération
de l’érosion du tissu des libraires.
Nous célébrons cette année les trente ans de la loi sur le prix du livre.
Cette loi avait pour finalité de maintenir, sur l'ensemble du territoire, un
réseau dense et varié de détaillants du livre afin de préserver la diversité
éditoriale. En effet, une partie de l'édition ne trouve son public que grâce
au travail de promotion, d'animation et de conseil qui est pris en charge par
la librairie indépendante. Si le réseau des librairies est menacé, c'est aussi
une partie importante de l'édition, notamment l'édition de création en
littérature et en sciences humaines, qui est en danger.
Scellant l’union d’intérêt qui lie éditeurs et libraires autour d’engagements
qualitatifs, la loi Lang a structuré vertueusement notre économie du livre
depuis 30 ans. Elle n'a pas eu les effets pervers que ses détracteurs
voulaient bien lui trouver, en particulier l'inflation des prix de vente au
détail. Cette grande et bonne loi reste aujourd'hui nécessaire. Ma
conviction, pour autant, est qu’elle ne suffit plus à elle seule à atteindre
tous ses objectifs.
Je souhaite donc développer avec vous un plan d'action en faveur de la
diffusion du livre, mobilisant tous les acteurs concernés, les libraires, bien
sûr, mais aussi les éditeurs, les collectivités locales, les établissements
publics et, bien entendu, l’État.
Notre responsabilité collective est d'y prendre notre part avec le plus grand
engagement.
Je crois tout d’abord que face à la dégradation de leur situation et devant
une concurrence accrue venant de toutes sortes d'opérateurs, les libraires
doivent s'organiser tout en conservant leur indépendance. À cette fin, ils
peuvent poursuivre et approfondir les démarches de mutualisation qui ont
été entreprises sur des sujets stratégiques communs, que ce soit à
l'échelon régional ou national.
À ce titre, je tiens à saluer le travail de dialogue social et d'organisation qui
a permis d'aboutir à la nouvelle convention collective des métiers de la
librairie. Ce travail est d'autant plus méritoire que la charge du personnel
représente un poste exceptionnellement élevé dans l'économie de ces
commerces de détail.
Par ailleurs, certaines réalisations qui se sont déjà fait jour autour des
problématiques du transport du livre sont très concluantes. Elles
mériteraient d'être mises en avant et reprises largement.
Les libraires doivent également mettre en commun leurs efforts pour
mettre en place un système renouvelé de formation professionnelle, qu'elle
soit initiale ou continue. Cette exigence répond à la fois au haut niveau de
qualification attendue du personnel de librairie comme à la grande
réactivité nécessaire à des entrepreneurs dans un secteur en mutation.
Des modalités intéressantes d'organisation et de mutualisation sont aussi à
approfondir autour des marchés publics de livres, notamment à travers les
groupements momentanés d'entreprises et les groupements d'intérêt
économique. Dans ce domaine, l'union peut faire la force face à un appel
d'offres local trop élevé pour pouvoir susciter la candidature d'une librairie
isolée.
Enfin, l'enjeu le plus aigu est celui de la modernisation des infrastructures
et de l'adaptation au numérique. Dans ce domaine, plus que dans tout
autre, la mutualisation des efforts me semble être une exigence
impérieuse. L'outil DATALIB, par exemple, qui permet à ses adhérents
d'ajuster leurs assortiments de manière fine et d’effectuer une veille
démultipliée sur les évolutions du marché, me semble devoir être pris en
exemple et soutenu.
Je crois qu'il n'y a pas d'alternative au développement d'un portail commun
de la librairie indépendante sur l'internet, tant pour la vente en ligne de
livres imprimés que pour prendre une place dans le marché numérique
naissant. Ce projet économique, incarné aujourd’hui à travers le portail
« 1001 libraire. Com » correspond à une ambition politique essentielle.
C’est pourquoi l'Etat vous soutiendra comme il l'a déjà fait, via le CNL et
comme il a proposé de le faire en proposant d'inscrire ce projet au nombre
des investissements d'avenir.
Dans le cadre d'un plan d'action en faveur de la diffusion du livre, les
éditeurs doivent avoir leur part. Je l'ai dit, l’intérêt bien compris de toute la
filière est de préserver le réseau exemplaire de points de ventes
indépendants qui quadrille notre territoire.
Sans ce réseau, fatalement, les ventes se concentreront sur un nombre
réduit de titres, le risque éditorial deviendra de plus en plus difficile à
prendre et, à terme, la production s'appauvrira.
La loi du 10 août 1981 donne un grand pouvoir à l'éditeur : c'est lui qui fixe
le prix de vente au détail du livre. Dans ce cadre, le détaillant, pour sa
rémunération, dépend entièrement et strictement de la remise que lui
consentent les diffuseurs. Cette loi, je l'ai dit, est une bonne loi. En effet,
elle prévoit également, en contrepartie de ce grand pouvoir donné à
l'éditeur, que le travail qualitatif du libraire doit être majoritairement pris en
compte pour établir sa remise.
Aujourd'hui, l'étude du cabinet XERFI le montre, les coûts de ce travail
qualitatif augmentent dangereusement, que ce soit à travers les frais de
personnel, qui permettent d'assurer un bon service de conseil, ou à travers
les charges immobilières, indispensables à l'implantation des librairies
indépendantes comme commerces de centre ville, à même de permettre
d'assurer au mieux la diffusion du livre envers un public varié.
En regard, la marge commerciale stagne. Les remises commerciales ne
prennent pas en compte ce renchérissement du service qualitatif, alors
même que la logique de la loi de 1981 devrait les y amener.
Des orientations claires pourraient donc être données aujourd'hui par les
éditeurs à leurs prestataires de diffusion pour réajuster les politiques
commerciales dans un sens plus conforme à l'esprit de la loi. Je le répète,
cette démarche est conforme à l'intérêt bien compris de toute la filière. Le
fragile écosystème de la création et de la diffusion ne doit pas être mis en
danger pour satisfaire des objectifs de rentabilité de court terme propres à
tel ou tel segment de la chaîne du livre.
Soyez également assurés de ma détermination à faire en sorte que les
pouvoirs publics prennent leur part de responsabilité dans le soutien à la
librairie indépendante.
Les professionnels de votre secteur disent souvent que le livre est la
première des industries culturelles par son volume d'affaire, mais qu'elle
est également la moins aidée par les pouvoirs publics ; et, qu'elle serait
peut-être la moins aimée, tant il est vrai que l'intérêt de l'Etat se manifeste
en général par le volume des crédits qu'il affecte à telle de ses priorités.
Une telle conception pourrait être admise si l'on s'en tenait à la seule
observation des aides publiques allouées à la librairie.
Ainsi, pour 2010, le soutien direct de l'Etat à la librairie française peut être
estimé à 3,5 millions d’euros. Le Ministère de la culture lui-même a
dépensé 1 million, via ses DRAC, et le CNL a alloué 2,5 millions à cet
objectif. Les aides du CNL sont en forte progression ces dernières années,
notamment du fait de la mise en place de l'aide à la valorisation des fonds
de librairies ou VAL, pour un montant d'un peu plus de 800 000 euros.
Mais le livre bénéficie également d'une bienveillance à toute épreuve de la
part des autorités politiques de notre pays. C'est ainsi, notamment, que les
lois votées en faveur de ce secteur le sont très souvent, sinon toujours, à
l'unanimité du Parlement. J'ai pu m'en rendre compte, peu après mon
arrivée à la tête du ministère, lorsque nous avons débattu de l'exemption,
pour le livre, de la réduction des délais de paiement prévue par la loi de
modernisation de l'économie (LME). Le livre est désormais le seul et
unique secteur économique à être exempté de la réduction des délais de
paiement. C'est un résultat dont, je l'espère, chacun ici peut mesurer le
caractère exceptionnel.
De la même manière, la loi sur le prix unique du livre numérique devrait
être votée à l'unanimité malgré le débat nourri auquel elle aura donné lieu.
Je rappellerai également que le principal soutien financier au livre et,
notamment, à la librairie ne passe pas par les aides directes mais par la
dépense fiscale, en raison de l'application du taux de TVA réduit au livre
imprimé qui représente un effort d’environ 500 millions d’euros pour les
finances publiques. C'est là un effort considérable qui doit bénéficier d’un
soutien indéfectible.
En effet, la TVA réduite permet au livre de continuer à être vendu à un prix
très raisonnable puisque, depuis plusieurs décennies, la hausse du prix du
livre est inférieure à l'inflation. Prix unique et prix attractif sont deux piliers
indissociables de notre vision de l'économie du livre.
Dans un contexte où les charges de la librairie augmentent, la sagesse
avec laquelle évolue le prix du livre constitue sans doute une difficulté.
Beaucoup d'autres commerces de qualité, pour se maintenir en centre
ville, n'ont pas hésité à augmenter leurs prix très sensiblement ; les
consommateurs le savent.
Cette difficulté, je l'ai dit, nous devons l'assumer collectivement. Le
gouvernement et le Parlement, de leur côté, on soutenu l'extension du taux
réduit au livre numérique, car le niveau de prix, sur ce marché, sera un
déterminant essentiel de la rémunération de la filière mais aussi du
comportement du public, qui doit rester notre ligne d'horizon.
Cette mesure devrait s'appliquer au 1er janvier prochain. Chacun sait
qu'elle n'est pas, en l'état, conforme au droit fiscal communautaire. C'est
pourquoi Jacques Toubon a été chargé par le président de la République
de poursuivre, sur ce sujet, une vaste mission de conviction des Etats
membres et de la Commission européenne. Il s'agit d'un travail de
persuasion difficile mais dont les premiers résultats sont très
encourageants.
Dans le contexte difficile et incertain que nous connaissons, la contribution
des pouvoirs publics doit emprunter deux voies complémentaires.
Il convient tout d’abord d’élargir le cadre de régulation de l'économie du
livre.
C’est bien entendu l’objet de la proposition de loi sur le prix unique du livre
numérique.
Demain 17 mai, 30 ans après la loi Lang, la loi sur le prix du livre
numérique sera définitivement adoptée au Parlement, 15 mois après que
le Président de la République en a lancé l’idée.
J’ai été d’emblée partisan de sa disposition la plus discutée, à savoir son
application aux détaillants établis hors de notre territoire lorsqu’ils
commercialisent des livres numériques auprès de lecteurs français. Je me
félicite que députés et sénateurs, menés par Hervé Gaymard et Jacques
Legendre, aient pu converger sur un texte qui me paraît désormais très
équilibré.
Cette initiative lancée conjointement par le Gouvernement et par le
Parlement a subi de nombreuses critiques, souvent lancées sur le mode
de la dérision. L’idée d’une régulation du prix du livre à l’ère numérique
aurait été irréaliste et aurait manifesté, une fois de plus, l’ignorance des
autorités de ce pays en matière de fonctionnement des réseaux
numériques.
Je constate avec une grande satisfaction qu’en un an, les termes du débat
se sont déplacés et que cette loi est désormais regardée avec intérêt par
ceux là même qui en contestaient le principe. Et la France n’a pas à rougir
de faire, une nouvelle fois, figure d’éclaireur en ce domaine.
Mais ne nous méprenons pas : tout commence désormais.
Tout commence pour le Ministre de la culture que je suis, car nous savons
que cette loi n’est pas regardée avec bienveillance par la Commission de
Bruxelles.
Aujourd’hui même, le Gouvernement français communique sa réponse aux
deux avis très réservés que la Commission nous a adressés sur notre
texte. L’enjeu n’est pas mince mais nos arguments sont extrêmement
solides. Nous démontrons dans cette réponse qu’un système de prix fixe
est le meilleur garant de la rémunération de la création et de la diversité
éditoriale pour le livre numérique comme il l’a été pour le livre imprimé.
Nous y soulignons la nécessité de maintenir un certain niveau de prix de
vente pour que la création se rémunère correctement, ce qu’un tarif
uniforme de 9,99 ne permet pas. Nous démontrons, € enfin, la nécessaire
complémentarité des réseaux de librairies physiques et des réseaux
numériques pour atteindre cet objectif de diversité éditoriale, là où la
Commission prétend qu’un pur acteur de l’internet peut, seul, y suffire.
Nous devrons parallèlement gagner des partenaires dans ce combat, je
pense notamment à l’Espagne, l’Allemange ou aux Pays-Bas, qui
paraissent partager nos vues. Il faudra convaincre le Parlement européen,
traditionnellement plus sensible que la Commission aux questions
culturelles, d’inscrire le prix du livre numérique à son agenda.
J’ai d’ores et déjà commencé ce travail de persuasion et je suis
raisonnablement optimiste sur notre capacité à réunir un groupe d’États
favorables à la régulation du prix du livre dans l’univers numérique.
Tout commence également pour les professionnels de la filière que vous
êtes, éditeurs mais surtout libraires indépendants.
Je me doute bien que pour beaucoup d’entre vous, dans cette salle, le
numérique demeure un horizon très lointain. Et il est vrai que la vente de
livres numériques est aujourd’hui pratiquement inexistante pour la majorité
des acteurs de la filière. Nous savons néanmoins qu’elle peut être
rémunératrice pour ceux qui la pratiquent d’ores et déjà. Nous savons
surtout qu’à New York, depuis le mois de janvier de cette année, les
ventes de livres numériques ont dépassé les ventes de livres de poche.
L’Amérique, certes, demeure un Nouveau Monde en la matière. L’Europe
connaîtra sans doute des évolutions moins rapides. Toutefois, je ne
saurais trop engager votre profession à les anticiper dès à présent, avec
tout le sérieux nécessaire.
La loi sur le prix unique délimite un cadre adapté à cet égard. Les années
qui viennent seront cruciales pour permettre à la filière du livre de
s’organiser, afin que le numérique, dans un souci de diversité culturelle,
bénéficie tous les acteurs et pas seulement aux plus grands.
Deux ans : ce n’est pas trop long pour que, notamment, la plateforme
1001libraires.com puisse se mettre situation de devenir un véritable acteur
de la vente de livres numérique.
Nous devons également veiller à affermir la régulation existante, qui a fait
ses preuves.
Je pense en premier lieu à la responsabilité particulière qu'ont les pouvoirs
publics en leur qualité d'acheteurs de livres.
La loi sur le prix unique a été étendue aux achats des collectivités
publiques en 2003. Les rabais pratiqués ont été limités pour que les
librairies indépendantes puissent reprendre pied sur ce segment d'activité,
qu'elles avaient laissé aux grossistes. Depuis lors, le prix n'est plus un
critère déterminant pour l'attribution des marchés.
Les ventes aux collectivités représentent une part importante des ventes
des librairies : 18% en moyenne, mais ce chiffre peut atteindre jusqu'à 50%
pour les librairies spécialisées (jeunesse, BD). Une étude d'évaluation de
la loi de 2003 conduite en 2010 par le Ministère de la culture avec l'aide de
plusieurs Régions, montre que les librairies indépendantes représentent
plus des 2/3 des achats de livres des bibliothèques, un chiffre plus élevé
qu'il ne l'était avant le plafonnement des rabais.
Néanmoins, du fait des réformes du Code des marchés publics, on assiste
depuis 2005 à un mouvement de reconcentration de ces marchés au profit
de quelques très grandes librairies et au détriment des librairies locales.
J’ai donc demandé à mes services de conduire avec les Régions, tout au
long de l'année, des actions d'information destinées à donner aux
acheteurs publics toutes les clés, dans le respect du cadre légal, pour
permettre aux acteurs locaux de soumissionner dans les meilleures
conditions. Un vade mecum des appels d'offres en matière d'achat de
livres à destination des bibliothèques sera également diffusé cette année.
2011 est une année test en matière de marchés publics, car il s'agit d'une
année de renouvellement des appels d'offre pour les bibliothèques
territoriales et universitaires.
Je pense que ces travaux pourront être poursuivis par l'engagement de
réflexions avec les collectivités territoriales, notamment les Régions, sur le
rôle joués par les libraires indépendants dans la fourniture de manuels
scolaires aux familles. Il s'agit d'un dossier sensible en raison des modèles
de gratuité complète mis en oeuvre par de nombreuses collectivités - et
non des moindres -, mais il me semble que des discussions pourraient
opportunément être ouvertes à ce sujet.
Je ne voudrais pas que l'on se méprenne sur ces actions. Il est naturel que
certains libraires indépendants sachent, mieux que d'autres, tirer profit des
commandes publiques et sachent s'organiser de manière à avoir une
activité nationale dans ce domaine, au détriment, sans doute, de certains
acteurs locaux. Les pouvoirs publics ne sauraient remettre en cause ce
dynamisme. Il s'agit, en revanche, d'éviter que ne se forme des
déséquilibres trop importants qui, eux, seraient néfastes à l'ensemble de la
librairie indépendante.
Parce qu’elle déplace les équilibres subtils établis entre les acteurs des
filières économiques, la révolution numérique fait naître, dans beaucoup
des secteurs relevant de mon ministère, un besoin nouveau d'intervention,
voire de médiation, de l'Etat.
Si la loi de 1981 a produit des effets incontestablement positifs, son
application peut soulever des difficultés ou entraîner des contournements,
notamment sur Internet. Je pense à plusieurs exemples tels que le
marquage des prix, la dilution de la perception du prix unique sur Internet,
les ventes avec primes ou réservées par exclusivité à certains circuits, la
contestation du champ d’application de la loi de 1981 par certains
opérateurs situés aux marges de l’économie du livre - par exemple pour
les partitions musicales. À terme, ces difficultés, ces contournements sont
de nature à fragiliser la loi Lang. Et qui peut dire, aujourd'hui, comment la
nouvelle loi sur le prix du livre numérique sera mise en oeuvre ?
J'observe cependant qu'aucune autorité, au sein de l'Etat, n'assure la
police de ces dispositifs, pas plus la direction générale de la concurrence,
qui s'y refuse, que le ministère de la Culture, dont ce n'est pas la vocation.
Face à cette situation, les contentieux ne constituent pas toujours la
meilleure réponse - notamment parce que leur résolution requiert plusieurs
années, mais aussi parce qu’ils attisent les clivages alors que des
solutions à l’amiable pourraient parfois les éviter.
La médiation des pouvoirs publics, qui a été assumée avec succès pour
certaines industries culturelles, comme le cinéma, n'est pas une idée
neuve dans la filière du livre. Je pense à la mission Cahart consacrée à la
moralisation de l'office et aux remises qualitatives, au début des années
1990, ou encore à réflexion déjà ancienne qui avait donné lieu en 2003 à la
remise, par Francis Lamy, médiateur du cinéma, d'un rapport ad hoc au
Ministre de la culture.
La médiation ne peut pas avoir pour fonction de se substituer au jeu
normal de la relation commerciale entre éditeurs et diffuseurs, cela a
toujours été clair dans mon esprit et le rapport remis par Antoine Gallimard
en 2007 sur la librairie indépendante l’a rappelé.
De ce point de vue, je salue les initiatives commerciales que le groupe
Hachette vient d'annoncer pour améliorer la rentabilité des librairies
bénéficiaires du label « librairies de référence ». Le fait que ce groupe, qui
occupe une place déterminante au sein de la chaîne du livre, s'engage sur
cette voie constitue un signe très fort de responsabilité pour tous les autres
acteurs.
En dépit de la primauté donnée à la relation commerciale, la médiation
peut néanmoins jouer un rôle bénéfique. Sans avoir de plan préconçu, je
souhaiterais donc qu'une discussion puisse être réactivée dans ce sens
avec l’interprofession.
Parallèlement à ces efforts en vue d'élargir et d'affermir notre cadre de
régulation, il convient d'approfondir nos dispositifs de soutien.
Je pense en tout premier lieu au label « librairie indépendante de
référence ». J’ai attribué pour la première fois ce label peu après mon
arrivée au Ministère de la culture, en août 2009. Près de 500 libraires sont
aujourd’hui concernés : ils forment comme le fer de lance de la politique de
diversité et de qualité que nous poursuivons.
D’emblée cependant, j’ai appelé de mes voeux une réforme du dispositif,
afin d’inclure des librairies de très haute qualité, dont le travail est reconnu,
mais que les critères très stricts du dispositif pénalisaient.
C'est chose faire désormais, le Conseil d'Etat étant actuellement saisi du
projet de décret relatif à l'extension des critères du label. Je ne peux que
vous inciter, vous libraires, à faire vivre le label et à l'assumer pleinement,
pour en faire un cadre de développement et de renforcement de votre
profession.
En ce qui concerne les pouvoirs publics, je proposerai à mes collègues du
gouvernement de conduire la réflexion destinée à approfondir le dispositif
dans deux directions complémentaires.
Le Label donne la possibilité aux librairies d'être exemptées de taxes
économiques locales. On ne sait pas à ce stade si les collectivités ont ou
non voté en nombre des mesures d'exemption, l'année 2009 ayant été une
année de réforme de la taxe professionnelle. En cas de réticence des
collectivités, il serait logique de réactiver l’idée originelle d’une
compensation, sinon totale et automatique comme dans le cas du label
« art et essai » pour les salles de cinéma, du moins partielle, des
exonérations octroyées par les collectivités territoriales. On pourrait penser
à une aide de l'Etat à la collectivité à hauteur de 50% du coût de
l'exemption, de manière à faire du label un dispositif d'aide partagé.
Je souhaite également relancer l'idée d’une exemption de charges sociales
pour les librairies bénéficiaires du label. Cette piste suggérée par le rapport
rendu par Antoine Gallimard sur la librairie, en 2007, me semble
particulièrement pertinente au regard du coût sensiblement plus élevé du
travail en librairie et de l’importance des emplois culturels créés par le
secteur.
Je souhaiterais, enfin, engager une politique volontariste de
contractualisation avec les Régions pour renforcer et donner de la
cohérence aux aides attribuées à la filière du livre.
La diversité culturelle et éditoriale, l'exigence de qualité sont des objectifs
essentiels de la politique portée par l'Etat. Ils sont au coeur de l'action du
Centre national du livre et constituent le critère déterminant à l'aune duquel
ses différentes commissions proposent d'attribuer les aides.
Pour autant, il serait dangereux, aujourd'hui, d'oublier l'une des finalités de
la loi du 10 août 1981, qui fut et qui doit rester une loi d'aménagement
culturel et économique du territoire. Cette visée est particulièrement
importante au moment où l'étude XERFI montre clairement que les
librairies menacées ne sont pas celles du premier niveau - celles, pour
simplifier, bénéficiaires ou susceptible de bénéficier du label LIR. Celles-ci
tirent plutôt bien leur épingle du jeu, car une politique de qualité finit
toujours par payer.
Les librairies qui souffriront le plus sont celles des villes petites et
moyennes, constitutives essentiellement du second niveau ou des réseaux
moins structurés. Ces librairies sont elles aussi appelées à se réinventer,
en se diversifiant, en développant leur rôle animateur culturel, en
approfondissant tout ce qui fonde l’attachement du public à sa librairie, la
proximité, le plaisir de l’échange et de la transmission, le sentiment
d’appartenance à une communauté intellectuelle ou culturelle.
Alors que des métamorphoses importantes doivent être engagées, ces
milliers de points de vente, essentiels à nos villes, sont peu touchés par les
aides du CNL qui bénéficient à des structures relativement importantes,
situées dans des villes de grande taille. Quant aux aidées dispensées par
les DRAC, celles-ci ne suivent pas de lignes directrices clairement définies
et cohérentes au point de vue national. Enfin les Régions ne proposent
que très peu d’aides à l'économie du livre, alors même qu’elles ont une
grande responsabilité dans l’aménagement culturel du territoire.
Les libraires des villes petites et moyennes doivent donc bénéficier de
formes de soutien plus adaptées, que nous pouvons construire avec les
Régions, dans le cadre des « contrats de progrès » bénéficiant à certaines
filières économiques.
Les contrats de progrès sont des dispositifs mis en place par les Régions,
avec le soutien de l'Etat : il s’agit d’établir un diagnostic sur certaines
filières économiques et de construire des plans de soutien, généralement
sur trois années. Alors que la culture a jusqu'à présent été largement
ignorée par ce type de réflexion, la signature de contrats de progrès en
matière de diffusion du livre nous permettra d’inciter les Régions à
intervenir sur ces secteurs et de rationaliser les aides de l'Etat en les
orientant en fonction d’un objectif d'aménagement culturel et économique
du territoire. J’ajoute sur ce thème que je souhaite proposer au
gouvernement la relance du FISAC, ce fonds de soutien aux commerces
de biens culturels, afin de renforcer les dispositifs d’aides à la
modernisation des petites libraires.
Quels que soient leurs avantages et leur commodité, les sites de vente en
ligne ne permettront jamais aussi efficacement à la création nouvelle de
rencontrer son public que ne le font les hommes et les femmes qui, chaque
jour, dialoguent avec les lecteurs dans les librairies, jusqu'à se reconnaître
dans la belle expression de « passeurs de livres ». Dans un monde sans
libraires, réduit à quelques grands supermarchés numériques, qui
découvrira, qui fera partager les Julien Gracq de demain ? Soyez donc
assurés une nouvelle fois de ma détermination à vous accompagner aux
côtés des autres acteurs de la chaînes du livre, pour penser et construire
ensemble l’avenir de la librairie.
Je vous remercie.