Intervenir dans un jardin classé ou inscrit au titre des monuments historiques
Gérer un jardin patrimonial impose le respect de la permanence de la composition historique et de ses évolutions dans le temps, tout en prenant en compte, sur le temps long, un système vivant et fragile.
Le parti d’intervention oscille souvent entre respect du patrimoine et liberté de création.
Un jardin classé ou inscrit au titre des monuments historiques est soumis aux mêmes règles que tout autre monument historique. Dès lors, à l’instar des autres monuments historiques, la dimension patrimoniale sera privilégiée et l’intervention étudiée et documentée.
Consultez la page Les Monuments historiques
Dans le cas le plus favorable, le jardin est en bon état et n’appelle que des interventions ordinaires. Il convient, d'abord et toujours, de contenir, et ce dans des limites à définir, la dynamique du végétal. Les structures doivent rester claires, les perspectives ouvertes, la composition lisible.
Il convient dans le même temps d’entretenir les composantes vivantes et l’ordonnance(ment?) ; remédier aux petits désordres mais, surtout, faire face au vieillissement des végétaux (que leur cycle de vie soit long ou court) et donc remplacer. Dans ce palimpseste qu’est le jardin ancien ou historique, le remplacement des sujets âgés, malades ou dangereux modifie durablement les rapports de volumes entre masses végétales et, donc, la perception globale du jardin.
La restauration
Restaurer « à l’identique » est une politique moins répandue. En effet, comment un retour à un état disparu d’une composition par essence en perpétuel devenir peut-elle être justifiée ?
Restaurer un jardin aujourd’hui, c’est avant tout redonner une cohérence historique et paysagère au lieu, tout en conservant biodiversité et dynamique des sols. Conserver la biodiversité d’un jardin, c’est conserver le patrimoine. Dès lors, toute action de restauration ne peut être envisagée qu’après des diagnostics précis et adaptés au cas étudié, mettant en évidence l’appauvrissement ou la détérioration du patrimoine.
La restauration de la grande allée du Jardin des Tuileries
La restauration de la grande allée du jardin des Tuileries par une plantation de 92 ormes (Ulmus minor Vada ® ‘Wanoux’) issus des recherches de l’INRAE (Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement ) a eu pour objectif de redonner les dimensions historiques à l’allée et de retrouver l’articulation paysagère entre le jardin et l’axe des Champs-Élysées créés par le jardinier André Le Nôtre, tout en contribuant significativement à l’introduction d’ormes résistants à la graphiose dans les grandes compositions historiques.
Consultez la page de présentation du projet sur le site du musée du Louvre
Le plan de gestion
Depuis 2005, le ministère de la Culture préconise la mise en place de plans de gestion pour les jardins protégés au titre des monuments historiques.
La gestion maîtrisée d’un jardin, la conservation de son intérêt patrimonial, de sa biodiversité et de la dynamique de son sol, ne sont possibles que si l'ensemble des travaux est envisagé dans un programme pluriannuel. Élaboré à l’initiative du propriétaire ou du gestionnaire du jardin, ce document de programmation aide à planifier, sur une durée déterminée, les mesures et les actions à entreprendre sur un parc ou un jardin.
Le plan de gestion, fondé sur un état des lieux détaillé, constitue un outil de suivi technique, scientifique, sanitaire, économique et écologique du jardin permettant de conserver, voire d’accroître sa valeur patrimoniale et environnementale.
Consultez la fiche pratique Le plan de gestion Jardin, 2012
Exemples de cahier des clauses techniques particulières (CCTP) pour l’élaboration d’un plan de gestion
La rédaction du cahier des charges par le maître d’ouvrage est un moment important du plan de gestion. Le rédacteur devra exprimer clairement un état des connaissances du jardin (histoire, état des sources documentaires et des archives, palette végétale, etc.) et les objectifs, paysagers ou économiques.
Les deux cahiers des charges suivants, élaborés pour les plans de gestion des domaines de Champs-sur-Marne (2007) et de Pau (2018), montrent une nette progression de la prise en compte de la biodiversité :
La gestion des arbres
L’arbre est l’un des éléments essentiels de la structure et de la composition d’un jardin. Des problématiques végétales sont ici proposées sous format de fiche pratique :
- La gestion des arbres conduits en forme architecturée subissant un abandon de tonte :
Fiche pratique : Étude sur le comportement et proposition de gestion des arbres conduits en forme architecturée subissant un abandon de tonte, 2012 - Les précautions à prendre en cas de tempête dans un jardin protégé au titre des monuments historiques :
Fiche pratique : Composer avec la tempête dans un parc remarquable, 2012 - Composer avec le changement climatique dans un jardin patrimonial (en cours de rédaction)
La valorisation des métiers et des compétences
La gestion d’un jardin fait appel à de nombreuses compétences. Certains outils ou certaines techniques restent très spécifiques et sont mis en valeur lors des « Rendez-vous aux jardins », dans des conférences ou des films dédiés aux métiers.
À regarder
Le jardinier et son outil, 2009
Le film est tourné en 2009 par Aymeric François sur un scénario de Jean-Michel Sainsard au domaine de Champs-sur-Marne avec le concours du jardinier Gilles Lebobe.
Le jardinier évoque ce qu’était la tonte au croissant des palissades et autres arbres en forme architecturée. Malgré son caractère polyvalent et son rendement, cet outil méconnu est aujourd’hui très peu utilisé.
Journée d’étude sur l’arbre, 2021
La replantation spectaculaire de la grande allée des Tuileries, menée par le Musée du Louvre en 2021, peut être replacée dans le cadre plus large de la gestion des jardins historiques dans le contexte du changement climatique, en donnant la parole aux experts en arboriculture ornementale et en foresterie urbaine.
La journée d’étude sur l’arbre, organisée le 26 mai 2021 par l ‘Établissement public du Musée du Louvre, donne la parole aux spécialistes de la gestion des arbres composant les espaces patrimoniaux.
Le jardin face aux changements climatiques
Depuis plus d’une décennie, les spécialistes mettent en commun, en France et en Europe, leurs constats et leurs méthodologies d’interventions. Cette page présente quelques éléments de bibliographie et des exemples de colloques, journées d’étude ou de conférences mettant en valeur des études de cas et diffusant les recommandations essentielles ou en rendant compte des problématiques actuelles de conservation et de restauration.
Conservation-restauration et dynamiques de valorisation des territoires
Stéphanie de Courtois, maître de conférences ÉNSA Versailles, master Jardins historiques, patrimoine, paysage (JHPP)
Les nouvelles manières d’habiter comme la montée en puissance des inquiétudes et de la conscience écologique remettent toujours plus le paysage au centre des préoccupations des édiles, en particulier en zone rurale et périurbaine. Les défis ne manquent pas devant les difficultés : ressources en eau inégales, usages partagés et parfois conflictuels des chemins et des des forêts, volonté de développer un tourisme vert… Dans la nécessaire remise en question des habitudes, convoquer le regard de l’histoire n’est pas une évidence : en quoi un passé bel et bien révolu peut-il venir nourrir un projet de territoire ? Régulièrement appelés pour mener à bien des diagnostics historiques et paysagers, les chercheurs et étudiants du master Jardins historiques, patrimoine, paysage font l’expérience que la capacité à relire l’histoire longue d’un territoire et à la restituer crée des opportunités de dialogue, de transformation des regards et d’un enrichissement des problématiques, en particulier lorsqu’un ancien domaine en constitue le cœur. Processus autant que résultat, la connaissance du patrimoine paysager invite à relire des modes de gestion, à retisser le lien d’une communauté avec son territoire, à accueillir dans cette histoire les néo-habitants et à éclairer les difficiles choix à opérer. Des exemples de communes (Braine, Bresles, Vivoin et Guebwiller) sont convoqués : la réappropriation de leurs domaines anciens a permis, suivant des modalités différentes et diversement abouties, des avancées vers un territoire plus partagé.
Restaurer l’orme : la graphiose de l’orme et la sélection de variétés résistantes
Jean Pinon, directeur de recherches honoraire, Institut national de la recherche agronomique de Nancy
L’orme est victime de la graphiose, mycose vasculaire entraînant rapidement flétrissement et mort.
Cette maladie a été importée d’Asie au début du XXe siècle puis des États-Unis (forme plus agressive) au début des années 1970. Cette seconde épidémie a décimé gravement l’orme dans toute l’Europe et l’a réduit à l’état d’arbuste.
Pour les arbres de grande valeur, un traitement préventif par injection de fongicide a permis de sauver provisoirement quelques arbres. Envers les insectes vecteurs du champignon (scolytes), aucune méthode de lutte (insecticide, piégeage) n’est apparue efficace et respectueuse de l’environnement. Les ormes indigènes subsistants n’ont pas montré un niveau suffisant de résistance (étude INRAE-Cemagref).
Seule la sélection de variétés résistantes permet la culture d’arbres devenant adultes et durablement sains. Plusieurs sont disponibles, dont des hybrides asiatiques. Une collaboration franco-néerlandaise a permis de sélectionner « Lutèce » et « Vada » (co-sélections INRAE – Alterra), d’ascendance essentiellement européenne et plantés à plus de 300 000 exemplaires en France et dans les pays voisins.
Journée d’étude et de formation : Les jardins face au changement climatique
Les effets du changement climatique sur les parcs et jardins sont observés depuis de nombreuses années au niveau planétaire. La journée d’étude de Rendez-Vous aux Jardins ayant pour thème « Les jardins face au changement climatique » propose de mettre en commun les observations et les réflexions des conséquences du changement climatique sur les jardins en France et en Europe : mutation des saisons, nouveaux parasites, modifications de la palette végétale, changements dans les pratiques de jardinage et sur leur temporalité, évolution du regard que nous portons sur les parcs et jardins.
Le jardinier et le projet, pour une adaptation au changement climatique
Jean-Michel Sainsard, expert parcs et jardins, sous-direction des monuments historiques et des sites patrimoniaux, ministère de la Culture
Percevoir le changement climatique comme un couperet est une vision réductrice du jardin en tant qu’œuvre.
Même si elle est en soi inquiétante, la disparition de certains végétaux ne peut être considérée comme insurmontable à la survie des jardins. À la différence de l'espace forestier, il faut se souvenir que, dans un jardin, les enjeux sont avant tout paysagers. Les paysagistes sont ainsi amenés à repenser les jardins, à créer d’autres formes qui enrichissent le jardin d'autres significations.
L’histoire des jardins, les structures encore en place confirment que la recherche n'est pas nouvelle. L’expérience de végétaux devenant inadaptés, obligeant à reprendre des structures entières, nous rappelle que la réponse est toujours dans le projet, que le jardin historique se compose aussi du paysage alentour, d’axes, de pleins et de vides, du bâti, des usages et pratiques, de l'économie… Cela nécessite de grandes capacités d’ouverture intellectuelle et de pédagogie pour remettre en question certaines formes et compositions historiques. Nous sommes à l'aube d'une nouvelle pensée du jardin historique, qui fait confiance à la capacité du vivant à s'adapter au projet et à la gestion jardinière.
Les actions d’anticipation dans un jardin historique
Odile Bureau, chef du service Jardins, domaine national de Saint-Cloud
La conservation du patrimoine arboré est fondée sur la préservation d’un capital vivant. En effet, l’arbre est un sujet qui grandit et vieillit auprès de nous. Nous assurons, à toutes les étapes de sa vie, un accompagnement afin d’assurer sa bonne croissance et son bon développement. Les arbres plantés en alignement, installés dans un carré boisé, ou choisis pour une composition paysagère ont des contraintes différentes. De plus, les arbres sont comme les autres êtres vivants soumis aux maladies et subissent les ravages d’attaques d’insectes. Les gestionnaires de jardins doivent donc savoir comment agir de façon préventive dans un environnement en pleine évolution. Les tempêtes et les aléas climatiques imposent des contraintes fortes au patrimoine arboré et il faut aussi prendre en compte la protection du public et prévenir les chutes d’arbres pendant ces épisodes de mauvais temps. Enfin, le travail d’anticipation et de projection sur l’avenir est fondamental afin de prévoir le jardin de demain. Il faut sélectionner aujourd’hui les espèces à planter compatibles avec le réchauffement climatique, tout en préservant l’essence d’un jardin dessiné par Le Nôtre, et laisser à nos petits-enfants des arbres remarquables dans le domaine.
Journées professionnelles conservation-restauration Conserver et restaurer le patrimoine culturel, des pratiques et des métiers en évolution
Session 3 – Évolution de la pratique professionnelle : retours d'expériences et enjeux contemporains
Chablis, Volis et Faux Ventis… La tempête du 26 décembre 1999 au parc de Champs-sur-Marne
Jean-Michel Sainsard, expert parcs et jardins, sous-direction des monuments historiques et des sites patrimoniaux
Les tempêtes des 26 et 27 décembre 1999 ont balayé la France avec une violence que l’on ne connaissait pas. Ces deux cyclones extra tropicaux extrêmement puissants sont responsables en Europe de la mort de 140 personnes et de 20 milliards de dollars de dommages matériels. La forêt française, quant à elle, totalise près de 140 millions de mètres cubes de bois abattus. Parmi les monuments historiques, ce sont les jardins qui ont le plus souffert. Des dizaines de milliers d’arbres à Versailles et à Saint-Cloud. Champs-sur-Marne a perdu la totalité de ses bosquets. Si ces tempêtes ont fait prendre conscience du changement climatique, le jardinier du patrimoine s’interroge sur les techniques de restauration et de gestion à mettre en place. Cette réflexion a conduit à la mise en place du plan de gestion de Champs-sur-Marne qui privilégiera notamment la régénération naturelle des bosquets abattus.
Journées professionnelles conservation-restauration Innover pour conserver : recherche et développement en conservation-restauration des biens culturels
Session 2 – Études préalables et diagnostic: nouveaux outils, nouvelles applications
Méthodes de diagnostic et décision de gestion des arbres dans les sites patrimoniaux
Denis Mirallié, ingénieur-paysagiste.
À l’instar de l’amélioration de la connaissance de la biologie de l’arbre et à mesure de la prise en compte de l’arbre hors forêt ou plus couramment d’ornement, les méthodes de diagnostic phytosanitaire ont, depuis quelques années, largement évolué, amenant à évaluer parfois finement l’état sanitaire des arbres. La responsabilité juridique du propriétaire d’arbre en cas d’accident et quelques accidents tragiques (Aix-en-Provence, Strasbourg) ont contribué à développer ces recherches. Néanmoins, aussi fin soit un diagnostic sanitaire, la décision de gestion in fine dépend également de la conjonction de plusieurs autres facteurs qui déterminent un danger.
Extrait de cet ouvrage, un article rédigé à plusieurs voix a été publié dans la revue La Pierre d’Angle, revue de l’Association nationale des architectes des Bâtiments de France
Stéphanie de Courtois, historienne des jardins, Denis Mirallié, ingénieur-paysagiste, et Jean-Michel Sainsard, expert parcs et jardins au ministère de la Culture
« Le jardinier et le projet, pour une adaptation aux changements climatiques », La Pierre d'Angle, Dossier #69 Le climat change… et l’Homme ?, décembre 2016
Journées professionnelles conservation-restauration, Conserver malgré tout ? Limites et défis
Quel avenir sans les buis ?
Jean-Michel Sainsard, expert parcs et jardins, sous-direction des monuments historiques et des sites patrimoniaux, ministère de la Culture
Les parterres de buis des plus fameux jardins du monde sont menacés par les champignons Cylindrocladium buxicola, le Volutella buxi et, dans une moindre mesure, par la chenille du papillon Cydalima perspectalis (Pyrale du buis). Ces maladies incurables et ce ravageur font naître un grand désarroi chez les propriétaires et gestionnaires de jardins. S’il existe un espoir de traitement efficace pour la Pyrale du buis, il est temps d’admettre qu’il n’y aura aucun traitement pour les champignons et que la solution, comme pour la graphiose de l’orme (Graphium ulmi) ou le chancre coloré du platane (Ceratocystis platani), est la découverte d’un clone résistant. C’est une situation grave pour la botanique et la biodiversité, c’est un choc affectif pour le propriétaire et le jardinier, qui doivent se résigner à se séparer de végétaux aimés. Enfin, c’est une problématique financière importante pour certains jardins. Mais est-ce aussi grave qu’on veut bien le dire pour les jardins ? Si le remplacement du buis conduit en topiaire ou en port libre est relativement simple, le remplacement des buis de bordure composant les parterres s’avère plus compliqué. Les pépiniéristes cherchent sans succès la plante présentant les mêmes caractéristiques que le buis. Cette démarche emprunte une fois de plus la route qui mène à la mauvaise porte d’entrée du jardin. On cherche une solution par le végétal et non par le projet. Alors, il faut se rappeler que le parterre est une écriture du moment. Il faut redessiner, recomposer, réinventer ces parterres. Avec de la chance et du génie, Les parterres endormis pourront être réveillés et sublimés.
Constatant une absence de réflexion sur le jardin face aux changements climatiques, un colloque réunissant la plupart des spécialistes européens fut organisé à Potsdam, dans le parc de Sanssouci, en septembre 2014, en coopération avec la Fondation fédérale allemande pour l’Environnement (Deutsche Bundesstiftung Umwelt, DBU) et l’ICOMOS-IFLA (Comité scientifique international des paysages culturels) avec l’objectif de rédiger un ouvrage de recommandations pour la conservation des jardins historiques face aux changements climatiques.
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