Le 16 avril 2019 au matin, les Parisiens n’en croient pas leurs yeux : Notre-Dame de Paris est encore debout. Après un combat qui a duré tard dans la nuit, les brigades de pompiers de Paris mobilisées pendant l’incendie ont remporté une grande victoire : ils ont réussi à préserver des flammes les deux tours de la cathédrale et, ainsi, sauvegarder la structure du bâtiment et la silhouette de l’édifice.
Pour autant, les dégâts sont considérables. Le feu a emporté la charpente du XIIIe siècle et la flèche conçue au XIXe siècle par Eugène Viollet-le-Duc, deux chefs-d’œuvre emblématiques de la cathédrale. La chute de la flèche a créé un trou béant à la croisée du transept, livrant la cathédrale à la pluie et au vent et laissant dans la nef un amoncellement de précieux vestiges de la charpente.
Dès le soir de l’incendie, le Président de la République donne un cap : « rebâtir Notre-Dame » en « cinq ans ». Fonctionnaires du ministère de la Culture et entreprises sont mobilisés comme jamais. Les compétences et savoir-faire rassemblés sont exceptionnels par leur nombre et leur diversité : architectes, ingénieurs, archéologues, conservateurs, scientifiques, charpentiers, maçons, tailleurs de pierre, menuisiers, échafaudeurs, cordistes, restaurateurs de peintures, de sculptures ou de vitraux, facteurs d’orgue, photographes et l’ensemble des équipes administratives… ils sont plus de cinq cents hommes et femmes qui vont, en l’espace de cinq ans, réaliser l’impossible : redonner vie à Notre-Dame.
1 300 pièces du trésor à évacuer
Les conservateurs des monuments historiques présents dès le soir de l’incendie organisent les évacuations nécessaires à la bonne réalisation du chantier de sécurisation. Ainsi, Marie-Hélène Didier, conservatrice des monuments historiques à la direction régionale des affaires culturelles d’Île-de-France, est entrée, avec d’autres agents du ministère de la Culture dans la cathédrale dans la nuit du 15 au 16 avril pour mettre en œuvre le plan de sauvegarde des biens culturels et a coordonné l’extraction des objets précieux du trésor, dont la tunique de Saint-Louis. Les cinquante-six biens récupérés dans les chapelles, dont les cinq pièces exceptionnelles du trésor, sont d’abord déposés dans la nuit à l’Hôtel-de-Ville de Paris puis transportés au musée du Louvre. Pendant quatre jours, les évacuations se poursuivent avec en particulier le transport des grands tableaux. Les tapis du chœur sont également mis à l’abri et le 25 avril, Notre-Dame de Paris, la statue de la Vierge à l’Enfant, est sortie du transept sous l’œil vigilant de Marie-Hélène Didier et de l’architecte en chef. Plus de 100 personnes ont été mobilisées pour ces mises à l’abri des œuvres d’art et du trésor.
Les scientifiques du patrimoine sont mobilisés peu de jours après le sinistre pour organiser avec les archéologues l’identification et l’évacuation des vestiges. Ainsi, Catherine Lavier, ingénieure du Centre de recherche et de restauration des Musées de France (C2RMF), pratique l’archéo-dendométrie, qui consiste à faire parler le bois. Elle a analysé les morceaux calcinés de la charpente pour en tirer des informations très précieuses. « En examinant un morceau calciné de la « forêt » - c'est ainsi qu'on nomme la charpente de Notre-Dame - nous pouvons savoir s’il était placé dans le cœur de l’arbre ou à l’extérieur, vers le haut ou le bas. Avec plusieurs morceaux, nous pouvons déterminer la taille de l’arbre, savoir si son fût était droit ou non, s’il a poussé en montagne ou dans une plaine », explique-t-elle. Ces morceaux n'ont pas été réutilisés pour la restauration mais permettent de retracer la provenance des bois, leurs essences et d'en savoir plus sur les techniques artisanales du Moyen Âge.
Sécuriser la cathédrale - Des cordistes pour des travaux périlleux
Une fois les œuvres d’art exposées dans la nef, le transept et les chapelles de la cathédrale et dans le trésor ainsi que les vitraux de la nef mises en lieu sûr, il s’agit, avant de sécuriser la cathédrale, de s’assurer avant tout de sa stabilisation avec la pose de 28 cintres confortant les arcs-boutants. Dès juillet 2019, ces immenses pièces de bois de plusieurs tonnes sont placées à plus de 10 mètres de hauteur. « Elles doivent contrebalancer la poussée exercée par les voûtes. Si les voûtes tombent, l’arc-boutant risque d’entraîner l’effondrement des murs. Cintrer les arcs-boutants permet d’annuler cette poussée », explique Philippe Villeneuve, architecte en chef des monuments historiques.
Pendant cette phase de sécurisation et de déblaiement, une profession s’est avérée être indispensable : les cordistes. Ils ont œuvré à la préparation de la mise hors d’eau des gargouilles, au bâchage de la nef ainsi qu’au nettoyage des chéneaux. Suspendus aux façades, équipés d’un baudrier, d’un casque, de gants et de masques, ils vont où personne d’autre ne peut aller. C’est pourquoi ils ont été sollicités par les scientifiques travaillant sur le chantier pour faire des relevés photographiques des voutes endommagées ou pour mesurer la résistance mécanique des pierres. « Ces pierres ont subi le feu et l’eau, rappelle Lise Leroux, ingénieure au Laboratoire de recherche des monuments historiques (LRMH). Nous avons réfléchi en direct avec les cordistes pour choisir la technique la plus adaptée à ce que nous voulions évaluer et donner une réponse la plus rapide possible au calcul de structure. »
Tailleurs de pierre, facteurs d’orgue, couvreurs pour restaurer Notre-Dame
Le chantier est ensuite entré dans sa phase opérationnelle avec tout un panel de métiers du patrimoine et de métiers d’art, et notamment la mise en place d’un vaste chantier d’archéologie sous la coordination de la Direction régionale des affaires culturelles (DRAC) d’Île-de-France avec un travail d’inventaire et de cartographie. « Il s'agit pour nous d'une démarche essentielle pour documenter à la fois l’histoire de l’édifice et l’histoire de sa construction, souligne Stéphane Deschamps, conservateur général du patrimoine, à la tête du service régional d’archéologie. Nous traitons les effondrements matériels issus de l’incendie comme nous traitons un amas de débitage de silex du Néolithique. » Le service a notamment prélevé des vestiges qui ont fait l’objet d’études scientifiques et qui sont désormais considérés comme des « biens archéologiques mobiliers » (BAM) au sens du code du patrimoine. Ce chantier d’archéologie préventive a été confié à l’Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP), qui a mobilisé plus d’une cinquantaine d’archéologues et spécialistes ont œuvré lors de 14 opérations.
Tandis qu’à l’extérieur les travaux s’activaient pour la remise en place de la flèche, la reconstitution en chêne des charpentes du chœur et de la nef débute à l’intérieur. Elle a pu se faire grâce à une documentation exceptionnelle rassemblée par les architectes et grâce aux savoir-faire des charpentiers qui ont mis en œuvre des méthodes ancestrales comme la taille à la doloire. La croix du chevet dessinée par Viollet-le-Duc, seul élément de la couverture du chœur ayant survécu aux flammes, a été restaurée et remise en place au chevet, à une quarantaine de mètres du sol. Dans le même temps, la voûte de la croisée du transept a été restaurée. Cette étape a nécessité la pose de près de 7 000 voussoirs – blocs de pierre constituant un arc – et a mobilisé le savoir-faire d’une cinquantaine de maçons-tailleurs de pierre. « Ces deux opérations montrent l’excellence des savoir-faire mobilisés sur ce chantier, des couvreurs et ferronniers d’une part, des maçons et tailleurs de pierre d’autre part », déclare Philippe Jost, président de l’établissement public Rebâtir Notre-Dame de Paris.
D’autres corps de métiers ont été mobilisés, cette fois-ci pour nettoyer un monument très poussiéreux et réduire le risque plomb. Des restaurateurs spécialisés ont procédé au nettoyage des parois, des peintures murales des chapelles et des bas-reliefs de la clôture de chœur, des statues et des garde-corps. Enfin dernière « victime » du sinistre : le grand orgue et ses 8 000 tuyaux, recouverts de poussière de plomb. Ces tuyaux ont été déposés fin 2020, nettoyés par des facteurs d’orgue puis reposés en 2024 avant de procéder à leur harmonisation pendant près de six mois. Autant d’étapes cruciales et symboliques en vue la réouverture de Notre-Dame.
Des Mays, des tableaux et des tapis également restaurés
Ce sont des tableaux des meilleurs peintres du XVIIe siècle comme Charles Le Brun, Laurent de La Hyre ou encore Charles Poerson. Les Mays avaient été offerts à Notre-Dame chaque année au mois de mai, entre 1630 et 1707, par la corporation des orfèvres de Paris. Au total, soixante-seize œuvres ont été progressivement accrochées dans la nef avant d’être dispersées dans des musées ou d’autres églises. En 2019, il en subsistait treize dans la cathédrale. La vingtaine de tableaux non touchés par l’incendie a été étudiée et restaurée sous la direction de la DRAC Île-de-France (conservation régionale des monuments historiques) avec le concours du Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF). Ce chantier d’exception a été mené grâce aux compétences des dizaines de restaurateurs réunis au sein de trois équipes rassemblées dans un atelier spécialement conçu pour faciliter leur travail. Le public parisien a eu l’occasion de les redécouvrir dans la galerie des Gobelins. Autre pièce d’exception : le tapis de chœur monumental de près de 200 m2 commandé par Charles X et offert par Louis-Philippe à la cathédrale. Il a été restauré au sein du Mobilier national et rejoindra la cathédrale à sa réouverture.
Prochain épisode, lundi 18 novembre : le jour où Notre-Dame a retrouvé sa flèche.
Retrouvez nos deux anciens épisodes : les grandes étapes de la renaissance de Notre-Dame et le témoignage de Patrick Zachmann, photoreporter chez Magnum.
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