Quelle place pour l’improvisation dans les lieux d’apprentissage de la musique ? C’est à cette question qu’ont tenté de répondre musiciens et enseignants, en juin dernier à la Philharmonie de Paris à l’occasion d’une journée d’étude. Cet événement est la première pierre de la mission confiée, l'an dernier, par la ministre de la Culture à l’auteur et compositeur André Manoukian sur la place de l’improvisation dans l’enseignement musical. « Cette mission aura à cœur d’identifier les voies et moyens d’une meilleure valorisation de l’enseignement de l’improvisation dans les cursus des élèves des conservatoires et des établissements d’enseignement dans les domaines instrumental et vocal et ce, dès les premières années d'apprentissage », résume Christopher Miles, directeur général de la création artistique au ministère de la Culture.
Cette journée, organisée en partenariat avec la Philharmonie de Paris, a conjugué tables rondes et séances d’improvisation, le tout orchestré par André Manoukian. « L’improvisation est un sujet qui m’a posé beaucoup de problèmes, souligne le musicien. J’ai commencé le piano classique à l’âge de six ans, je ne suis pas allé au conservatoire et c’est à treize ans que j’ai fait ma première rencontre avec le jazz avec un disque de Fats Waller. Pour moi c’était Jean-Sébastien Bach avec du rythme ! » Sa tâche va consister à recenser les pratiques liées à l’improvisation dans l’apprentissage de musiques actuelles, anciennes et traditionnelles. « L’objet de cette démarche sera d’imaginer une pratique universelle pour que les enfants aient un premier accès beaucoup plus facile à l’improvisation. »
Doigts et oreille connectés
Après la théorie – avec deux tables-rondes l’improvisation et développement cognitif puis sur la didactique de l’improvisation dans la formation supérieure – place à la pratique avec une série de séances ludiques, toujours sous la houlette d’André Manoukian. Le compositeur a convié sur scène quelques camarades musiciens et improvisateurs comme Paul Lay, professeur de piano jazz au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris (CNSMDP). « Dès l’âge de cinq ans, raconte le professeur de piano, je ne pouvais m’empêcher de modifier les morceaux que je jouais et j’essayais de retrouver la mélodie des chansons qui passaient à la radio. Ma participation à un atelier d’improvisation – j’avais dix ans – a changé ma vie : à partir d’un matériau simple, on peut créer une musique à chaque fois différente. » Désormais, le pianiste enseigne à des jeunes âgés de 16 à 25 ans. « Ils sont mieux outillés, possèdent plus de ressources avec Internet et leur culture du streaming, poursuit le musicien, qui a également exposé sa manière de voir l’improvisation : Il faut éduquer son oreille, être sûr que ses doigts soient connectés à son oreille. »
Le violoncelliste Guillaume Latil est, quant à lui, un adepte de la méthode Suzuki développée au milieu du XXe siècle au Japon qui propose une approche plus ludique de l’apprentissage musical. « Cette méthode commence par la pratique en groupe et fait passer l’oralité avant l’écrit, constate l’artiste qui s’est ainsi naturellement tourné vers l’improvisation. Ce que j’aime dans le violoncelle, c’est qu’il y a beaucoup d’improvisation et peu d’artistes “tête de gondole”, ce qui permet à chacun d’inventer son propre langage. » Sur scène, il a formé un trio d’impro avec André Manoukian et Mosin Kawa, joueur de tabla, un instrument de musique de percussion de l'Inde du Nord, dont les règles sont très codifiées. « J’ai joué pour la première fois à l’âge de trois ans par mon père. On apprend d’abord le vocabulaire et avant de le toucher, on apprend à compter. »
Dialogue entre répertoire et improvisation
Le Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris a décidé de proposer plusieurs cursus basés sur l’improvisation. Au piano, Jean-François Zygel encadre une douzaine d’élèves du monde entier. L’improvisation avec cet instrument découle directement de l’ancienne tradition de l’improvisation à l’orgue, souvent employée dans le monde liturgique au XIXe siècle. « Ici, on va plutôt partir du répertoire et créer un dialogue permanent entre celui-ci et l’improvisation. Cela permet d’ouvrir de nouvelles perspectives », note Jean-François Zygel qui a proposé plusieurs improvisations à deux pianos et avec le saxophoniste Vincent Lê Quang.
Ce dernier est professeur d’improvisation générative, une forme spécifique enseignée depuis trente ans au CNSMDP. « Ce cursus, fondé sur des principes d’écoute et d’invention musicale instantanée, accueille des musiciens très variés. Son objectif est d’élargir son horizon perceptif : on ne fait pas table rase du passé mais on ajoute de nouvelles couches de perception. » Sur scène, les étudiants se mélangent au public, avec une large diversité d’instruments et même des chanteuses. Chacun est invité à prêter attention aux sons des autres. « L’improvisation, c’est de faire le mieux possible ce qu’on ne pourra jamais refaire », conclut Vincent Lê Quang.
Chaos modéré voire plaisant
La Philharmonie de Paris propose quant à elle depuis 26 ans des ateliers d’improvisation destinés aux débutants et aux amateurs. « Du son à la composition » permet à chacun d’expérimenter la pratique musicale collective par la transmission essentiellement orale. Un aperçu de cet atelier a été proposé aux participants dans le cadre de la journée d’études. Une vingtaine d’entre eux ont dû choisir un instrument qu’ils n’avaient jamais eu entre les mains auparavant et proposer une création totalement improvisée. « L’objectif de cet atelier, c’est que chacun s’y sente bien et de créer un chaos très modéré, voire plaisant ! », explique Christophe Rosenberg, saxophoniste, compositeur, improvisateur et coordinateur pédagogique à la Cité de la musique-Philharmonie de Paris. Pour donner le top départ de l’improvisation aux apprentis musiciens, il ouvre ses paumes. Les tentatives suivantes vont tester des configurations différentes, donnant aux morceaux des esthétiques variées. « Ce qu’on cherche, c’est faire émerger les potentialités de chacun », souligne le compositeur.
Après cette journée, la mission se déploiera en septembre avec la diffusion des travaux et des outils pédagogiques aux enseignants des conservatoires et aux formateurs des établissements d’enseignement supérieurs de la musique dans les conservatoires. La direction générale de la création artistique du ministère de la Culture mènera en parallèle une évaluation nationale pour établir une cartographie des pratiques existantes. Cette journée d'étude sera par ailleurs organisée chaque année à la Philharmonie de Paris pour permettre aux professionnels et aux enseignants d'échanger sur leurs pratiques et méthodes.
Des premières mesures pour l'improvisation
Après cette journée d'étude, place aux premières mesures concrètes. La ministre de la Culture Rachida Dati a présenté jeudi 20 février les premiers résultats et les actions liées à la mission sur la place de l'improvisation dans l'enseignement musical confiée à André Manoukian.
Face au manque de mise en valeur de l’improvisation dans les programmes d'enseignement, le partage des pratiques entre professionnels va être facilité grâce à des « ambassadeurs de l'improvisation », un réseau de musiciens susceptibles de transmettre leur pratique de l’improvisation. Ils tourneront de courtes vidéos mises en ligne sur les réseaux sociaux pour donner une méthode d'apprentissage par le « faire ». Certains d'entre eux pourront aller, au fil de leurs tournées, à la rencontre d'enseignants, d'élèves ou d'étudiants en musique intéressés par l'improvisation.
Par ailleurs, la Ministre a fixé pour objectifs de développer les compétences des enseignants en matière d'improvisation avec la délivrance, dès l’année scolaire 2025-2026, d'un Diplôme national de musique centré sur l'improvisation ainsi que la création d'un Diplôme d'État et un Certificat d'Aptitude de professeur de musique dans ce domaine. Le nombre d'heures consacrées à l'apprentissage de l'improvisation dans les conservatoires va être augmenté et ne sera donc plus limité à une simple initiation. L'improvisation sera également mise en valeur dans les maquettes pédagogiques des établissements et dans le Référentiel d'activités professionnelles, de certification et d'évaluation du Certificat d'Aptitude. Enfin les enseignants pourront monter en compétences grâce à la formation continue.
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