Vingt ans suffisent à établir une réputation. Celle du label « Jardin remarquable » – et dans son sillage, celle des « Rendez-vous aux jardins », manifestation nationale plébiscitée par le public – n’est plus à faire. À tout point de vue – histoire, palette végétale, composition... – les jardins labellisés, sélectionnés par des groupes de travail qualifiés, sont des lieux d’exception. « Les 470 parcs et jardins remarquables, qui tous bénéficient d’un accompagnement des directions régionales des affaires culturelles, sont représentatifs des savoir-faire et de la créativité de ceux qui mettent en valeur ce patrimoine végétal », assure Jean-François Hebert, directeur général des patrimoines et de l’architecture au ministère de la Culture. Deux caractéristiques ont récemment enrichi le label : une dimension écologique (« ces jardins contribuent à la protection de l’environnement et sont un refuge pour la biodiversité ») et une dimension de rayonnement à l’étranger (« une vingtaine de parcs ont, depuis 2020, été labellisés dans une région de Belgique : la Wallonie »). À noter : l’importance du rayonnement du label dans l’Union européenne, dont témoigne l’existence de l’Association des amis des jardins remarquables européens (AAJRE), dont la vocation est de fédérer les jardins labellisés.
Côté critères de sélection, les évolutions du label sont, elles aussi, particulièrement significatives. En 2004, le ministère de la Culture a souhaité que le label soit « renouvelable tous les cinq ans » car, selon Quitterie Delègue, administratrice générale adjointe de l’établissement public du château de Fontainebleau, qui avait contribué à la fondation du label il y a vingt ans, un jardin non entretenu « perd progressivement de sa substance ». En parallèle, le label poursuit sa mue sur la voie de la « démocratisation » et de « la diversification de l’accès au public ». « En mettant à l’honneur des jardins populaires et contemporains, on a élargi son « éventail ». Et en signalant des lieux d’exception, le label a acquis une véritable dimension touristique », poursuit Quitterie Delègue.
L’exemple des Hauts-de-France, région pionnière avec ses quatorze jardins labellisés dès 2004, est significatif de cet élargissement. « Depuis cette date, nous n’avons cessé d’œuvrer à l’élargissement du corpus des jardins labellisés, un travail qui commence toujours par l’analyse de la composition du jardin et se nourrit de nos échanges avec les propriétaires et les jardiniers », explique Sandrine Platerier, chargée de protection des monuments historiques et correspondante jardin à la direction régionale des affaires culturelles. Parc Barbieux à Roubaix, jardin du mont des Récollets, parc du Louvre-Lens, jardin reliant les gares de Lille-Flandres et Lille-Europe, jardins du château de Blérancourt..., la liste des labellisations intervenues ces dernières années est éloquente. Et ce n’est sans doute pas fini « Il y a encore des pépites, dit Sandrine Platerier, le parc de Corbeil-Cerf et le jardin du LAAC (Lieu d’art et Action contemporaine) à Dunkerque sont candidats à la labellisation. »
Mieux connaître l’écosystème des « Jardins remarquables »
C’était un moment très attendu de la journée : le dévoilement des résultats d’une enquête du département des études, de la prospective et des statistiques du ministère de la Culture destinée à mieux connaître les propriétaires-gestionnaires des jardins, ainsi que leurs publics. Car, si on avait une vision précise de la cartographie et de la typologie des jardins labellisés, il manquait, selon Virginie Gadenne, cheffe du bureau de la conservation des monuments historiques immeubles, « d’éléments tangibles, en particulier sur les attentes des propriétaires gestionnaires et du public ». L’enquête quantitative menée auprès des propriétaires a recueilli 268 réponses. Quant à l’enquête auprès des publics, elle a été déployée dans trois régions : Île-de-France, Grand Est et Nouvelle Aquitaine. Au total, 1818 questionnaires ont été collectés.
Qui sont-ils ces gestionnaires et propriétaires de jardins remarquables ? Notons d’abord que la moitié d’entre eux a répondu, « ce qui montre leur implication », relève Noémie Couillard, sociologue indépendante de l’agence Voix/Publics, qui a contribué à l’étude. Le propriétaire est majoritairement un homme diplômé de plus de 60 ans. Son activité professionnelle est souvent en lien avec la gestion de ce type de jardin. S’agissant du niveau de satisfaction des propriétaires, il est élevé : 39% de gestionnaires se disent « très satisfaits » et 41% « satisfaits ». Si nombre d’entre eux reconnaissent que le label est un atout touristique, en revanche « 28% jugent la procédure de labellisation trop complexe ». Pour 39% des gestionnaires, le label a poussé à une plus grande ouverture. La manifestation nationale Rendez-vous aux jardins est perçue comme un événement incontournable. L’entretien se fait dans le respect des bonnes pratiques environnementales : « 62% travaillent au renforcement de la biodiversité, 42% utilisent des traitements naturels contre les nuisibles ». Les attentes des propriétaires portent principalement sur la communication et les aides dont ils pourraient bénéficier, mais aussi sur l’animation du réseau et l’accompagnement scientifique et technique.
Même satisfaction du côté des visiteurs. Interrogés sur leur visite, « 8 visiteurs sur 10 attribuent une note de 8 à 10 », indique Noémie Couillard. Ils sont en ce sens « prescripteurs de leur visite ». Les trois éléments sur laquelle se fonde leur appréciation sont « l’ambiance, l’accueil et le tarif ». Nombreux sont ceux « à avoir vu leurs attentes dépassées lors de la visite ». La visite est inscrite dans la vie quotidienne : 33% des visiteurs viennent du département même où est situé le jardin. 58% des visiteurs sont des femmes. 50% des publics sont en activité (45% sont titulaires de masters ou de doctorats, un niveau élevé de diplôme partagé avec les propriétaires). À noter que peu d’étudiants, 7% seulement des visiteurs, fréquentent les jardins remarquables. Pour remédier à cette lacune, plusieurs pistes ont été évoquées, dont celle du pass Culture. S’agissant de leurs attentes, plusieurs participants font part de leur intérêt pour l’histoire du jardin et la reconnaissance des plantes sur place.
Deux exemples de jardins remarquables en plein essor
S’il est des visiteurs satisfaits de leur visite, ce sont bien ceux du jardin du château de Talcy. D’une superficie de sept hectares, comprenant trois parties distinctes – cours, parterres, jardins utilitaires – ce jardin conçu au XVIe siècle « a connu son apogée au XVIIIe siècle lorsque potagers et vergers ont fait leur apparition », précise Julien Taulard, chef jardinier des châteaux de Talcy, Fougères-sur-Bièvre et Châteaudun. Le jardin est labellisé dès 2004, mais perd son label en 2010. La raison ? « Un manque de cohérence générale ». Un coup de tonnerre qui pousse ses gestionnaires à mettre en place une impressionnante « stratégie de reconquête du label ». Analyse des dysfonctionnements, adoption des lignes de conduites suggérées par la DRAC, aide de l’Association des parcs et jardins en région Centre-Val de Loire sur le volet formation, priorisation des objectifs... Rien n’est laissé au hasard. Une stratégie couronnée de succès : étalement du fleurissement, meilleure lisibilité et valorisation des parterres, aménagement des espaces délaissés, création de deux carrés de lavande, tous les projets ont été réalisés. « Le regard du public a changé, nous constatons la venue d’un public différent, confie Julien Taulard. Notre ambition aujourd’hui est de faire en sorte que les jardiniers soient pleinement reconnus. Ce label est le leur ».
Autres lieux d’élection, les jardins botaniques, dont une proportion significative est labellisée jardin remarquable. Leur vocation est, selon Régis Crisnaire, conservateur du jardin botanique de Paris et administrateur de l’Association des jardins botaniques de France et des pays francophones, de « présenter des variétés végétales ». « Pour cela, nous constituons un dossier d’œuvre sur chacune de nos plantes. Elles sont nos œuvres d’art. Elles sont documentées comme telles. Les données autour de la plante sont aussi importantes que la plante elle-même ». Spécificité des jardins botaniques : tous respectent une charte, qui « garantit que le jardin est agréé ». Pour les jardins qui ne le sont pas encore, mais dont on juge qu’ils sont « prometteurs », il existe par ailleurs une procédure de parrainage. « Rendez-vous dans les jardins botaniques et remarquables ! », lance Régis Crisnaire, après avoir égrené les qualités du jardin botanique de Paris, magnifique ensemble de quatre sites – le Parc floral et l'Arboretum dans le bois de Vincennes, le parc de Bagatelle et le jardin des Serres d'Auteuil dans le bois de Boulogne – qui abrite plus de 15 000 espèces et variétés de plantes.
Un ouvrage pour tout connaître sur le patrimoine des parcs et jardins
Publié par les Éditions du patrimoine à l’occasion des vingt ans du label, le beau livre intitulé Jardins remarquables « est le cadeau de Noël idéal », dit son directeur Antoine Gründ. Jardin à l’italienne de l’abbaye Saint-André à Villeneuve-lès-Avignon, jardin du prieuré de Vauboin peuplé de buis, Conservatoire botanique de Brest... On écarquille de fait les yeux à chaque page.
32 jardins ont été retenus parmi les jardins historiques ou contemporains, vivriers ou de collection. Cécile Niesseron, son autrice, salue « l’extraordinaire aventure humaine » qu’a été la réalisation du livre : « Chacun m’a envoyé une documentation très riche puis j’ai interrogé tous les intervenants des jardins choisis ». Sur le mode « il était une fois », le livre est très « incarné » confirme Antoine Gründ.
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