Avec eux, l’architecture est une affaire de famille. D’un côté le père, Gilles Perraudin, qui exerce depuis près de 50 ans, à Lyon mais aussi dans le sud de la France et en Afrique. De l’autre le fils, Jean-Manuel. Tous les deux sont associés depuis 2017 au sein de l’Atelier d’architecture Perraudin, qui a remporté en décembre dernier le Grand Prix national d’architecture. Créé en 1975, ce prix est la plus haute distinction nationale dans le domaine de l’architecture et récompense une agence implantée en France pour l’ensemble de son œuvre. « C'est un plaisir, une joie, la reconnaissance de la valeur du travail accompli mais aussi un encouragement à poursuivre l’engagement qui est le mien depuis aussi longtemps », résume Gilles Perraudin.
Cet engagement, c’est celui d’une architecture décarbonée qui utilise des matériaux biosourcés, naturels et locaux comme la pierre, le bois ou la terre. « Ils tiennent très longtemps, et surtout dans des conditions sanitaires et écologiques viables et vivables, ce qui est le plus important », précise Jean-Manuel. « Ce sont ceux qui ont le plus bas bilan carbone. Autre avantage : ils durent plus longtemps car ils sont réutilisables à l’infini », ajoute Gilles Perraudin, qui s’inspire de l’architecture dite vernaculaire, propre à une région et basée sur la relation entre l’homme, le climat et l’habitat. Le duo se soumet totalement à cette matière qui permet « d’engendrer des formes qui ont du sens » et « de sortir des systèmes formalistes esthétisants ».
Pierre, bois et terre
Gilles Perraudin a baigné dans le « faire » depuis tout petit, en cultivant son esprit créatif par sa passion du cinéma, de la photographie ou de la musique. « Je me suis intéressé à l'architecture assez rapidement. Quand j'étais jeune, j’aimais beaucoup dessiner, concevoir des automobiles. J'avais découvert que Pininfarina, le célèbre designer d'automobile de Ferrari, avait fait des études d'architecture. » Dans le même temps, il découvre par lui-même l'œuvre complète de Le Corbusier, qui achève de confirmer cette vocation. Il entreprend des études d'ingénierie à l'École de La Martinière à Lyon puis d’architecture à l'École d’architecture de Lyon, dans les années 70.
C’est à ce moment-là que se forge sa prise de conscience sur l’impact de la construction et la surexploitation des ressources naturelles. « Dans ces années-là, on avait une parfaite conscience des problèmes écologiques, explique-t-il. On savait de toute façon que l’on ne pouvait pas continuer à vivre en consommant les ressources planétaires et qu'il fallait repenser les choses sur ce plan-là. » Il trouve à l’époque comme source d’inspiration le penseur Ivan Illich, le Club de Rome ou encore les mouvements américains alternatifs comme Drop City. Autant de références qui se retrouvent également dans celles de Jean-Manuel. « J'ai été élevé avec les mêmes idéologies, les mêmes pensées. Gilles m'a instruit donc il était inné pour moi de suivre sa direction. »
Maisons passives et enveloppe microclimatique
Ces concepts trouvent leurs premières réalisations. Pendant ses études, Gilles Perraudin se lance dans la construction de maisons en ossature bois. En 1980, il est lauréat du premier concours européen d’énergie solaire passive grâce à une maison qui contient déjà tous les grands principes appliqués dans ses futures réalisations comme « l’enveloppe microclimatique » de l’Akadémie Mont Cenis de Herne en Allemagne. Dans les années 80, il s’associe à Françoise-Hélène Jourda, qui partage comme lui la même vision d’une architecture sociale. Ensemble, ils vont imaginer l’École nationale supérieure d’architecture de Lyon, un bâtiment fondé sur des principes bioclimatiques qui remporte en 1987 une mention spéciale au prix de l’Equerre d’argent.
Soucieux de « ne vivre que dans des lieux qu’[il a] construit », Gilles Perraudin applique ses préceptes à ses propres lieux d’habitations comme la maison lyonnaise familiale dans le quartier de Vaise, tout en bois, autoconstruite et conçue pour ne pas endommager la végétation existante. C’est dans toutes ces expérimentations que Jean-Manuel a grandi. « J’ai d’abord joué dans les maquettes, confie-t-il. J’ai ressenti très jeune ce rapport à la construction. » Dès l’âge de cinq ans, il voit son père construire le chai de Vauvert, situé dans le sud de la France, un premier bâtiment en pierre massive qui tient une place particulière chez la famille puisqu’il est à la fois lieu de vie, de travail et d’expérimentation, le tout en lien avec une autre vocation du domaine : la viticulture. Ces travaux à la fois professionnels et personnels ont permis aux deux hommes de comprendre l’importance d’une notion souvent passée sous silence : le bien-être des habitants. « L’architecture est faite pour rendre les gens heureux. Cela rend ce métier extraordinairement difficile puisque nous avons une immense responsabilité », résume Gilles Perraudin.
De Lyon au Sénégal
Depuis des décennies, la famille Perraudin a trouvé un autre espace de création : l’Afrique, un continent que Gilles a découvert grâce à l’architecte André Ravéreau. Ensemble, ils ont voyagé dans plusieurs régions, notamment celles du Mzab en Algérie, et au Sénégal. « J’y ai rencontré des personnes qui faisaient de l’architecture avec des matériaux locaux », se souvient Gilles Perraudin. C’est là qu’il affine sa connaissance de la construction en terre avec l’utilisation du pisé, un mode de construction en terre crue déjà utilisé pour la réalisation de quatre maisons à L’Isle-d’Abeau (Isère) près de Lyon. Pour la réhabilitation de la Villa Ndar au Sénégal, lieu d’accueil d’artistes, il respecte la culture constructive particulière de la ville de Saint-Louis. Cette maîtrise des techniques passe par un important travail de recherche en amont. Pour Vauvert, ils ont par exemple consulté d’anciens traités sur la pierre. « Mais les connaissances sur les constructions en terre et en bois sont plus importantes que pour les matériaux non naturels, souligne Jean-Manuel. Les anciens l’ont fait, pourquoi pas nous ? »
Après avoir exercé seul son activité dans les années 2000, Gilles Perraudin s’est associé à son fils au sein de l’AAP, basé aujourd’hui à Lyon et dans le sud de la France. Ils militent ensemble pour une meilleure connaissance des matériaux naturels, qui passe notamment par l’apprentissage de la matière aux étudiants en architecture. « La matière est directement liée à l'acte de construire et donc au maître d'œuvre. La responsabilité architecturale n'est plus entre les mains des architectes, mais entre celles des constructeurs », explique Gilles Perraudin, qui a fondé l’Académie de la pierre, qui permet d’organiser des formations pour permettre aux jeunes professionnels de comprendre les enjeux de la construction avec ce matériau. Pour mieux sensibiliser les architectes de demain aux impératifs d’une architecture décarbonée.
Le Grand Prix national de l’architecture, récompense d’une œuvre
Jean Nouvel, Rudy Ricciotti, Christian de Portzamparc, ou encore Paul Chemetov et Paul Andreu... Tous ont inscrit leur nom au palmarès du Grand Prix national de l’architecture. Créé en 1975, ce prix est la plus haute distinction nationale dans le domaine de l’architecture et récompense, pour l’ensemble de son œuvre, une agence implantée en France. Le prix s’adapte aujourd’hui à l’évolution de la pratique architecturale, en veillant à sélectionner des agences d’architecture plutôt que des individus et en introduisant plus de parité parmi les finalistes. Le parcours professionnel, la capacité à transmettre et à innover sont quelques-uns des critères de sélection des lauréats.
L’Atelier Architecture Perraudin a reçu, mardi 4 février, des mains de la ministre de la Culture le diplôme créé par l’artiste Daniel Buren. Une exposition monographique lui sera consacrée au sein de la Cité de l’Architecture et du Patrimoine et sera accompagnée d’un ouvrage. Gilles et Jean-Manuel Perraudin assureront par ailleurs des conférences à destination des étudiants en architecture.
Partager la page