Faire de la France l’un des leaders de la production de contenus culturels : c’est l’un des dix objectifs de France 2030, le plan d’investissement tourné vers l'avenir et l’innovation. Doté de 1 milliard d’euros, le volet « culture » de ce plan, placé au service des industries culturelles et créatives (ICC), se déploie dans plusieurs directions stratégiques, dont la transition écologique et les solutions de billetterie innovantes.
Jeudi 13 juin, le forum Entreprendre dans la Culture a consacré une journée entière à ce plan, en revenant sur l’opportunité que représente France 2030 pour le développement des industries culturelles et créatives. Compte-rendu de tables-rondes qui ont porté sur le deuxième volet d’Alternatives vertes, l’appel à projets qui vise à accélérer la transition écologique des entreprises culturelles, et sur les « Solutions de billetterie innovantes », dont l’objectif est de donner aux institutions culturelles une meilleure maîtrise des données produites par leurs activités afin d’optimiser la commercialisation des offres culturelles.
Transition écologique : les musées en pointe…
Les entreprises du secteur muséal sont bien représentées parmi les lauréats de l’appel à projets « Alternatives vertes ». Une donnée qui n’étonne pas la filière. Le ministère de la Culture s’est doté, pour lui et pour les secteurs culturels, au rang desquels celui des musées, d’un « Guide d’orientation et d’inspiration pour la transition écologique de la culture », qui le place en pointe en matière de responsabilité environnementale.
Le projet « Prenons le contrôle du climat » présenté par ICOM France, la section française du Conseil international des musées, vient ainsi d’être retenu au titre de l’appel à projet « Alternatives vertes 2 ». « Le contrôle du climat dans les salles d’exposition et les réserves est un des aspects du secteur muséal qui génère le plus d’émission de carbone », explique Hélène Vassal, pilote du groupe de travail dédié au développement durable au sein d’ICOM France. Regroupant dix musées – dont le Musée des civilisations et de l’Europe (Mucem), à Marseille, le Palais des Beaux-arts, à Lille, ou encore le musée des Confluences, à Lyon, qui vont tous bénéficier de l’expertise du Centre de Recherche et de Restauration des Musées de France – le projet vise précisément à réduire collectivement l’empreinte carbone du secteur avec l’objectif à terme de « participer à l’évolution des règles internationales en matière de conservation ».
Avant lui, d’autres projets ont pris leur envol grâce au plan France 2030. C’est le cas de « L’Augures Lab Scénogrrrraphie », le réseau professionnel pour penser l’éco-scénographie, que développe l’association des Augures. « Le projet a permis de structurer des groupes de recherche. Vingt-sept métiers sont représentés au sein du réseau. Tous les points de vue sont exprimés », se félicite Sylvie Bétard, co-fondatrice des Augures. C’est aussi le cas de Plinth, première plateforme de mutualisation des scénographies d'exposition. « Le principe est simple : les acteurs du secteur culturel ont tous du matériel. Plutôt que de le jeter, l’idée est que chacun le mette à disposition », résume Fanny Legros, sa co-fondatrice. Assistance à maîtrise d’ouvrage, service sur mesure de gestion des scénographies en fin d’exposition, c’est une offre « clé en main » que propose aujourd’hui la plateforme.
Transition écologique : … mais aussi le jeu vidéo, les instruments de musique, etc. !
Dans le sillage des musées, l’expertise mobilisée par les lauréats tous secteurs confondus impressionne. Le jeu vidéo et les musiques actuelles se sont ainsi l’un et l’autre dotés de calculateurs d’impact environnemental. Pour tester ce nouvel outil, il a été fait appel à des « entreprises pilotes réparties sur l’ensemble du territoire », explique Geoffrey Marmonier, responsable du projet RSE pour le Consortium national du jeu vidéo pour l'environnement (SELL). « Nous avons pris le périmètre complet d’une entreprise de jeu vidéo, non seulement les achats de produits, les déplacements…, mais aussi l’impact du jeu quand il est utilisé, ainsi que trois indicateurs supplémentaires : l’extraction de matière, l’eau, et l’énergie primaire », poursuit-il. Le calculateur d’impact environnemental pour les musiques actuelles a quant à lui pour objectif « d’aider les directeurs de salles à piloter leur stratégie RSE », indique Maxime Faget co-fondateur de Fairly. A côté de l’impact environnemental proprement dit, il intègre des données à caractère économique et sociale, telles que la parité dans les équipes ou la question de l’écart salarial. « On rassemble des données hétérogènes dans un référentiel commun et on aboutit à un score à trois branches », résume Maxime Faget, une proposition en phase avec le « désir de transparence du public ».
La fabrication des instruments de musique vit elle aussi une petite révolution. Du fait de la dégradation du bois tropical majoritairement utilisé, « le commerce international est de plus en plus réglementé ce qui est susceptible de mettre en danger toute une filière », indique Romain Viala, chercheur, responsable du pôle recherche et innovation à l’Institut technologique Européen des Métiers de la Musique (ITEMM). D’où l’idée de mettre en place « une chaîne d’approvisionnement 100% local ». L’essai est transformé : les recherches menées par l’ITEMM pour trouver sur le territoire métropolitain des essences de substitution permettent aujourd’hui de disposer d’un bois « dont les propriétés sont identiques à celles du bois tropical ».
La Main, foncière culturelle installée sur le territoire de Plaine-Commune joue quant à elle la carte de la complémentarité avec la coopérative « Plaine énergie citoyenne » laquelle a notamment généralisé la mise en place de panneaux solaires sur les parkings des supermarchés. « Nous revendons l’énergie que nous ne consommons pas, explique Laura Aufrère, sa coordinatrice. Les revenus que nous en tirons nous permettent d’accueillir des artistes en résidence ». Une formule gagnant-gagnant. « Nous avons trouvé un modèle économique robuste au service de la production artistique et de la transition écologique », se félicite-t-elle.
Autre exemple dans le domaine de l’architecture et du patrimoine. Pour garantir la « survie de la filière « terre crue » concurrencée par le parpaing et le béton », dit Nathalie de Loriol de l’association Art. Terre Mayotte, le projet AMATECO a pour objectif de créer un lieu physique pour structurer l’ensemble des acteurs de la filière.
Pour contrer l’impact environnemental généré par la mobilité du public et des artistes, Le Périscope, petite salle de concert lyonnaise, prend toute sa part dans l’accompagnement du secteur de la musique live avec le projet « Landscape » décliné en trois axes, « formation, coopération territoriale, études et analyses », détaille Mathilde Sallez, sa responsable des projets européens.
Le cinéma n’est pas en reste. La Cabinerie, société créée en 2022, qui a conçu son modèle économique sur le reconditionnement des projecteurs, va construire grâce au soutien du plan France 2030 une usine de démantèlement, de recyclage et de dépollution des équipements avec un objectif : « reconditionner 10 à 15 % du parc français de projecteurs d’ici 2028 », indique son président Olivier Douet.
La billetterie en pleine révolution
L’interopérabilité des données rend tout, ou presque, possible en matière de billetterie. La preuve avec les lauréats de l’appel à projets « Solutions de billetterie innovante ». « Pour l’essentiel, ce sont des TPE et des jeunes PME soutenues au total à hauteur de 6,9 millions d’euros », observe Inès Piat, chargée de mission à la Caisse des dépôts.
La plateforme de commercialisation BAM Ticket va ainsi introduire un widget de réservation au sein des pages spectacles. « Un théâtre qui n’a pas de site internet disposera ainsi d’un outil de réservation, dit Charlotte Rondelez sa présidente, notre but est avant tout de rendre visible le spectacle vivant ». Ciné Sociéty va, selon son président Thierry Delpit, « mutualiser les données de billetterie pour toutes les salles indépendantes ». Un chantier dont une donnée suffit à elle seule – « 83% des spectateurs fréquentent un seul cinéma » – à en démontrer la pertinence. « Les organisations ont besoin de connaître leur public, d’acquérir un nouveau public et d’optimiser leurs revenus », dit Etienne Kemlin, directeur de Festik, acteur historique de la billetterie qui s’apprête, avec le projet Dataticket, « à faire appel à des technologies issues de l’intelligence artificielle » pour répondre à ce triple défi. Billetterie, logiciel, gestion de la relation client… l’écosystème de Supersoniks est constitué de « briques indépendantes et modulaires », précise Franck Lollierou son co-gérant. Il en comptera bientôt une de plus grâce au soutien apporté par le Plan France 2030 qui vise à accélérer ses évolutions technologiques, développer de nouvelles fonctionnalités et créer de nouveaux services.
Enjeu capital, fédérant un grand nombre d’acteurs, celui d’une offre sur laquelle les producteurs d’événements gardent la main. Pour le projet de billetterie en placement numéroté de Weezevent, « la data appartient à 100 % au producteur et à l’organisateur », dit Nordine Gherib son directeur commercial. La solution de billetterie RNDV propose « un socle technologique unique qui à travers RNDV+ et RNDV s’adresse aussi bien aux gros qu’aux petits producteurs d’événements », selon son co-fondateur Gautier de Richoufftz. Le logiciel de commercialisation développé par Reelax Tickets, « doit aider les organisateurs à développer leurs propres solutions », explique Maxime Lignel, son co-fondateur. « Entre l’artiste et le public, il y a beaucoup d’intermédiaires », dit Robin Champseix, président de Smooth qui souhaite avec le projet « Billy » « faire en sorte que tout se passe dans un seul et même parcours d’achat ». TiBillet, solution de billetterie coopérative locale installée à La Réunion, propose des outils libres d’utilisation pour les petits producteurs d’offres culturelles. Son ambition aujourd’hui est de créer de la valeur partagée pour l’ensemble des parties prenantes grâce notamment « à une carte d’adhésion dont l’utilisation passe d’un lieu à plusieurs sur un même territoire d’implantation », explique Jonas Turbeau, son initiateur.
Reste une question : est-il nécessaire aujourd’hui d’investir autant dans le code informatique ? La réponse de Gautier de Richoufftz est sans ambiguïté : « Les projets présentés aujourd’hui entérinent un changement de paradigme pour le marché de la billetterie. C’est une concurrence à la loyale. Avec ces lauréats, le ministère de la Culture ouvre une nouvelle voie ».
Partager la page