La situation des femmes dans le monde, plutôt que la guerre en Ukraine, les routes de la drogue, les premiers réfugiés climatiques des États-Unis, le risque de pénurie mondiale d’eau ou la raréfaction des ressources naturelles ? Dans une actualité aux perspectives souvent très sombres ou dramatiques, ce n’est sans doute pas le sujet le plus spectaculaire (encore que…), mais c’est celui qui, à l’heure où la place des femmes est souvent fragile, voire menacée, s’est imposé à nous par son ampleur et sa profondeur. Et aussi par ce qu’il faut bien appeler son universalité.
Preuve en est à la prochaine édition de Visa pour l’image, l'indispensable festival de photojournalisme qui se tiendra du 2 au 17 septembre à Perpignan. Cette année, pas moins de trois reportages retenus par le festival sont consacrés à la condition des femmes dans le monde. C’est le cas en Iran, où la mort de l’étudiante Mahsa Amini en 2022 a déclenché une révolte dont on n’a pas encore mesuré toutes les conséquences, et en Afghanistan, où le régime des Talibans s’est employé à rendre les femmes « invisibles ». C’est le cas aussi – bien qu’il se passe dans une démocratie libérale et non dans un pays totalitaire – aux États-Unis où le doit d’avorter sur l’ensemble du territoire a été supprimé en 2022. Avec les terribles conséquences que montre l’exposition.
Iran : un peuple tout entier derrière la révolte des femmes
Quelques-unes de ces images sont devenues iconiques : foules de femmes brandissant leurs foulards au-dessus de leur tête ou scandant pour la première fois le slogan « femme, vie, liberté », scènes de danse libératrices… Toutes, elles symbolisent aux yeux du monde la révolte contre le régime iranien en réaction à la mort en septembre 2022 de Mahsa Amini, cette étudiante, arrêtée « au motif que son foulard n’était pas porté correctement », qui a été battue à mort pendant sa garde à vue.
Parmi toutes ces images, observe Marie Sumalla, rédactrice au service photo du Monde, co-commissaire de l’exposition présentée à Visa pour l’image avec sa collègue Ghazal Golshiri, journaliste au service international du quotidien du soir, « quasiment aucune n’émane d’une source officielle », en revanche, les réseaux sociaux, le seul canal facilement accessible à la jeune génération, va très largement contribuer à révéler de façon inédite la révolte qui embrase le pays. « Immédiatement, les Iraniens se filment et se photographient », constate la journaliste, en expliquant que les manifestants « vivent à l’époque des réseaux sociaux et revendiquent une normalité ».
C’est ce corpus, enrichi à l’occasion de « Tu ne meurs pas », l’exposition présentée à Perpignan, dont Le Monde va s’emparer pour couvrir les événements, notamment pour illustrer le papier de référence publié en février. Pour autant, il faut documenter et vérifier les sources en veillant à ce chacune soit renseignée avant toute publication. « Nous avons demandé à un collectif de photographes iraniens de vérifier la provenance, l’identité et les lieux des photographies », souligne Marie Sumalla.
Sans surprise, la question du corps est centrale dans l’exposition : corps de Mahsa Amini, bien sûr, mais aussi corps des manifestantes, qui répond à un appel irrésistible de liberté... « Parmi les victimes de la répression, beaucoup avaient entre 20 et 25 ans, souligne la journaliste. Les familles ont publié des vidéos où on les voit danser, où les jeunes femmes, en un geste magnifique qui peut leur coûter la vie, envoient balader le voile, véritable étendard de la République islamique d’Iran. A l’évidence, leur geste est éminemment politique ».
Un livre Tu Ne Meurs pas pas édité par GwinZegal et Tipping Expected accompagne l’exposition.
Afghanistan : les femmes premières victimes des Talibans
« Le pays le plus triste du monde et le pire pays pour les femmes » : c’est sous ce titre sans appel qu’est présenté le travail en Afghanistan réalisé pour Associated Press par le photographe iranien Ebrahim Noroozi, plusieurs fois lauréat du World Press Photo. Celui-ci montre de façon sèche, implacable, la réalité d’un pays qui s’enfonce dans la misère depuis le retour des Talibans au pouvoir, il y a deux ans. Rappelons que, selon le programme alimentaire mondiale des Nations Unies, la moitié de la population est dans une situation de faim aiguë et six millions de personnes sont au bord de la famine.
Pour preuve, l’image poignante d’un enfant que sa famille, en difficulté, a contraint à travailler dans une briqueterie de la périphérie de Kaboul. Ce cliché est d’autant plus poignant que l’enfant semble résigné à subir son sort avec fatalité. Les femmes sont aussi les premières victimes de la situation. Elles sont l’objet, selon Ebrahim Noroozi, d’une « véritable invisibilisation ». « Les Talibans ont interdit aux filles d’aller au collège et au lycée, et aux femmes de faire des études universitaires. Ils les ont exclues de la fonction publique, ont interdit aux ONG de les employer et créé tant d’autres obstacles qu’il est quasiment impossible pour les femmes de travailler en dehors de chez elle », explique le photographe.
S’il est une autre image saisissante, c’est bien celle prise par le photographe dans une école religieuse pour filles restée ouverte après le retour au pouvoir des Talibans : des jeunes filles entièrement voilées sont assises derrière des pupitres où aucun manuel ou presque n’est posé. On ne voit que leurs yeux, qui témoignent d’une insondable tristesse, parfois seulement une tête baissée, qui semble dire la soumission. Au fond de la salle de classe est assis un impitoyable censeur que l’on devine prêt à sévir à la première incartade. Glaçant.
États-Unis : droit à l’avortement, l’annulation de tous les dangers
Il y a un an, Stephanie Sinclair, prix Pulitzer, connue pour son travail sur les droits humains, a passé pour le New York Times deux semaines en immersion dans une clinique de Cleveland (Ohio). Un établissement exemplaire en matière de soins dans les cas de grossesses à haut risque sur lequel plane une lourde menace depuis que la Cour suprême américaine a annulé l’arrêt v. Wade qui garantissait depuis 1973 le droit des femmes à avorter sur tout le territoire des États-Unis. « Certaines circonstances peuvent mettre les femmes et les grossesses en danger. C'est pourquoi tant d'obstétriciens considèrent la possibilité d'interrompre une grossesse comme essentielle : les médecins doivent avoir accès aux procédures d'avortement pour pouvoir prodiguer des soins et sauver des vies », écrit Jaime Lowe dans les colonnes du New York Times.
Il en résulte un travail en noir et blanc d’une force saisissante présenté sous le titre « Grossesses à haut risque après l’arrêt Dobbs », en référence à la décision tristement historique de la Cour suprême, comme pour mieux pointer du doigt les forces obscures qui y ont conduit, comme pour mieux dire aussi ses conséquences dramatiques. « Toutes les interruptions de grossesses programmées une semaine avant [la décision rendue par la Cour suprême NDLR] par la clinique étaient alors considérées comme des crimes », poursuit Jaime Lowe.
Une des images montre notamment une femme entourée de sa famille un mois avant le terme de sa grossesse. « L’un des jumeaux qu’elle portait, atteint d’une grave malformation cérébrale, avait peu de chance de vivre au-delà de six mois et risquait de compromettre la vie de l’autre fœtus. Elle a choisi d’avorter du fœtus pour protéger celui en bonne santé. Ce fut l’un des derniers avortements de ce type pratiqués dans l’État de l’Ohio », indique sobrement la légende. Sur une autre photographie présentée à Visa pour l’image, un médecin montre le lange utilisé comme linceul pour les fœtus mort-nés et les fausses couches. « Au moins une grossesse sur dix se termine par une fausse couche, mais aujourd’hui les interventions de routine pour de tels cas pourraient être considérées comme des avortements dans certains États ».
Hommage à Armin Soldin
Expérimenté, loué pour son professionnalisme et son humanisme, Arman Soldin, était promis à un bel avenir. La guerre en Ukraine en a décidé autrement. Coordinateur vidéo pour l’AFP depuis septembre 2022, le journaliste de 32 ans a été tué le 9 mai dans l’exercice de ses fonctions, lors d'une attaque de roquettes russes près de la ville assiégée de Bakhmout. « Bouleversée par le décès d'Arman Soldin, reporter pour l'AFP. Il a payé de sa vie son ardente vocation à nous informer des réalités de la guerre », s’était émue Rima Abdul Malak, ministre de la Culture.
A titre posthume, il a été élevé en juillet dernier au rang de chevalier de la Légion d’honneur. Cette distinction « honore son superbe journalisme et aide à garder sa mémoire vivante », a déclaré le directeur de l'information de l'Agence France-Presse, Phil Chetwynd. Une disparition qui rappelle le risque, extrême, qu’encourent les journalistes et les photojournalistes lorsqu’ils exercent le métier essentiel d’informer sur des terrains de guerre.
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