Si Paris Photo, la foire internationale consacrée à la photographie, ne peut pas avoir lieu cette année en raison de la situation sanitaire, on a tout loisir de découvrir la version digitale de son parcours dédié aux femmes photographes : Elles X Paris Photo. Visite guidée du site avec sa curatrice Karolina Ziebinska-Lewandowska, conservatrice au cabinet de la photographie du Centre Pompidou.
Images lumineuses, images rêvées, images transformées, images militantes et images témoins : le parcours de ellesxparisphoto.com est organisé autour de cinq thématiques. En quoi ces thématiques permettent-elles de mettre l'accent sur les femmes photographes ?
Ces thématiques rendent la sélection plus lisible et témoignent du fait que parmi les maîtres et les figures historiques qui ont inspiré les autrices contemporaines, il y a aussi des femmes. Elles combinent des approches esthétiques ou de genres photographiques en faisant la démonstration qu’il y a toujours une aînée à découvrir pour les autrices contemporaines. À titre d’exemple, pour une jeune photographe qui s’inscrit dans la veine surréaliste, on a spontanément tendance à citer comme source d’inspiration Man Ray, Brassaï ou Hans Bellmer. Or, on pourrait tout aussi bien citer Kati Horna ou Dora Maar.
Comment avez-vous choisi les quarante photographes de la sélection ?
Ce choix est issu des propositions faites par les galeries pour Paris Photo. Il y avait environ 200 à 250 femmes photographes parmi les 1000 auteurs proposés. C’est à partir de ce corpus que j’ai fait ma sélection. Je me suis d’abord intéressée à des autrices que je ne connaissais pas, qui étaient pour moi des découvertes. Ensuite, et nous en avons discuté au sein de l’équipe, il m’est apparu que le fait de proposer uniquement des noms nouveaux pouvait être décourageant pour le public qui aime aussi retrouver des noms connus. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à réfléchir à ces autrices plus anciennes qui pourraient être les inspiratrices des autrices contemporaines. Avec une difficulté cependant : pour la création contemporaine il y avait beaucoup de propositions originales, surprenantes et fortes. Pour la photographie historique, on restait en revanche sur les mêmes noms, comme si dans l’histoire de la photographie, il n’y avait plus rien à découvrir s’agissant de la présence des femmes, ce qui n’est pas le cas, bien au contraire.
Tout l’enjeu aujourd’hui est de les faire découvrir. Je trouve dommage que les galeries, alors même qu’elles savent qu’un parcours sera dédié aux femmes dans Paris Photo, continuent de présenter les mêmes photographes, aussi intéressantes et talentueuses soient elles. Il y a par exemple beaucoup de femmes à découvrir au XIXe siècle. Les autrices de l’ouvrage Une histoire mondiale de la photographie ne s’y sont pas trompées. Elles se sont précisément concentrées sur le XIXe siècle et la première moitié du XXe siècle. Mais cette déception mise à part, j’ai naturellement intégré ces autrices historiques connues pour tracer une généalogie différente de celle qui existe habituellement.
Dans le cas d'une jeune photographe qui s’inscrit dans la veine surréaliste, on a spontanément tendance à citer comme sources d’inspiration Man Ray, Brassaï ou Hans Bellmer. Or, on pourrait tout aussi bien citer Kati Horna ou Dora Maar
Quelles sont les photographes historiques et, à l’autre extrémité, les découvertes, dont vous aimeriez spontanément parler ?
S’agissant des autrices historiques, j’ai été très heureusement surprise par le travail des galeries qui travaillent sur la scène japonaise. On a des photographes, Miyako Ishiuchi ou Hitomi Watanabe, pour ne citer qu’elles, toutes nées dans les années 30, qui ont travaillé dans la veine documentaire. Or, au cours des années 60 et 70, elles sont souvent absentes des présentations de la photographie japonaise sur le modèle du magazine d’avant-garde Provoke [revue qui a popularisé les travaux de Moriyama et d’Araki (NDLR)] alors qu’esthétiquement elles sont très proches de cette mouvance. C’est un signe très intéressant de les voir parmi ces propositions.
Ce qui m’a également frappée, c’est la force de la jeune génération. Je ne parle pas seulement des autrices très jeunes, mais également des quadragénaires. Parmi ces générations, les femmes sont très nombreuses et talentueuses. Je suis également très impressionnée par les scènes non européennes. On voit que la parité s’installe et, plus généralement, des changements faisant écho à ceux qui se produisent à l’échelle de la société toute entière. Pour une partie d’entre elles, ce sont des autrices que je connais déjà, que j’observe et que je soutiens. Je pense notamment à Charlotte Abramow, à Tanja Lazetic que j’ai découverte il y a plusieurs années et qui est encore inconnue en France, qui mène un travail très intéressant et engagé, en particulier sur les thèmes féministe et écologiste, à Yael Burstein, une photographe israélienne que l’on voit sans doute pour la première fois à Paris Photo, à Ira Lombardia, une photographe espagnole très intéressante… il est impossible de toutes les citer tant elles sont nombreuses. La force de leur travail et leur présence marquent incontestablement la photographie contemporaine.
Travaillant dans des circonstances extrêmement particulières, nous avons aussi décidé au dernier moment, quand nous avons appris que Paris Photo n’aurait pas lieu, de modifier la sélection destinée au départ à faire découvrir de nouvelles autrices en y ajoutant quelques autrices françaises de générations plus confirmées, telles Valérie Jouve, Sophie Calle ou Sarah Moon à qui le Musée d’art moderne de Paris consacre une exposition que le confinement est venu interrompre.
La particularité du site est aussi de donner la parole à ces femmes photographes à travers des témoignages filmés.
Quand on organise aujourd’hui ces parcours exclusivement dédiés aux femmes, ce n’est pas neutre. Certaines autrices ne souhaitent d’ailleurs pas s’identifier à cette démarche, quand d’autres au contraire sont très partantes et la plébiscitent. Nous voulions donner à entendre comment les autrices se positionnent par rapport à ce geste. D’autre part, il est toujours intéressant de leur donner la parole. C’est pour cela que l’on fait ces actions : pour qu’elles soient plus présentes et pour les encourager à prendre la parole. L’idée de filmer certaines d’entre elles est directement liée à cette volonté de leur donner plus de visibilité.
Le site publie également des infographies qui montrent la place des femmes dans les écoles de photographies, les expositions, les foires…
C’est un travail très important qui a été entrepris par la délégation à la photographie du ministère de la Culture. Il n’y avait jamais eu d’enquêtes avec cet angle. On ne disposait donc pas de comparaison. Au-delà de cette enquête, c’est la politique que mène en général le ministère de la Culture en faveur de la parité qui est importante. Les résultats ne se sont pas fait attendre. Espérons que cela perdure et amène à changer la situation de manière pérenne. Nous ne sommes bien sûr plus dans les années 70, les choses ont évolué, mais elles ont progressé moins vite qu’on aurait pu le supposer, raison pour laquelle les acteurs institutionnels et la société civile se mobilisent aujourd’hui. Il y a encore beaucoup à faire.
Une politique volontariste en faveur des femmes photographes
Lancé il y a trois ans en association avec Paris Photo, Elles X Paris Photo, est emblématique de la politique menée par le ministère de la Culture en faveur de la visibilité des femmes photographes. Une politique que reflètent, à côté de la présentation des artistes, les différentes infographies publiées cette année sur sa déclinaison digitale : ellesxparisphoto.com. Rémunération, professions, études, prix, éditions, présence dans les foires, collections, expositions et festivals : toutes illustrent des chiffres actualisés issus d’études du ministère. C’est ainsi que l’on apprend que 30% des photographes étaient des femmes et que 53% d’entre elles avaient moins de 40 ans en 2017, que sur 17 agences et collectifs, 22% des effectifs sont des femmes, ou encore, toutes disciplines artistiques confondues, que 66% des étudiants en études supérieures d’art étaient des femmes en 2018-2019.
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