Comment la culture vient-elle aux enfants ? C’est à cette question que tente de répondre l’ouvrage paru en janvier dernier, co-édité par le ministère de la Culture via le département des études, de la prospective, des statistiques et de la documentation et les Presses de Sciences-Po, et qui invite également à « repenser les médiations ».
Cet ouvrage, issu d’une recherche collective, s’intéresse aux nombreux processus de médiation qui s’exercent tout au long de la chaîne allant des producteurs culturels jusqu’aux enfants. À travers différents exemples qui vont de la série télévisée à succès à l’édition jeunesse en passant par les musées, les théâtres pour jeune public, les orchestres d’enfants et les actions des cinémas art et essai, l’enquête souligne que des processus de médiation existent au sein des industries culturelles mais aussi dans les familles et les groupes de pairs.
Florence Eloy, maîtresse de conférences à l'université Paris 8 a dirigé cette recherche réalisée par une équipe de huit chercheuses et chercheurs sur la transmission culturelle.
L’enfance est-elle une période cruciale pour la maturation artistique ?
L’enfance est une période importante du point de vue de la socialisation à l’art et la culture et de la construction de dispositions dans les domaines culturel et artistique. Ces dispositions peuvent bien sûr évoluer ultérieurement, au moment des études, de l’entrée dans le monde professionnel ou encore au contact du conjoint. Mais la socialisation primaire, qui a lieu dans l’enfance et en particulier dans la famille, joue un rôle de « filtre » sur cette socialisation secondaire.
La particularité du secteur jeunesse est l’écart important entre les producteurs – les adultes – et le récepteur – les enfants. Avec quelles conséquences ?
Il y a beaucoup d’intermédiaires dans le cas des biens culturels pour adultes, mais pour les enfants se pose particulièrement la question de l’accès : les professionnels doivent aussi s’adresser aux parents, dont l’adhésion conditionne bien souvent l’accès des enfants à tels biens culturels ou telles activités. Les parents, en quelque sorte, constituent donc un intermédiaire de plus à convaincre dans la chaîne de médiation, comme le suggère le terme de « multi-adressage » (le public auquel s’adresse une œuvre ndlr), et ce avant même de pouvoir atteindre la cible finale, à savoir l’enfant lui-même.
Le ciblage par l’âge, très fréquent dans les productions pour la jeunesse, est-il toujours utilisé en priorité ?
L’âge est une dimension beaucoup plus explicite dans les productions et les dispositifs pour enfants que le milieu social, qui est souvent « euphémisé » ou du moins exprimé dans d’autres termes. Par exemple l’un des orchestres d’enfants à vocation sociale que nous avons étudiés contourne, en quelque sorte, la question du milieu social quand il définit ses publics en parlant d’« enfants issus de quartiers relevant de la politique de la ville ou de zones rurales insuffisamment dotées en institutions culturelles ».
Les adressages de genre sont quant à eux très visibles dans la production culturelle en direction des enfants, comme par exemple dans le domaine du livre jeunesse. Cela constitue d'ailleurs un clivage assez structurant entre le pôle le plus légitime de l’édition jeunesse et le pôle le plus commercial car cet adressage genré fonctionne comme un véritable repoussoir pour les éditeurs et les auteurs les plus au cœur de la légitimité culturelle.
Est-ce que finalement, le meilleur des médiateurs n’est-il pas les pairs, c’est-à-dire les autres enfants du même âge ?
C’est surtout le cas au moment de l’adolescence, période où les pairs ont une importance particulièrement centrale et donc un pouvoir très fort en termes de prescription culturelle. Pour autant, il n’est pas aisé de s’appuyer sur cette force prescriptrice dans le cadre de la médiation culturelle. C’est particulièrement le cas dans un des dispositifs étudiés dans notre enquête, rebaptisé « Cinémas Indépendants Médiations » dont le principe est justement de faire venir les adolescents dans les salles de cinéma indépendantes grâce à une médiation dédiée opérée par d’autres adolescents, appelés « ambassadeurs ».
Les données recueillies montrent que ces ambassadeurs peinent souvent à adopter ce rôle de prescripteurs par rapport à leurs pairs : ils sont très souvent cinéphiles et assez différents de beaucoup de leurs camarades du point de vue de leurs goûts et de leurs consommations audiovisuelles. Ils ne sont donc pas forcément perçus comme des prescripteurs crédibles par les autres lycéens.
L'adolescence est une période où les pairs ont
un pouvoir très fort
en termes de prescription culturelle
Quel est le rôle du numérique dans la prescription ?
Sur les différents terrains explorés, on a pu identifier une croyance très forte en l’existence d’un pouvoir a priori du numérique en matière de médiation (on parle d’« effets magiques » attribués au numérique). À rebours de ces croyances, on a pu observer que quand le numérique est décontextualisé des groupes de pairs des jeunes à qui le dispositif s’adresse, la prescription perd sa force symbolique.
Pour reprendre l’exemple des jeunes ambassadeurs des salles art et essai, on voit ainsi que leur page Facebook, de laquelle ils sont invités à se servir dans leur travail de communication, n’est pas jugé crédible auprès de la majorité des lycéens de l’établissement qui ne font pas partie de leur groupe de pairs. Si l’ambassadeur n’est pas un prescripteur crédible aux yeux de ses pairs, alors sa page Facebook n’aura pas plus de poids que ses autres actions de communication : ce n’est pas parce qu’on passe par le numérique et les réseaux sociaux qu’on s’assure le succès de la médiation.
Comment la culture vient aux enfants : repenser les médiations, Presses de Sciences Po, ministère de la Culture – Département des études, de la prospective et des statistiques, 284 pages, 23 €.
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