« Ce sujet passionnant suscite des comportements passionnels, et je n’en veux pour preuve que les réactions dont la presse s’est fait l’écho depuis quelques jours. Les mêmes personnes changent d’opinion d’une heure à l’autre mais je crois que le temps montrera, les passions s’étant apaisées, que nous avons bien agi. » Quand il prononce ces mots dans l’hémicycle de l’Assemblée Nationale le 30 juillet 1981, Rodolphe Pesce, le rapporteur de la loi pour la commission des affaires culturelles, se doute-t-il que la concorde est sur le point de l’emporter ?
Adopté au Sénat en pleine nuit le 30 juillet 1981, par 276 voix contre 9, le projet de loi sur le prix unique du livre passait le soir même à l'Assemblée Nationale, avant de revenir le lendemain en seconde lecture au Sénat où elle était définitivement adoptée. Après plusieurs années d’une bataille homérique, le texte passait comme une lettre à la poste ou presque.
Un enjeu culturel
« Permettez-moi de vous dire toute l’émotion que je ressens à prendre pour la première fois de ma vie la parole devant votre assemblée élue au suffrage universel direct ». Quand on se plonge dans le compte-rendu intégral de la séance historique du 30 juillet 1981, ce qui frappe d’abord, c’est l’émotion du tout jeune ministre qu’est alors Jack Lang, mais aussi ce texte annonciateur des grands chantiers à venir qu’est la loi sur le prix unique du livre : « La volonté du gouvernement est de vous proposer aujourd’hui (…) une nouvelle politique culturelle pour le pays ».
À quel prix aujourd’hui un nouveau Flaubert, un nouveau Balzac, un nouveau Gide aurait-il la chance – oui, la chance – d’être publié et lu ?
On peut d’ailleurs voir dans l’extrait qui suit, qui reconnaît la spécificité du bien culturel qu’est le livre, un écho à cet autre combat que sera bientôt celui de la promotion de la diversité culturelle : « On l’a souvent dit dans le passé sans en tirer malheureusement les conséquences. Le livre n’est pas un produit comme les autres : c’est une création de l’esprit qui ne saurait être soumise – sans une protection ou à tout le moins sans une régulation particulière – à la seule loi du marché ». Le ministre de poursuivre : « Au travers de ce projet de loi, la question posée est de savoir si notre pays entend maintenir vivante et forte une grande tradition artistique de création (…). L’enjeu de ce débat, c’est l’avenir de la création littéraire en France ». Il devient presque lyrique quand il évoque les actions en soutien au livre dans et hors de l’Hexagone : « À quel prix aujourd’hui un nouveau Flaubert, un nouveau Balzac, un nouveau Verlaine, un nouveau Gide aurait-il la chance – oui, la chance – d’être publié et lu ? Notre pays est-il prêt à payer ce prix d’une invention, d’une production littéraire, est-il prêt à défendre sur le territoire comme hors de nos frontières la littérature française ? »
Le livre, un produit pas comme les autres
Promotion de la diversité culturelle, mais aussi aménagement du territoire, c’est tout cela, qui modèlera la politique culturelle à venir, que porte en germe la loi sur le prix unique du livre : « Par ce texte, nous voulons atteindre trois objectifs : premièrement, l’égalité des citoyens devant le livre qui sera vendu au même prix sur l’ensemble du territoire national. Deuxièmement, le maintien d’un réseau de distribution décentralisé aussi dense que possible, à densifier encore, notamment dans les zones les plus éloignées des centres urbains. Troisièmement, le soutien au pluralisme de la création littéraire et de l’édition ». Quant à l’argument brandi par ses détracteurs selon lequel le projet s’opposerait à l’intérêt du lecteur, le ministre le balaye d’un revers de la main : « Le projet au contraire est une bonne affaire pour le lecteur. Que veut-il, le lecteur ? Premièrement un prix uniforme, deuxièmement un prix aussi modéré que possible et aussi un prix connu : il veut enfin trouver partout un échantillonnage de livres aussi variés que possible. Un prix unique, c’est l’objet de la loi ».
Ceux qui s’exprimeront après lui tiendront peu ou prou le même discours. Ainsi Etienne Pinte pour le Rassemblement pour la République qui salue un texte qui « a le mérite de rendre la primauté au caractère de produit culturel que le livre n’aurait jamais dû perdre ». Aujourd'hui, il ne viendrait à l’idée de personne de contester la loi sur le prix unique du livre.
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