Après deux éditions bousculées par la crise sanitaire – dont une en virtuel – la dix-huitième Nuit européenne des musées qui aura lieu samedi 14 mai s’annonce comme celle de la redécouverte des lieux culturels et de leur réappropriation par le public. Portés par une reprise de la fréquentation de plus de 30 % en 2021 par rapport à 2020, les musées retrouvent peu à peu leur attractivité et leur rôle de lieux de découverte, de questionnements, d’échanges culturels, d’éducation artistique et de rayonnement.
Cette année, près de trois mille établissements participent à l’événement avec un programme décalé et festif qui permet de se visiter sous un jour nouveau. Pour quatre d’entre eux, cette Nuit est la première après des mois voire des années de travaux. Nouvelle scénographie, bâtiments rénovés et désormais adaptés à tous les publics, agrandissement des lieux d’exposition ou aménagement de nouveaux espaces : leurs métamorphoses se révèlent désormais aux yeux des visiteurs pour mieux valoriser les collections.
Musée de Cluny : le Moyen Âge revisité
Après un détour par le musée des Abattoirs à Toulouse, où elle a été prêtée le temps d’une exposition, la Dame à la licorne est de retour dans les salles rénovées du musée parisien, dont elle est la pièce maîtresse. Cette tapisserie médiévale, l’une des plus célèbres au monde, fait en effet partie de 24 000 pièces abritées au musée de Cluny, le seul établissement national consacré au Moyen Âge.
Près de mille ans d’histoire sont retracés ici, en plein cœur du quartier latin, dans le cadre unique d’un hôtel particulier du XVe siècle adossé à des thermes gallo-romains. Il aura fallu un vaste chantier de près de vingt mois pour moderniser l’ensemble, reprendre totalement les parcours de visite et la scénographie.
Ces travaux s’ajoutent à ceux menés depuis 2011 ainsi qu’à l’extension contemporaine, inaugurée en 2018. Ces rénovations successives s’appuient sur une muséographie entièrement repensée qui suit un fil chronologique pour rendre plus lisibles l’évolution des formes, les moments de ruptures, les innovations et les différences esthétiques du nord au sud de l’Europe pendant cette période. « Grâce à ces travaux et à la nouvelle présentation des œuvres, le musée répond pleinement à sa principale mission : celle de faire comprendre à un public aux attentes et aux connaissances variées, le Moyen Âge, temps long puisque s’étirant sur plus de mille ans », souligne Séverine Lepape, directrice du musée de Cluny.
Le 14 mai, c’est dans le majestueux frigidarium - la salle froide - des thermes antiques de Lutèce que le musicien Frédéric Nogray livrera une performance de trois heures en continu en faisant sonner des bols en cristal pour un « concert méditatif » dans la pénombre, le temps d’une déambulation entre deux salles ou plus longtemps si le visiteur est emporté par les sons hypnotiques de l’artiste qui provoquent détente du corps et de l’esprit.
De 19 h 30 à 22 h 30.
Le tour du monde selon Albert Kahn à Boulogne-Billancourt
De l’extérieur, son architecture rappelle l’origami, l’art du pliage venu du Japon. Un clin d’œil supplémentaire à la soif de voyage d’Albert Kahn, banquier philanthrope qui avait élu domicile à Boulogne-Billancourt, sur un site de quatre hectares en bordure de Seine. Ne manquait plus que le musée rénové pour mettre en valeur la collection exceptionnelle rassemblée à partir d’un projet pharaonique : les Archives de la Planète, soit un ensemble de milliers d’images qui documentent l’état du monde au début du XXe siècle. « Le cœur du parcours de visite, c’est cette mise à disposition et en exposition de ces photographies et films, rappelle Magali Mélandri, directrice déléguée à la conservation du musée. L’ensemble s’articule autour des Archives de la Planète formées d’un ensemble de 72 000 autochromes – première photographie couleur – et d’une collection de films en noir et blanc et pour certains en couleur. »
Cette collection exceptionnelle est visible depuis le mois d’avril après six ans de travaux qui ont vu la construction d’un nouveau bâtiment et la réhabilitation de huit autres. Le musée est également entouré d’un jardin aux multiples paysages tantôt japonisant, tantôt anglais, tantôt vosgien.
Cette diversité est retracée lors de la Nuit européenne des musées dans une visite d’une demi-heure top chrono sur les collections d’images et de végétaux, entre les espaces d’exposition et les différentes scènes paysagères. Les visiteurs pourront également contempler l’exposition inaugurale des lieux : Autour du monde, la traversée des images, d’Albert Kahn à Curiosity qui invite à questionner notre rapport au monde.
De 19 heures à 22 heures. Visites de l’exposition réservable en ligne.
Le musée d’art moderne de Céret fait peau neuve
La ville de Céret a abrité les séjours de Picasso et Braque, qui ont composé un ensemble de tableaux considérés comme les chefs-d’œuvre du cubisme. Puis Soutine et, plus tard, Raoul Dufy, Jean Cocteau, Jean Dubuffet ou Albert Marquet… Cette effervescence artistique du XXe siècle se retrouve dans le musée d’art moderne de la ville de Céret (Pyrénées-Orientales), qui a rouvert le 5 mars dernier.
Abrité sur le site d’un ancien couvent des Carmes, il était devenu au XIXe siècle le siège de la maréchaussée puis la prison avant de devenir musée en 1950. Le lieu bénéficie de l’appui et de la générosité d’artistes comme Picasso, qui a fait don de 53 œuvres dont la fameuse série de coupelles tauromachiques, ou Matisse avec quatorze dessins réalisés à Collioure, tout proche d’ici. Dès les années soixante, le musée s’ouvre à l’art contemporain avec la venue de Dali en 1965, suivi par Ben. Aujourd’hui, le musée s’agrandit avec une nouvelle aile de 1 300 m² composée d’espaces d’expositions, de stockage, de réserves et d’ateliers. « Une nouvelle ère s’ouvre aujourd’hui avec l’agrandissement du musée qui invite le plus grand nombre à (re)découvrir ce haut lieu du cubisme, ses collections permanentes et sa programmation d’exception », explique Hermeline Malherbe, présidente du conseil d’administration de l’EPCC musée d’art moderne de Céret.
L’exposition inaugurale présente les œuvres de l’artiste espagnol Jaume Plensa, sélectionnées par le musée il y a trois ans, jamais présentées ensemble et réunies pour la première fois. Elle sera visible pour la Nuit européenne des musées puisque le musée ouvre gratuitement ses portes de la tombée de la nuit jusqu’à 22 heures avec une soirée sous le thème de la poésie avec des lectures dans les salles par la compagnie Pas de Porte.
À partir de 18 heures.
Le musée Henri-Martin de Cahors voit double
Après six ans d’études et de travaux, le musée Henri-Martin rouvre avec une superficie doublée, pour atteindre plus de 2 000 m2. Le palais épiscopal du début du XIXe fait ainsi un bond dans le temps avec l’emploi de matériaux modernes et surtout trois nouvelles salles aux lignes fuyantes ou traversantes sur l’aile nord, idéales pour déployer les grands décors d’Henri Martin, peintre postimpressionniste et grand admirateur des paysages du Quercy : la Fenaison et le Monument aux morts. « Les visiteurs vont découvrir un nouveau bâtiment et redécouvrir les collections et des œuvres qu’ils connaissent déjà mais que nous avons restauré. Nous voulons qu’ils reprennent possession d’une richesse qui est la leur. Il est très important pour nous que le public se sente chez lui au musée », résume Rachel Amalric, la directrice des lieux.
Créé en 1833, le musée Henri-Martin rassemble près de 11 000 biens patrimoniaux d’horizons divers, du Néolithique au XXIe siècle comprenant d’importantes pièces archéologiques, de nombreuses peintures d’artistes du Quercy ou encore une collection unique autour de la figure de Léon Gambetta, natif de la ville. Enfin, le musée possède des pièces océaniennes dont le fameux Rongo, dieu de la pluie, de l’agriculture et du curcuma, une statuette classée « Trésor national » par le Ministère de la Culture.
Pour la Nuit européenne des musées, le nouveau musée sera ouvert gratuitement toutes les trente minutes un départ pour une visite à la lampe torche pour découvrir autrement les trésors archéologiques du musée et un acrobate de haute voltige qui embarquera les visiteurs dans un spectacle de cirque.
De 19 h 30 à minuit.
À la découverte des richesses du Vieux Continent
La dimension européenne de la Nuit des musées prend un sens particulier cette année puisque cette dix-huitième édition coïncide avec les six mois de la présidence française du Conseil de l'Union européenne. Aux quatre coins du continent, plusieurs établissements ouvrent donc leurs portes. En Lituanie, le manoir de Raudondvaris du XVIe siècle fait un voyage dans le temps avec des rencontres avec les nobles habitants qui vécurent au château au fil des siècles mais aussi des danses en compagnie de dames de la Renaissance. En plein cœur du Portugal, dans le massif montagneux de la Serra da Estrela, le Museu do Pão (musée du Pain) est le plus grand complexe au monde dédié au pain. Le soir du 14 mai, les familles seront invitées à confectionner leur propre pain qui sera cuit dans le four à bois du musée et recevront, comme le voulait la tradition, un timbre pour marquer son pain. En Bosnie-Herzégovine, le musée d’art contemporain de « Republika Srpska » a été le premier à rejoindre l’événement en 2006. Le programme de cette année met l'accent sur le lien entre les Académies des Arts de Banja Luka et de Trebinje avec deux expositions et une série de concerts de chambre. Plus à l’est, le centre culturel Ahmed-Muradbegović de la ville de Gradačac, qui regroupe un cinéma, un musée et même une station de radio, consacre une exposition aux sultans turcs en circulation sur le territoire de la Bosnie-Herzégovine. En Italie, les Gallerie d'Italia de Milan s’ouvrent exceptionnellement jusqu’à minuit avec deux collections de peintures du XIXe et XXe siècles. Enfin, en Espagne, les Archives photographiques de Barcelone présentent l'exposition « Esteve Lucerón. La Perona. L’espai i la gent », une série de photographies réalisées dans les années 80 auprès de la communauté tsigane du quartier de Sant Martí, l'un des derniers bidonvilles de la ville démoli avant les Jeux olympiques de 1992.
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