À l’instar de l’engouement suscité par la plateforme #Culturecheznous, proposée par le ministère de la Culture avec 600 acteurs culturels, les Français ont plébiscité, pendant le confinement, l’offre numérique culturelle. Ce résultat est l’un des enseignements de la passionnante enquête sur les Pratiques culturelles en temps de confinement menée par le département des études, de la prospective et des statistiques du ministère de la Culture.
Dans le prolongement de Cinquante ans de pratiques culturelles des Français (2020), cette étude, qui revient sur le confinement inédit de la totalité de la population française en mars 2020, apporte également la preuve que les pratiques culturelles apparaissent moins clivées, notamment à travers un réinvestissement important des pratiques en amateur et une hausse de la culture d’écran. Entretien exclusif avec ses auteurs, Anne Jonchery et Philippe Lombardo, chargés d’études au département des études, de la prospective et des statistiques du ministère de la Culture.
À rebours du creusement des inégalités sociales et économiques que l’on a pu observer pendant le confinement, les pratiques culturelles semblent moins clivées, on observe même un rattrapage des catégories populaires par rapport aux catégories supérieures. Est-ce le principal enseignement de cette étude ?
Anne Jonchery : Elles sont, il est vrai, un peu moins clivées, mais les écarts, s’ils se réduisent, ne disparaissent pas complètement. Nous avons principalement étudié les pratiques en amateur et les consommations culturelles. Ce qui apparaît immédiatement, c’est que cette réduction est en partie liée aux conditions de confinement : le fait de devoir rester chez soi, et tout particulièrement d’être en interruption d’activité professionnelle, a permis à une partie des classes populaires, essentiellement les ouvriers et les moins diplômés, d’avoir davantage de temps libre pour investir des pratiques en amateur ou certaines consommations sur les écrans. À l’inverse, pour les classes supérieures, le télétravail parfois très envahissant, a pu entraîner une diminution de certaines pratiques, en particulier les activités en amateur, la lecture, ou certaines consommations d’écrans. Par ailleurs, des pratiques collectives se sont mises en place plus particulièrement au sein des classes populaires par le biais des enfants, en raison notamment d’obligations éducatives inédites. Pour autant, quand on regarde la variété des pratiques culturelles pour chaque individu, on retrouve des invariants : ceux chez qui elles sont les plus denses restent les personnes qui ont les diplômes les plus élevés et qui vivent dans les grandes villes.
Quels sont les secteurs qui sortent grands gagnants de ce confinement ?
Philippe Lombardo : Contrairement à ce que l’on a pu observer dans la publication sur les Cinquante ans de pratiques culturelles publiée en juillet dernier où on observait un léger décrochage des pratiques en amateur, on constate un réinvestissement de ces pratiques pendant le confinement - chaque pratique artistique gagnant 5 à 6 points. Pour certaines, on retrouve même les niveaux d’il y a dix ans, ce qui montre qu’à un moment où on est contraint de rester chez soi, on est peut-être plus enclin à utiliser son temps libre de manière créative. On relève que ce réinvestissement est particulièrement fort pour les plus jeunes et les classes populaires. On observe également une intensification des pratiques en amateur : en 2018, les pratiquants ont réalisé chacun en moyenne 1,8 activité en amateur tandis que cette moyenne est passée à 2,5 en 2020.
L’écriture, le montage audio et vidéo, la photographie ont connu un véritable engouement. Comment l’analysez-vous ?
PL : Les pratiques d’écriture, qui sont depuis longtemps très fortement féminisées, ont progressé pendant le confinement. Cette augmentation est due au fait que cette pratique a suscité une adhésion plus importante de la population masculine. Pour les autres pratiques que vous citez – montage, photographie – la question des équipements est centrale. On peut expliquer la progression du montage vidéo et audio par le fait que les équipements spécifiques préexistaient au confinement : avec le temps libre dont ils bénéficiaient, on peut estimer que les Français aient eu envie de se lancer dans cette activité. De plus, cet essor est sans doute amplifié par l’usage massif des réseaux sociaux. Quand on va sur Instagram et qu’on voit une vidéo ou un montage photo, cela peut donner des idées.
La photographie, quant à elle, s’est maintenue au niveau de 2018 – soit 19% – avec cependant une forte progression des plus jeunes. On peut là encore y voir un écho à un engouement suscité par les réseaux sociaux. Je pense notamment aux challenges qui s’y sont développés, en particulier celui lancé par le Getty Museum qui a proposé aux gens de refaire une œuvre d’art avec les objets du quotidien pour ensuite la photographier et la diffuser.
Selon vous, l’utilisation des réseaux sociaux et la sociabilité à distance vont de pair.
AJ : Absolument, en particulier chez les personnes de 60 ans et plus et au sein des classes populaires. Ces catégories se sont mises à utiliser les réseaux sociaux, de manière quotidienne pour une partie d’entre elles, alors que ces populations étaient les plus en retrait des réseaux en 2018. Le besoin d’interagir avec son cercle familial et amical tenu éloigné pendant le confinement a généré cette utilisation des réseaux.
C’est une autre donnée importante de l’étude : les 60 ans et plus et les catégories populaires se sont appropriés les contenus en ligne. Comment l’expliquez-vous ?
AJ : Effectivement. Ils se sont même appropriés un large éventail de consommations numériques, allant de la consultation de ressources culturelles sur internet au visionnage de vidéos en ligne en passant par des pratiques de jeux vidéo. Le confinement a ainsi conduit les publics plus âgés à explorer de nouveaux usages numériques. Pour les familles des classes populaires, on peut estimer que les prescriptions de l’école ont encouragé ces consultations de contenus culturels. C’est quelque chose que l’on va suivre de près.
On constate aussi un certain engouement pour les pratiques scientifiques et techniques. C’est une nouveauté ?
PL : On peut une nouvelle fois y voir le besoin de retrouver une certaine sociabilité qui s’est un peu effritée. On se met autour d’un ordinateur et on fait des recherches en famille. De plus, l’école étant fermée physiquement pendant le confinement, il y a eu un relais éducatif très important dans les familles.
AJ : Ce qui nous a surpris, c’est que le fait d’avoir des enfants à charge et de s’en occuper au moins quatre heures par jour, semblait stimuler les pratiques culturelles. D’une manière générale, la question de la sociabilité a été très importante, que ce soit une sociabilité à distance quand on était confiné seul ou que ce soit la sociabilité au sein de l’espace domestique qui pousse à faire des choses ensemble.
S’agissant des médias, la presse généraliste a été délaissée, mais la télévision revient en force, notamment chez les jeunes. Pourquoi ?
PL : On peut penser que ce « retour de la télévision » découle d’une pratique familiale classique, mais, en étudiant les résultats plus en détail, on a pu constater qu’il y avait une reconfiguration familiale. Par exemple des personnes seules qui sont parties se confiner en famille, notamment les 15-24 ans qui sont retournés chez leurs parents.
La consommation de musique en revanche a connu un repli pendant le confinement.
AJ : Cette forte baisse de l’écoute de musique a été une surprise même si les données diffusées par les plateformes de diffusion de musique en flux montraient une chute importante dès le mois de mars. Nous faisons l’hypothèse que la disparition du temps de transport, qui est traditionnellement un temps où on écoute de la musique, explique partiellement cette chute.
PL : A l'inverse, on constate un réinvestissement dans les pratiques en amateur musicales. On peut donc penser qu’à défaut de vouloir en écouter, les gens avaient envie d’en produire.
AJ : En effet, même s’il faut nuancer cette hypothèse. Faire du chant ou de la musique en amateur concerne 16% de la population. Pour l’écoute de musique, on est passé de 92% à 70%. Les ordres de grandeur sont donc différents. Mais il est certain qu’il y a eu un réinvestissement de cette pratique en amateur. On peut penser que les contenus qui ont été diffusés sur les réseaux sociaux, qu’il s’agisse de morceaux joués par des professionnels ou par des amateurs, ou de concerts qui ont pu être donnés depuis les balcons, ont encouragé certains à se lancer.
Quelles sont les suites qui seront apportées à cette étude ?
AJ : Tout l’enjeu consistera à savoir s’il s’agit d’une parenthèse liée à une situation inédite de contraction de l’espace-temps au domicile avec un certain nombre d’activités confisquées ou si ces nouveaux usages vont se poursuivre. Il sera intéressant de refaire une étude quand les différentes offres culturelles seront à nouveau proposées au public et que la vie quotidienne des Français ne sera plus affectée par la crise sanitaire.
Pratiques culturelles en temps de confinement, par Anne Jonchery et Philippe Lombardo, chargés d’études au département des études, de la prospective et de la statistique,collection "Culture études", département des études, de la prospective et de la statistique, ministère de la Culture, 44 pages, décembre 2020
Les loisirs culturels des enfants pendant le confinement passés au crible
En moyenne, « les consommations culturelles ont occupé les enfants quatre heures et demie par jour », indiquent Nathalie Berthomier et Sylvie Octobre dans l’étude – précieux pendant des Pratiques culturelles en temps de confinement – que consacre le département des études, de la prospective et des statistiques aux Loisirs des enfants de 9 ans en situation de confinement au printemps 2020. Cette augmentation des temps de loisir en raison du confinement au domicile « a renforcé les distinctions selon le sexe, en termes de volume horaire comme de type de loisir investi, et l'origine sociale (les enfants des ménages populaires ont consacré plus de temps aux écrans) ».
L’étude met également en évidence le rôle des conditions de logement des enfants et celui joué par les modalités de travail des parents : « La progression du temps consacré aux écrans est particulièrement importante dans les ménages où les parents ont tous les deux télé-travaillé », notent les auteures. Enfin, ce sont le plus souvent les mères qui ont accompagné les loisirs de leur enfant et le niveau de diplôme de celles-ci qui influe sur le temps global consacré aux loisirs.
Partager la page